FICHE N° 5
L’expertise CHSCT

Cette fiche a pour vocation de servir de support aux actions des équipes militantes des syndicats et fédérations de l’Union syndicale Solidaires. Elle entend donner quelques pistes pour qu’une expertise CHSCT puisse être la plus utile possible pour les travailleurs. Ce n’est pas un prêt à penser mais un outil pour aider à questionner, interroger, débattre, produire, échanger, confronter pour construire l’action syndicale avec les salariés.

Cette fiche s’adresse aussi bien aux CHSCT du secteur privé comme des 3 Fonctions Publiques. A noter que la Fonction Publique Hospitalière est globalement soumise au Code du Travail à l’instar du secteur privé.

A l’heure actuelle (mais cela va changer avec la fusion des IRP), les représentants du personnel au CHSCT peuvent déclencher une expertise dans 3 cas de figure que nous présenterons successivement : le risque grave, le projet important et le projet de restructuration et de compression des effectifs (accompagné bien souvent d’un PSE).

ATTENTION, ceci n’est valable que jusqu’à la fin de vos mandats actuels d’élus CHSCT. La fusion des instances de représentation du personnel prévue par les ordonnances Penicaud va réduire le droit à l’expertise aussi bien pour les CHSCT que pour les CE. Cette fusion interviendra à la fin de votre mandat et au plus tard 31 décembre 2019.


1- Expertise en cas de risque grave

Secteur privé et Fonction Publique Hospitalière (FPH) :

Selon l’article L4614-12 du Code du Travail : « le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut faire appel à un expert agréé :
Premier cas de figure : « 1° Lorsqu’un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l’établissement.
»

Fonction Publique d’Etat (FPE) et Fonction Publique Territoriale (FPT)

Selon l’article 55 du décret du 28 mai 1982 (FPE) et article 42 du décret du 10 juin 1985 (FPT) : « Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut demander au président de faire appel à un expert agréé conformément aux articles R. 4614-6 et suivants du code du travail :
1° En cas de risque grave, révélé ou non par un accident de service ou par un accident du travail ou en cas de maladie professionnelle ou à caractère professionnel
»

A noter : les deux textes sont quasiment identiques à une différence (de taille) près : dans la Fonction Publique, l’expertise CHSCT n’est pas une prérogative pleine et entière des représentants du personnel. Ces derniers demandent au Président du CHSCT de mettre en œuvre une expertise c’est à dire qu’ils doivent avoir son aval pour le faire/ce dernier doit être d’accord.

Qu’est-ce qu’un risque grave ?

Les textes ne font explicitement référence qu’à l’accident du travail ou à la maladie professionnelle. Ainsi, le cas d’un accident du travail grave voire mortel est le plus évident et prête difficilement à contestation tout comme celui d’une augmentation des maladies professionnelles. Encore faut-il qu’elles soient rendues visibles par exemple dans le rapport de la médecine du travail ou bien les données RH. Or, on constate bien souvent une sous-déclaration de ces maladies surtout si elles ne sont pas inscrites aux tableaux de la sécurité Sociale (c’est le cas par exemple des dépressions d’origine professionnel).

Le risque grave pour la santé et la sécurité des travailleurs peut aussi être constaté à la suite d’une inspection des lieux de travail, d’un droit de retrait (individuel) et/ou d’alerte (collectif) en présence d’un danger grave et imminent (DGI), d’un taux absentéisme maladie important, d’incidents récurrents, de situation de harcèlement, d’accident grave ou mortel.. Il peut s’agir de risques physiques pouvant affecter la santé des personnels (bruits excessifs, poussières irritantes, rayonnements…) comme de risque pour la santé mentale et psychologique des travailleurs.

La jurisprudence constante de ces dernières années insiste sur le caractère identifié et actuel du risque (la loi sera modifiée en ce sens avec les ordonnances Pénicaud). Autrement dit, un risque potentiel n’ouvre pas droit à l’expertise. Concrètement, cela signifie qu’à l’appui de leur demande d’expertise, les représentants du personnel doivent apporter des éléments de preuve à travers par exemple des enquêtes du CHSCT dans le ou les services concernés, des droits d’alerte dans le cadre des DGI, des extraits de PV de CHSCT, des rapports, courriers ou interventions en CHSCT de la médecine du travail, des témoignages (au pluriel) de salariés ou bien encore les carences du plan de prévention ou du Document Unique d’Evaluation des Risques Professionnels (DUERP) dénoncés et rendus visibles dans les PV de CHSCT.

