FICHE N° 1
Pressions au travail : quand des collègues « pètent les plombs »

« On a des collègues qui craquent… crises de nerf, altercations, crises de larmes, arrêts de travail, dépression… » : cette situation est assez courante dans les services en contact avec le public en direct ou à distance comme dans les centres d’appels. Dans certains secteurs cela se traduira par une fatigue importante au point par exemple qu’un-e salarié-e estime être trop fatigué-e pour poursuivre sa journée de travail. Dans d’autres secteurs, les relations sont tellement dégradées, y compris entre collègues, que des violences verbales et parfois physiques se développent… C’est aussi la démotivation, la mise en retrait, la déprime qui devient dépression. Situation plus dramatique encore, les suicides qui sont le plus souvent cachés et occultés tant la situation est difficile…

Quand l’organisation du travail fait péter les plombs aux salarié- es, il est très rare que ce soit pris en compte dans le cadre des conséquences du travail. Et pourtant…

Si le « pétage de plomb » prend souvent l’allure d’un conflit entre deux (hiérarchie) ou plusieurs personnes (collègues), cette apparence est souvent trompeuse. La véritable question est celle du travail : quel est le rôle de chacun ? En quoi le travail des uns retentit sur celui des autres ? Quels sont les obstacles, dans le travail, à leur coopération ? Qu’est-ce qui, auparavant, permettait cette coopération et qui a disparu ?

Ainsi, s’il faut partir de la goutte d’eau qui a fait déborder le vase et comprendre l’événement qui a déclenché la crise, il faut surtout savoir pourquoi, et de quoi, le vase était si plein. Autrement dit : quelles sont les difficultés professionnelles, individuelles et collectives, accumulées qui ont abouti à cette situation ?

Tous ces « pétages de plomb » liés au travail, sont la conséquence de l’organisation mise en place par les directions. La course effrénée aux profits et les sommes parties en fumée à la bourse se payent par une plus grande productivité impliquant une détérioration des conditions de travail et de la santé des salarié-es…


Quelles sont les caractéristiques communes à ces situations ?

Ces situations ne sont pas individuelles. Au sein de l’entreprise de nombreuses personnes ont parfois « intérêt » à penser que le travail n’est pas en cause. C’est très souvent le cas de l’employeur, dans la mesure où sa responsabilité peut être en jeu. Mais cela peut être aussi le cas des collègues, qui ont intégré le fait que si elles ou ils n’y arrivent pas c’est parce qu’elles ou ils ne sont pas capables (culpabilisation) ou que cela relève de la fragilité personnelle (individualisation). Ou encore les salarié-es estiment qu’elles ou ils ne sont pas toujours en capacité de parler de ce qui est pénible dans le travail, de la façon dont elles ou ils s’en débrouillent, enfin peur que ces questions soient abordées collectivement. Si ces situations sont supportées par des individus, elles sont toujours signe d’un problème de gestion du travail. A nous de refuser une individualisation qui ne réglera aucun problème, qui au contraire va concourir à l’amplifier.

Le rôle de la section syndicale : analyser la situation. Les causes sont multiples et nécessitent une analyse à partir de chaque cas dont nous avons connaissance. Elles trouvent leur origine notamment dans les multiples restructurations ou réorganisations qui ont lieu, des gains de productivité réalisés sur fond de chantage et de pression extrême, le management par des objectifs déconnectés de la réalité du travail. Dans les services en contact avec le public par exemple, on assiste le plus souvent à une double pression (celle des « client-es » le plus souvent excédé-es par la politique des entreprises) et celle du management qui impose des règles abstraites et une pression qu’il répercute de sa propre hiérarchie… La pression, c’est par exemple la file des « client-es » qui s’allonge alors qu’il faudrait prendre du temps pour une écoute correcte des demandes formulées.

En schématisant, les problèmes naissent avec le développement d’organisations de travail, de procédures, d’indicateurs… qui non seulement ignorent l’activité réelle (ordres contradictoires, impossibilité de faire le travail demandé…) mais plus encore l’interdise (intensification, empêchement d’un travail de qualité, demande de vendre un produit qui n’est pas demandé ou souhaitable…). Pour ceci les managers s’appuient sur une individualisation mettant les salarié-es en compétition les un-es avec les autres, sur une exigence d’implication totale du ou de la salarié-e et sur une subjectivisation forcée (responsabilité sans pouvoir maîtriser la situation).

Cette analyse, on le voit, doit entrer dans le détail de l’activité, des relations au sein du collectif de travail, etc… Elle nécessite donc d’être faite en lien permanent avec les personnels concernés.

Si l’enjeu est collectif et doit être pris en charge par la section syndicale, les réponses que l’on porte aux personnes dans ces situations doivent impérativement tenir compte de leur avis. Certain-es par exemple ne souhaitent pas rendre public un tel événement. Ces demandes doivent être respectées. Ceci ne signifie pas pour autant qu’il n’y a rien à faire, au contraire.

Que faire quand un(e) salarié(e) « pète les plombs » ?

