L’OSAT (Observatoire de la Souffrance Au Travail), qui est une commission de Solidaires 59/62, avait décidé de rééditer les journées « et voilà le travail » de l’année dernière sous un format plus court.
C’est donc une journée « et voilà » qui était proposée à nos adhérents et militants le mardi 13 octobre à la Bourse du travail de Lille.
Les objectifs étaient de poursuivre notre réflexion sur le travail, et plus spécialement sur les nouvelles formes de management, afin d’armer militants et équipes syndicales face à ces pratiques plus insidieuses mais pas moins aliénantes.
Deux intervenantes étaient invitées à nous parler de leurs travaux et Pascal Vitte avait été sollicité pour faire le point sur les activités de la Commission nationale Santé et Travail.
Bénédicte Vidaillet, psychanalyste, enseignante et chercheuse qui travaille sur les organisations du travail nous parle de la clinique du travail et des travaux récents de Christophe Dejours ou d’Yves Clot pour amener les questions qu’elle entend traiter : comment créer un cadre de travail émancipateur pour conserver le désir de travailler, à quelles conditions organisationnelles cela est-il possible ? Le travail est à la fois facteur de santé et facteur de souffrance et cela tient essentiellement à l’écart de plus en plus important entre le travail prescrit et le travail réel, ce réel qui nous met en échec. « Travailler, c’est combler l’écart entre le prescrit et le réel », dit Christophe Dejours, soit ce que le sujet doit ajouter aux prescriptions. Le travail nous engage subjectivement et affectivement. Les règles de métier comme les collectifs de travail constituaient des ressources sur quoi s’appuyer mais les nouvelles organisations viennent parasiter le travail réel par les normes, les procédures et le contrôle sur fond d’individualisation, de concurrence entre salariés et de baisse des effectifs. Qu’est-ce qui a changé dans le travail ? Pourquoi le travail prescrit s’est de plus en plus éloigné du réel ? C’est sur ces questions qu’un débat s’engage avec la salle où les expériences de chacun viennent vérifier les thèses défendues par Bénédicte.
Pascal Vitte nous parle des campagnes menées par la Commission nationale Santé et travail autour des lois Macron et Rebsamen qui détricotent le Code du travail. Il renvoie à l’appel contre les lois Macron et met en garde contre la réforme des IRP à travers la Délégation Unique du Personnel (DUP). Pascal est aussi animateur de l’Observatoire du stress et des mobilités forcées (Orange), et il évoque à ce titre la crise sociale à France Télécom et les moyens que se sont donnés des syndicalistes pour en sortir à travers le travail des CHS-CT et la médiatisation.
Pour Danièle Linhart, directrice de recherche au CNRS et sociologue du travail, Taylor et Ford ne sont pas morts et on peut facilement retrouver leur trace dans les nouvelles formes de management. C’est la théorie de son dernier livre « La Comédie Humaine Du Travail ».
Le taylorisme a été un long processus de dépossession du savoir des travailleurs et Taylor a parcellisé ces savoirs pour mettre en œuvre une organisation scientifique du travail en s’emparant des savoirs et des métiers. Ford a fait passer cette dépossession en augmentant les salaires et Danièle fait remarquer que le problème du syndicalisme est d’avoir longtemps fermer les yeux sur les questions des conditions de travail contre des augmentations de salaire et des primes. S’en est suivi un discours idéologique adapté (travailler pour le bien de la société) et une intrusion dans la vie privée des salariés (mode de vie, hygiène…).
Quoi de commun avec ce qui se passe aujourd’hui ? Même si mai 68 est passé par là avec sa dénonciation du taylorisme, le patronat a profité des aspirations à l’individualisme, à la personnalisation en atomisant les collectifs et en déprofessionnalisant les salariés. Contre une certaine autonomie laissée aux salariés, on rationalise les coûts, les moyens et les temps : c’est le lean management. La concurrence s’instaure entre les salariés et c’est le règne des normes, des protocoles, des procédures et des méthodologies. En même temps s’exerce une séduction du salarié en flattant ses tendances les plus narcissiques et s’installe un management déstabilisateur (mobilité et organisations fluctuantes, lutte contre la « sur qualité ») qui consiste à « produire de l’amnésie ».
On le voit, les discours de Bénédicte et de Danièle convergent et il n’est pas surprenant que les débats soient de même nature (plaisir possible dans le travail, souffrance au travail, perversité des nouveaux discours managériaux, rôle des médias, servitude volontaire, abandon des histoires collectives pour une individualisation des destins, relais syndicaux complaisants…).
Des questionnements intéressants et des contenus riches qui alimenteront nos réflexions et nos actions, même si plusieurs participants auraient souhaité que soient plus clairement tracées des pistes pour l’action. Éternel problème !