Le recueil de données internes à l’entreprise (à demander à l’employeur lors des réunions de CHSCT précédant le vote de l’expertise) concernant le périmètre de l’expertise (toute l’entreprise ou un service en particulier) montrant une évolution négative de l’absentéisme maladie ou bien un fort accroissement du nombre de démissions, de ruptures conventionnelles ou de licenciement pour faute peut également être utile dans la démonstration de la preuve. Tous ces éléments sont à réunir avant le vote de l’expertise.

Par ailleurs, l’expertise pour risque grave vient en dernier lieu, une fois tous les recours du CHSCT épuisés : enquête, problématique déjà abordée en CHSCT, mais non résolue. En bref, à moins d’un accident grave nécessairement immédiat, une expertise risque grave se construit dans le temps en accumulant les éléments de preuve, ce qui diminue les risques de contestation ou pour le moins le fait que le juge donne raison à l’employeur et annule l’expertise.

L’expertise pour risque grave n’est pas soumise à un délai de réalisation.

2- Expertise en cas de projet important

Ce sont les mêmes textes (article L.4614-12 du Code du Travail et article 55 du décret de 1982) qui s’appliquent en cas de projet important.

« Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut faire appel à un expert agréé :
2° En cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail
» prévu à l’article L. 4612-8-1 du Code du Travail ou l’article 57 (pour la FPE) et 45 (pour la FPT). La rédaction des articles 57 et 45 est la reprise intégrale de l’article L4612-8-1.

Article L4612-8-1 : le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail est consulté avant toute décision d’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l’outillage, d’un changement de produit ou de l’organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail.

Il s’agit de changements significatifs susceptibles d’avoir des effets sur la santé, la sécurité, et plus largement, les conditions de travail des travailleurs concernés. Le nombre de travailleurs concernés a également son importance même s’il ne détermine pas à lui seul l’importance du projet. En tout état de cause, ce dernier un nombre significatif de travailleurs d’un service ou d’une entreprise si le CHSCT souhaite mettre en place l’expertise.

Par exemple, cela peut être un projet de déménagement et/ou de réaménagement des espaces de travail, une réorganisation des rythmes de travail et/ou des horaires de travail, des postes de travail, l’introduction de méthode d’organisation (Lean management, Kaizen…), de nouvelles applications informatiques, une nouvelle organisation créant des situations de risque (travail isolé, travail de nuit), une fusion de services, un nouveau système d’évaluation etc.

3- Expertise en cas de projet de restructuration ou de compression des effectifs dans le secteur privé

Il s’agit d’une déclinaison de l’article du travail sur le projet important.

Selon l’article L4614-12-1, « l’expert, désigné lors de sa première réunion par le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou par l’instance de coordination prévue à l’article L. 4616-1 dans le cadre d’une consultation sur un projet de restructuration et de compression des effectifs mentionné à l’article L. 2323-31, présente son rapport au plus tard quinze jours avant l’expiration du délai mentionné à l’article L. 1233-30. »

L’avis du comité, et le cas échéant, de l’instance de coordination est rendu avant la fin du délai prévu au même article L. 1233-30. A l’expiration de ce délai, ils sont réputés avoir été consultés.

La question du délai dans le cadre d’un projet important et d’un projet de restructuration et de compression des effectifs

Ces expertises doivent être réalisées dans un délai de 30 à 45 jours.

De plus, ce délai est inséré dans un délai global de consultation des instances qui varie selon les instances concernées (CE, CCE, ICCHSCT) ou bien selon la nature du projet (projet important ou PSE). Ainsi, dans le cadre d’un PSE, le délai varie selon le nombre de suppressions d’emploi envisagées (L.1233-30 et 31).

Dans le cas d’un projet important concernant le seul CHSCT (les autres instances ne sont pas consultées), le CHSCT a un mois à compter de la remise des documents pour rendre un avis et 2 mois s’il fait appel à expert CHSCT. Cela implique également une prise de contact et une désignation rapide afin que l’expertise puisse être réalisée dans un délai d’au moins 45 jours.