  • La première attitude est de protéger la ou le collègue en état de crise : l’entourer, le ou la réconforter, lui éviter de commettre des gestes qu’il ou elle pourrait regretter, notamment des violences et dans des cas extrêmes solliciter un accompagnement médical. C’est ce soutien immédiat, apporté par les collègues de proximité, qui s’avérera le plus précieux pour celle ou celui qui a « disjoncté ».
  • Obtenir une réunion rapide et « à froid » entre le responsable, le ou la salarié-e et un-e élu-e du personnel (ou un-e salarié-e de son choix).
  • Informer le médecin du travail/de prévention.
  • Déclarer l’incident en accident du travail (AT)/accident de service (AS). Le fait qu’il se soit produit sur le lieu de travail invite ensuite à considérer, jusqu’à preuve du contraire, qu’il est lié au travail. L’employeur peut contester le lien avec le travail, mais ne peut refuser la déclaration.

Qu’est-ce qu’un accident du travail ?

Les bases légales sont les suivantes : « Est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail » (article L. 411-1 du code de la sécurité sociale). C’est l’existence d’un lien de subordination avec l’employeur au moment des faits qui est déterminant (temps et lieux du travail). La jurisprudence a précisé plusieurs points qui convergent pour prendre en compte tant les lésions corporelles que les chocs émotionnels ne laissant pas de trace, les agressions subies à l’occasion du travail.

Dans la Fonction Publique on parle d’accident de service (AS) pour les personnels titulaires et d’accident du travail pour les non titulaires qui sont soumis au même dispositif que les salariés du privé. Depuis l’ordonnance du 19 janvier 2017 l’accident de service a désormais une définition légale qui se rapproche de celle de l’article L. 411-1 du Code de la Sécurité sociale. « Est présumé imputable au service tout accident survenu à un fonctionnaire, quelle qu’en soit la cause, dans le temps et le lieu du service, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice par le fonctionnaire de ses fonctions ou d’une activité qui en constitue le prolongement normal, en l’absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant l’accident du service. »

Dans la pratique, il faut identifier un élément déclenchant, soudain (par exemple, un entretien avec la hiérarchie, l’agressivité d’un-e client-e, du public, la remarque d’un-e collègue…) et qu’il en résulte une « lésion » soudaine (par exemple, un choc psychologique, une réaction émotionnelle aiguë, des troubles du comportement…).

Dans le cas où l’employeur et le ou la salarié-e sont en désaccord sur le lien qui existe entre le travail et l’accident, dans le régime général c’est la caisse de Sécurité sociale qui tranchera le litige. Dans la Fonction publique la commission de réforme sera saisie pour avis.

Cette déclaration permettra à la personne salariée de bénéficier de soins gratuits, d’une meilleure indemnisation en cas d’arrêt de travail et d’une meilleure protection en cas d’impossibilité à occuper à nouveau son poste. Elle permettra surtout au CHSCT (Comité Hygiène de Sécurité et des Conditions de Travail) de s’emparer de la problématique, et de discuter du lien entre la décompensation psychique et le travail (art. L. 4614-7* du Code du travail). Sa contribution est en effet légalement requise en matière de protection de la santé mentale des salarié-es et la réalisation d’enquêtes après un accident du travail/ de service fait partie de ses missions (art. L. 4612-5 du Code du travail, articles 53 du décret 82-853 pour la FPE et 41 du décret 85-603 du 10 juin 1985 pour la FPT). Rappelons que dans ce cadre, le temps nécessaire aux enquêtes n’est pas limité et est considéré de toute manière en plus du temps minimum dont disposent les membres du CHSCT…

Un important travail du CHSCT et de la section syndicale

  • En premier lieu, il faut veiller à préserver l’emploi et la santé du ou de la salarié- e concerné-e. Il faudra se poser la question de son retour sur le même poste sans risque pour sa santé mentale. Il faudra aussi envisager son retour dans les meilleures conditions possibles.
  • Les enjeux sont également collectifs : à partir du moment où l’on considère que l’origine du « pétage de plomb » se situe dans le travail, c’est tout le collectif professionnel qui est concerné. Le CHSCT devra donc s’atteler à comprendre ce qui, dans le travail, a pu entraîner cette crise, afin de prévenir toute récidive.
  • Il s’agit notamment de faire un arbre des causes sérieux qui permette de remonter aux causes de la situation en n’en excluant aucune. Il ne faut pas hésiter à entrer dans le détail (remarque du ou de la chef-fe, la machine qui tombe en panne, la pause abrégée…) c’est le détail qui fait entrer dans l’analyse de la situation…

A cet égard, il est important :

  • de situer l’accident dans le contexte et les évolutions professionnels récents : réorganisation, arrivée d’une nouvelle machine, changement des procédures d’évaluation, modifications et évolutions de l’organisation du travail, indicateurs…
  • d’articuler ce qui vient de se passer avec les rôles professionnels de chacun-e : qui doit faire quoi, comment ?
  • de bien écouter ce que disent les collègues concernant le rapport entre l’accident et le travail : y a-t-il déjà eu des événements du même type ? En quoi le travail a-t-il pu les favoriser ?

L’analyse de la situation se fait ainsi en lien constant avec ceux et/ou celles qui la subissent.

En conclusion l’importance de la prise en charge de ces questions nécessite de dépasser une prise en charge par le seul CHSCT. Les questions posées concernent autant les autres instances (CE, DP, CT, CAP, CTE)* que la section syndicale elle-même. Il est donc indispensable de penser l’action avec l’ensemble de l’équipe syndicale.


*CE : Comité d’Entreprise ; DP : Délégué du Personnel, CT : Comité Technique, CTE : Comité Technique d’Etablissement, CAP : Commission Administrative Paritaire.