L’avis du CHSCT doit être remis 7 jours avant celui du CE, du CCE ou bien de l’ICCHST. En effet, à l’issue du délai, l’avis sera réputé rendu comme avis négatif même si le CHSCT ne rend pas d’avis ou si le rapport d’expertise n’est pas remis 15 jours avant la consultation du CHSCT dans le cadre d’un projet de restructuration des effectifs ou PSE (L.4614-12-1)1.

En effet, la Loi de Sécurisation de l’Emploi (LSE) et les lois suivantes (Rebsamen, El Khomri) ont instauré des délais préfix de consultation dépendant de la consultation des autres instances (CE, CCE, ICCHSCT2).

Dans tous les cas de projet, le délai débute à la remise des documents au CE, CCE ou ICCHSCT. Depuis ces nouvelles lois, l’ordre du jour et les documents correspondants doivent désormais être remis 8 jours avant la première réunion contre 15 jours précédemment.

Aussi, afin que les représentant du personnel et l’expert puissent travailler ensemble et déterminer la bonne stratégie, il est primordial que la réunion du CHSCT ait lieu le lendemain ou les jours suivants celle du CE ou du CCE. Nous leur suggérons de contacter le cabinet de leur choix le plus en amont possible de la consultation.

La LSE a imposé par l’article L2323-1 du Code du travail un nouveau cadre de consultation dès lors qu’il y a un CE ou un CCE :
« Le comité d’entreprise est informé et consulté sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise et, notamment, sur les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail, les conditions d’emploi, de travail et de formation professionnelle. »

Quasiment tous les projets peuvent entrer dans ce cadre. Une fois que le CE, voire le CCE est consulté, cela conditionne la consultation du CHSCT par l’article L2323-3 du Code du travail. À nouveau, le CHSCT se retrouve en situation de délai préfix (R 2323-1-1). Toutefois il existe une possibilité pour les représentants du personnel au CE ou CCE de négocier un accord sur les modalités de consultation. Ainsi, quand cela est possible, le CHSCT doit se coordonner avec les autres instances pour accroître ses leviers d’action.

Le cas de l’instance de coordination des CHSCT (ICCHSCT L4616-1)

Selon l’article L4616-1, l’employeur peut désormais constituer une instance de coordination des CHSCT (ICCHSCT) dans le cadre d’un projet qui concerne plusieurs CHSCT. Cette instance est temporaire. Sa composition et son fonctionnement sont déterminées pas un accord collectif, ou en son absence, par les dispositions de l’article L4616-2 du Code du travail. L’ICCHSCT peut désigner un expert CHSCT.
Si l’ICCHSCT permet d’avoir une analyse globale, elle peut passer à côté de problématiques locales spécifiques. Afin que les points épineux ne soient pas éludés, la participation des élus au choix des sites et une demande précise co-construite avec l’expert sont incontournables.

4- Le tribunal de grande instance (TGI), recours de l’employeur dans le privé

L’article L4614-13 modifié par la Loi Travail d’août 2016 indique :
« Lorsque l’expert a été désigné sur le fondement de l’article L. 4614-12-1, toute contestation relative à l’expertise avant transmission de la demande de validation ou d’homologation prévue à l’article L. 1233-57-4 est adressée à l’autorité administrative, qui se prononce dans un délai de cinq jours. Cette décision peut être contestée dans les conditions prévues à l’article L. 1235-7-1. »

Ce paragraphe concerne les expertises déclenchées dans le cadre des projets de restructuration et compression des effectifs. La contestation est adressée non pas au TGI mais à la DIRECCTE qui doit homologuer le PSE.

« Dans les autres cas, l’employeur qui entend contester la nécessité de l’expertise, la désignation de l’expert, le coût prévisionnel de l’expertise tel qu’il ressort, le cas échéant, du devis, l’étendue ou le délai de l’expertise saisit le juge judiciaire dans un délai de quinze jours à compter de la délibération du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou de l’instance de coordination mentionnée à l’article L. 4616-1. Le juge statue, en la forme des référés, en premier et dernier ressort, dans les dix jours suivant sa saisine. Cette saisine suspend l’exécution de la décision du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou de l’instance de coordination mentionnée à l’article L. 4616-1, ainsi que les délais dans lesquels ils sont consultés en application de l’article L. 4612-8, jusqu’à la notification du jugement. Lorsque le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou l’instance de coordination mentionnée au même article L. 4616-1 ainsi que le comité d’entreprise sont consultés sur un même projet, cette saisine suspend également, jusqu’à la notification du jugement, les délais dans lesquels le comité d’entreprise est consulté en application de l’article L. 2323-3.
Les frais d’expertise sont à la charge de l’employeur. Toutefois, en cas d’annulation définitive par le juge de la décision du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou de l’instance de coordination, les sommes perçues par l’expert sont remboursées par ce dernier à l’employeur. Le comité d’entreprise peut, à tout moment, décider de les prendre en charge dans les conditions prévues à l’article L. 2325-41-1.
»

L’employeur peut contester sur tout ou partie des cinq motifs définis : bien-fondé de l’expertise, délai, périmètre, coût prévisionnel (habituellement défini par l’expert dans sa lettre de mission cf. devis auquel il est fait référence), désignation de l’expert (dans le cas où il n’est pas agréé). Il doit le faire dans les 15 jours suivant le vote de l’expertise. Autre nouveauté introduite par la Loi Travail : le juge statue en dernier ressort (pas de demande de jugement en appel possible) dans les 10 jours suivant sa saisine, le recours suspendant l’expertise et donc les délais de consultation des instances. Il reste à savoir si l’engorgement des tribunaux permettra de respecter ce délai. Dernier changement apporté par la loi : si le coût de l’expertise reste à la charge de l’employeur, la loi précise que si le juge donne raison à l’employeur et annule la décision ou la délibération du CHSCT, alors l’expert devra procéder au remboursement des sommes perçues pour le travail engagé à moins que le CE ne s’y substitue sur son budget de fonctionnement.

Pour faire face à la contestation de la délibération devant le TGI, la préparation soignée de la délibération est essentielle. Le tribunal siège et rend sa décision relativement rapidement.

5- Quel recours possibles dans la FPE et la FPT ?

C’est une différence essentielle avec le secteur privé : le CHSCT peut décider de recourir à un expert mais c’est le président qui a le dernier mot. Ainsi, lorsque l’administration refuse une expertise, sa décision doit être substantiellement motivée et communiquée au CHSCT (et CHSCT ministériel concerné dans la FPE).

Au vu de cette réponse, si le CHSCT est en désaccord avec le président, il peut actionner la procédure prévue aux articles 5-5 (FPE) et 5-2 (FPT) à savoir saisir dans un premier temps l’inspecteur santé et sécurité au travail (ISST dans la FPE) ou l’agent chargé d’une fonction d’inspection (ACFI dans la FPT) puis dans un second temps l’inspection du travail. Cette procédure donnera lieu à un rapport de l’inspection du travail puis à une réponse de la direction concernée dans les 15 jours. En cas de désaccord, l’inspection du travail adresse un rapport au ministre de tutelle qui doit y répondre dans un délai d’un mois.

La décision finale revient bel et bien à l’administration qui est à la fois juge et partie.

Cependant en présence d’un dossier solide, bien étayé et argumenté pour lequel l’expertise a été demandée, les équipes syndicales pourront engager un recours devant le tribunal administratif.

Le choix de l’expert : marché public ou pas ?

En plus de ne pas avoir le dernier mot, les CHSCT de la FPE et de la FPT n’ont pas le choix de l’expert. La FP exige que le choix de l’expert passe par un appel d’offres dans le cadre des règles de mise en concurrence dans la mesure où aucun texte, ni aucune jurisprudence ne reconnaissent la personnalité juridique des CHSCT, contrairement aux CHSCT relevant du code du travail.

Dans la FPH, plusieurs jugements ont considéré que les CHSCT des établissements hospitaliers soumis au Code du Travail n’étaient pas tenu de respecter l’ordonnance du 6 juin 2005 relative aux marchés publics.

Cependant, à la suite de l’ordonnance du 23 juillet 2015 qui a modifié les procédures de passation des marchés publics, la Direction des Affaires Juridiques (DAJ) du Ministère des Finances et des Comptes publics a apporté les précisions suivantes à la Fédération Hospitalière de France qui l’interrogeait : la distinction entre services prioritaires et non prioritaires étant abandonnée, le recours à un expert agréé devra – si le montant est supérieur à un certain seuil – respecter la procédure de passation des marchés publics (publicité et mise en concurrence). La DAJ considère que, d’un côté, les CHSCT poursuivent une activité d’intérêt général, et de l’autre, que cette activité est financée majoritairement par les établissements publics de santé. En conséquence (en l’absence de décision de la Cour de Cassation), « il est juridiquement risqué de considérer que les CHSCT ne sont pas des pouvoirs adjudicateurs et, en conséquence, qu’ils ne sont pas soumis, pour le recours aux mesures d’expertise, à la réglementation des marchés publics ».

Dans un autre courrier la DAJ écrit : la répartition des responsabilités entre l’ordonnateur (l’employeur public) et le CHSCT sur la démarche et sur le choix final du prestataire, il n’est, en revanche, pas possible de formuler un avis.

Toutefois cette analyse est contestée par des juristes et des cabinets d’expertise. Il est donc important pour les équipes de continuer à passer outre et faire reconnaître leurs droits.

6- Les frais d’expertise

Dans le secteur privé comme dans la fonction publique les frais d’expertise sont à la charge de l’employeur mais avec des limites introduites par la loi travail du 8 août 2016 :

L 4614- 13 : « Toutefois, en cas d’annulation définitive par le juge de la décision du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou de l’instance de coordination, les sommes perçues par l’expert sont remboursées par ce dernier à l’employeur. Le comité d’entreprise peut, à tout moment, décider de les prendre en charge dans les conditions prévues à l’article L. 2325-41-1. »

Article L4614-13-1 : « L’employeur peut contester le coût final de l’expertise devant le juge judiciaire, dans un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle l’employeur a été informé de ce coût.
Les frais de justice éventuels en cas de contestation de l’employeur sont également à la charge de ce dernier. Toutefois les juges disposent d’un total pouvoir souverain d’appréciation pour évaluer les sommes mises à la charge de l’employeur. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi d’un CHSCT qui avait vu ses dépenses d’avocats limitées par les juges « rappelant qu’en cas de contestation, il incombe au juge de fixer le montant des frais et honoraires d’avocat, exposés par le CHSCT, qui seront mis à la charge de l’employeur en application de l’article L. 4614-13 du code du travail, au regard des diligences accomplies.
» Cass. soc., 22 février 2017, n° 15-10548

Cette jurisprudence vient d’être réaffirmée dans une décision du 21 juin 2017 Cass. soc., 21 juin 2017, n° 15-27506.

7- L’utilité du recours à l’expert pour les CHSCT

Le droit au recours à l’expertise a été conquis dans une logique de contre-expertise afin que des situations comme celle de l’amiante où seuls les experts pro-patronaux avaient voix au chapitre cessent. Depuis des décennies, nous assistons à la généralisation de la mise en place d’un modèle d’organisation du travail centré sur l’individualisation du rapport au travail, de management par objectifs et indicateurs, l’évaluation du comportements et non du travail réalisé, qui se traduit par une dégradation de la santé au travail. Le développement du mal-être, de la souffrance psychique et de l’isolement des travailleurs viennent aggraver les risques professionnels et les conditions de travail. Ce modèle génère des restructurations permanentes, des projets de réorganisations incessants, l’introduction de méthodes d’organisations qui heurtent frontalement les salariés dans leur travail (lean). Les CHSCT ont donc plus que jamais un rôle important. Les situations se multiplient où le recours à l’expert peut s’avérer nécessaire pour comprendre ce qui est à l’œuvre et construire des actions de résistance et de transformation.

Il ne s’agit pas de simplement faire payer l’employeur pour illustrer un rapport de force imaginaire. Il ne s’agit pas non plus de sous traiter une difficulté à laquelle nous sommes confrontés. Trop souvent, les élus confient leur problème à un cabinet et attendent de lui des solutions toutes faites (des préconisations dans le langage des cabinets). Le recours à l’expertise doit être pensé comme un élément dans la construction de rapports de force seuls à même de faire reculer un employeur.

Les experts agréés sont des consultants des cabinets d’expertises. Ils apportent une capacité d’analyse avec des outils conceptuels développés par des disciplines scientifiques (sociologie et psychologie du travail, ergonomie, analyse du travail), des méthodologies d’investigations. Ainsi, l’ergonomie va s’intéresser à l’organisation du travail et aux conditions de travail concrètes à partir de l’analyse des situations réelles de travail.

Par ailleurs, le travailleur détient la connaissance concrète de son travail et les experts doivent s’appuyer sur cette connaissance.

L’intérêt de l’intervention externe doit résider pour nous dans cette rencontre entre ces deux expertises, dans la co-construction d’un diagnostic, dans la formalisation d’une analyse de la situation à risque ou du projet important, dans l’élaboration de pistes d’amélioration et de transformation allant dans le sens d’une amélioration des conditions de travail, de la santé au travail. Une expertise doit être au service des salariés.

L’avis argumenté du CHSCT et le vote de mesures de prévention auxquelles l’employeur doit répondre de manière motivé constituent un levier supplémentaire pour formaliser une fois de plus les revendications syndicales en matière de santé, sécurité et condition de travail. Cela peut alimenter les manquements de l’employeur en cas de contentieux collectifs ou individuels que le syndicat aurait à mener.

Le recours à l’expert est à construire de façon réfléchie en amont de l’expertise elle-même

Avant : La décision d’une expertise doit se faire après avoir été clairement définie en équipe syndicale :

  • Les objectifs poursuivis : les points sur lesquels les élus ont besoin d’un éclairage, les questions que nous avons besoin d’étayer (en quoi tel projet a des conséquences en cascade sur les conditions de travail ? lesquelles ? …), les problèmes à approfondir avec les travailleurs afin de dégager des perspectives et renforcer leur implication en faveur d’une transformation de leurs conditions de travail, les propres hypothèses des élus à valider ou non.
  • Les modalités du travail de co-construction avec les experts agréés ;
  • Le suivi tout au long de l’expertise et notamment la restitution comme outil de mobilisation auprès des salariés. L’utilisation que l’on veut en faire dans l’intervention syndicale, (à articuler avec les élus des autres IRP et la section syndicale), avant, pendant et après l’expertise.

Ainsi une expertise se prépare avec les experts pressentis avant même leur désignation en CHSCT. C’est à partir de là que l’on formulera la mission de l’expert et qu’on choisira le type de cabinet auquel faire appel.
Pendant : les élus doivent y être associés, tenir un rôle de pilotage de l’expertise, à travers une commission de suivi du CHSCT ou des points d’étape prévus avec les représentants du personnel au CHSCT par exemple, prévue dans le cahier des charges ou la lettre de mission élaborée par le cabinet d’expertise. Ils doivent prévoir des temps d’information et de retours réguliers des experts, pour mettre en débat les analyses de l’expert parmi les élus mais aussi parmi les salariés.

Après : la restitution du rapport d’expertise ne doit pas se limiter aux élus du CHSCT et à la direction, mais à l’ensemble du personnel (publier le rapport et/ou une synthèse sur internet par ex., faire des réunions d’information). Ensuite, avec les éléments mis à jour, une partie servira à alimenter les propositions des représentants du personnel, notamment dans le cadre du plan annuel de prévention des risques (PAPRIPACT), et/ou pourra nourrir de nouveaux axes pour l’action syndicale. Si l’expertise a pu se dérouler dans de bonnes conditions, les temps d’échange avec et entre les travailleurs, cela peut favoriser leur motivation pour que la situation évolue, au moins sur certains sujets particulièrement sensibles. C’est donc le moment d’engager l’action syndicale à l’appui des propositions des représentants du personnel au CHSCT.

8- Passons aux actes

Le recours à une expertise ne nécessite pas obligatoirement une inscription explicite à l’ordre du jour, le fait qu’il y ait un lien avec un des points inscrits à l’ordre du jour est suffisant.

Une délibération doit être votée par le CHSCT (majorité des présents, en cas d’égalité des voix, c’est le non qui l’emporte). Les contacts en amont avec les experts auront dans bien des cas permis de rédiger ensemble la résolution afin d’anticiper le recours éventuel de l’employeur.

La délibération doit comporter :

  • L’objet du recours : risque grave ou projet important, accompagné d’un argumentaire étayé par des faits, démontrant que le risque grave est avéré ou qu’il s’agit bien d’un « projet important » (au sens de la jurisprudence par exemple : nombre ou pourcentage de salariés concernés, importance des changements prévus), et compréhensible par un juge éloigné des problématiques de l’entreprise ;
  • La désignation d’un cabinet d’expertise et sa mission (en quelques lignes : analyser, établir un diagnostic de la situation / du projet, faire un pronostic sur les conséquences, risques sur la santé, dégager des pistes d’améliorations que le CHSCT développera, par exemple).
    (Voir un peu plus loin les particularités de la FPE et FPT dans le choix de l’expert)
  • La désignation d’un élu (en général le secrétaire) avec mandat de représenter le CHSCT pour l’exécution de la délibération, les procédures judiciaires que l’employeur peut intenter.

Le déroulement de l’expertise :

Une fois la délibération votée, si l’employeur ne la conteste pas ou si l’avis du TGI l’impose, l’expertise va pouvoir se dérouler.

En plusieurs étapes :

  • La phase d’instruction de la demande lors de laquelle le cabinet d’expertise rencontre les élus au CHSCT ainsi que la direction (en présence ou non des représentants du personnel au CHSCT. On note que les pratiques divergent selon les cabinets d’expertise). Cette phase va permettre de recueillir les éléments nécessaires à l’élaboration d’une lettre de mission (ou convention) qui détaillera la demande des élus, la méthodologie mise en œuvre (pré-enquête, éventuellement questionnaire, documents de l’entreprise consultés, nombre d’entretiens, nombre d’observations de situations de travail, quels postes de travail, rencontres intermédiaires avec les élus, forme de la restitution : au CHSCT, aux salariés, etc.) , le calendrier prévisionnel, les règles déontologiques, le coût prévisionnel. Les élus doivent être associés à son élaboration. Cette réunion permettra aussi de se mettre d’accord sur les modalités d’organisation de l’expertise (calendrier prévisionnel, information des salariés, inscription aux entretiens, etc.).
  • La signature de la lettre de mission ou convention tripartite (cabinet, lu mandaté et Président du CHSCT). A noter que la direction n’a pas l’obligation de signer une convention d’expertise sans pour autant contester l’expertise auprès du TGI.
  • Pour le motif (2) « projet important », l’intervention doit être réalisée dans un délai de 30 à 45 jours (R4614-18). Dans le cas du risque grave il n’y a paradoxalement pas de délai prévu par le Code du Travail.

Il existe différentes méthodologies d’intervention suivant les cabinets, mais globalement elles comportent toutes relativement aux critères d’agrément définis par le Ministère du Travail :

  • une étude documentaire (organigrammes, projet, PV de réunions et de CHSCT, composition et typologie du personnel, tableaux de service, etc.) ;
  • des entretiens individuels et/ou collectifs avec un panel significatif (du point de vue des situations de travail concernées) de salariés de tous niveaux (dont la ligne hiérarchique) ainsi que des acteurs institutionnels (direction, médecin du travail, assistant(e) social(e), préventeur, etc) ;
  • l’observation in situ de situations de travail.

Tous les intervenants ont des règles de déontologie touchant au volontariat et à la confidentialité des données et observations recueillies, à une validation ou relecture par le salarié avant utilisation quand ce dernier le demande.

  • La remise d’un pré-rapport au CHSCT pour recueillir des remarques éventuelles.
  • La restitution orale devant le CHSCT et la remise d’un rapport final (env. 100 p.).

Il est souhaitable (indispensable) d’inscrire dans le cahier des charges la fourniture d’un rapport de synthèse qui permet une plus grande appropriation et diffusion parmi le personnel.

Il est important de veiller à la lisibilité du rapport, de ne pas accepter des termes techniques ou conceptuels sans définition ni explication ; le rapport doit être lisible et compréhensible par tous.

Si ce n’est pas le cas, les intervenants doivent revoir leur copie.

Il faut réfléchir à ce stade à :

  • une restitution la plus large possible par les intervenants, par exemple dans des réunions des services concernées (quoique l’employeur soit en droit de la refuser) ;
  • envisager un suivi dans le temps des suites de l’expertise avec les intervenants. Toutefois, il faut savoir que les cabinets d’expertise n’ont pas la possibilité, du fait de leur agrément délivré par le Ministère du Travail, d’accompagner le CHSCT suite à la mission d’expertise. Ce suivi est alors officieux, il peut difficilement apparaître dans une lettre de mission.

L’action syndicale :

Pendant le déroulement de l’intervention, le CHSCT et/ou l’organisation syndicale doit absolument communiquer en direction des travailleurs. Expliquer le pourquoi de l’intervention, mettre en débat les hypothèses.

Après l’intervention : voir comment est utilisable et diffusable le rapport (le CHSCT peut voter la diffusion du rapport ou de sa synthèse à l’ensemble des salariés voire à d’autres CHSCT de l’entreprise), en diffuser largement au moins une version courte, voir comment intégrer dans les tracts un certain nombre de données issues du rapport, comment s’appuyer sur les observations, pour asseoir la légitimité des revendications.

Rappel : la commission Santé Conditions de travail Solidaires est preneuse des rapports d’expertises et du matériel syndical associé.


1 Ce délai entre la remise du rapport d’expertise et la consultation du CHSCT peut être réduit dans tous les autres cas de projet à 8 jours, nouveau délai de remise des documents correspondants à l’ordre du jour d’une réunion (voir plus bas).2 Instance de Coordination des CHSCT mise en place à l’initiative de l’employeur dans le cas de projet concernant plusieurs CHSCT de l’entreprise.


1- Qui sont les experts agréés ?

Il s’agit de cabinets de consultants regroupant de quelques intervenants à une cinquantaine.
En 2015, 99 cabinets sont agréés par le Ministère du Travail pour une durée de 1 à 5 ans. Le Code prévoit (R 4614-6) deux domaines d’agrément : 1) santé et sécurité au travail, 2) Organisation de travail et production.
Beaucoup d’entre eux sont liés aux confédérations syndicales par des liens historiques plus ou moins étroits. Certaines OS privilégient le recours à certains cabinets. Pour Solidaires, c’est d’abord l’analyse du problème, les compétences nécessaires, la méthodologie utilisée, la rencontre préalable avec les intervenants qui doivent guider un CHSCT dans le choix du cabinet d’expertise.
Ces cabinets font appels ou regroupent plusieurs compétences : analystes du travail, ergonomes, psychologues du travail, sociologues, ingénieur hygiène sécurité.
Certains sont plutôt spécialisés dans un secteur (la chimie par ex), leur approche est différente et recoupe les différents courants qui existent dans les disciplines universitaires sur le travail : psycho-dynamique du travail, clinique du travail, ergonomie…
Attention, une expertise n’est jamais neutre, l’objectivité scientifique est un leurre. Le reproche d’une expertise CHSCT “partisane“ est souvent fait par la direction ou craint par les élus. L’expertise doit défendre un point de vue : celui de la santé des travailleurs, de conditions de travail correctes, le point de vue du travail et non celui du compromis entre rendement productif et taux d’accidents « acceptable » !

2- Solidaires et les cabinets d’expertises

La plupart des organisations syndicales ont des relations privilégiées avec un cabinet « ami ». A Solidaires nous recherchons la qualité et l’utilité des expertises pour l’action syndicale. Il y a d’abord la méthode, l’approche qui est fonction du problème posé, des compétences requises : ergonomie, psychologie du travail, sociologie, etc, et de l’expérience des experts qui réaliseront concrètement la mission. Ensuite, la pratique du cabinet, la façon dont il accepte d’être piloté par les élus du CHSCT, de travailler constamment avec les élus.
Pour ces raisons, si Solidaires peut avoir un a priori favorable avec plusieurs cabinets, les équipes ne doivent pas hésiter à rencontrer plusieurs intervenants dans la phase de construction de l’expertise, comme de s’appuyer sur l’expérience d’autres équipes syndicales.
En février 2015 dans un contexte de remise en cause des instances de représentation des salarié-es et de leurs prérogatives près de 30 cabinets d’experts CHSCT et d’intervenants sur les questions de santé au travail ont décidé de créer l’association des experts agréés et intervenants auprès des CHSCT (ADEAIC). L’association place les questions de la santé et des conditions de travail des salarié-es au centre de ses préoccupations, dans le sens des principes généraux de prévention inscrits dans le Code du travail. L’ADEAIC est membre du collectif pour la santé des travailleuses et des travailleurs.

3- Combien ça coûte ? (au patron)

Le tarif est de l’ordre de 1400 euros la journée d’intervention dans l’entreprise par consultant plus les frais. Les consultants compétents interviennent au moins en binôme (l’équipe peut être plus importante en fonction du nombre de jours facturés). Le nombre de jours d’intervention est arrêté dans la lettre de mission ou convention. Bref, cela se compte rapidement en dizaines de milliers d’euros.