FICHE N° 4
Donner la parole aux salariés

Une pratique syndicale d’écoute pour développer l’action collective

Le syndicalisme « Solidaires » s’est affirmé sur une volonté de construire à partir du terrain… Face à une dérive d’absorption du syndicalisme dans l’institutionnel, la création de l’Union Syndicale Solidaires entend donner une place prépondérante aux acteurs de la transformation sociale que sont les salariés-e-. La présence sur le terrain, là où se posent les problèmes est incontournable…

Dans les analyses que nous avons sur les questions du travail, nous insistons systématiquement sur une démarche qui prend en compte la parole des salarié-e-s. Face au développement du mal-être au travail, allant des douleurs musculaires à l’épuisement, aux troubles de la concentration, à l’irritation, à l’angoisse, du stress au burn out, parfois au suicide, nous pensons que la prise en charge syndicale nécessite de s’interroger sur la place des salarié-e-s.

C’est souvent par la demande individuelle d’un collègue ou par les plaintes de groupes de salariés que les questions du travail nous interpellent… « Je suis victime de pressions (ou de harcèlement)… », « On ne peut plus faire notre travail à cause du chef qui est sur notre dos en permanence…. », « Il y a une mauvaise ambiance, tout le monde se tire dans les pattes… », « On se fait insulter à longueur de journée et on n’est pas reconnu dans notre travail… ». Autant d’exemples de paroles entendues sur le lieu de travail, à la cantine ou au local syndical.

Les directions…

Elles ne sont pas totalement sourdes aux plaintes et vont le plus souvent développer des initiatives qui renforcent l’individualisation et l’isolement des salariés et leur culpabilisation. Elles vont multiplier les fausses pistes… D’un côté, un discours managérial sur les « gagneurs », la performance, la multiplication des gadgets, challenges,enquêtes,questionnaires, groupes de paroles, cellules d’écoute, « tickets psy », numéros verts téléphoniques avec des psychologues qui vous répondent 24h/24… Le mode de traitement choisi par la Direction renvoie le salarié à sa supposée « faiblesse » et le culpabilise. A lui d’apprendre à gérer son stress, à faire l’effort de retrouver son dynamisme. Des formations à la gestion du stress, des guides de bonnes pratiques, une « ingénierie » du comportement seront alors proposés. A aucun moment ne sont évoqués l’intensification du travail, l’organisation du travail, le sens du travail car il ne faut pas mettre en cause les objectifs et les méthodes de l’entreprise. Aucune de ces pratiques ne s’attache à comprendre les origines des difficultés liées à l’organisation du travail. Les entreprises multiplient les fausses solutions pour éluder les vrais problèmes et court-circuiter les organisations syndicales.

…..Et nous

Sur les questions de « souffrance au travail » et plus généralement sur toutes les questions relatives au travail (conditions, organisation du travail, tâche…), c’est sur la compréhension de ce que vivent les salariés dans l’activité de travail que notre pratique syndicale est importante. Il faut être à l’écoute de ce que disent les salarié-e-s pas seulement pour en comprendre les effets (nous ne sommes pas médecins ni « assistants sociaux ») mais beaucoup plus en interrogeant les causes, sur ce qui dans le travail et son organisation pose problème…

Interroger les salariés sur ce qui est à l’origine de leurs difficultés présente plusieurs avantages :
– Cela permet d’abord aux salariés de comprendre ce qu’il vivent au travail, ce qui leur arrive, comment cela est arrivé et pourquoi. La « mise en mots », la formalisation, l’expression permet d’avancer. Plus on va poser de questions aux salarié-e-s sur ce qui se passe concrètement, au plus près du travail, plus nous l’aiderons à passer d’une posture de « victime », de « coupable », à une posture « d’acteur » et à ainsi dépasser le fatalisme…
– Cela permet aussi à la section syndicale d’enrichir considérablement sa réflexion, sa connaissance, son analyse sur la réalité vécue tous les jours par les salariés. Remonter « l’arbre des causes » avec un salarié ou un groupe de salariés, c’est passer d’une réflexion d’un cas individuel à la possibilité d’échanger avec d’autres collègues, d’autres groupes et progressivement se donner les outils d’une action collective…
Notre pratique a ainsi pour objectif de passer de réflexions individuelles, de situations d’isolement à une réflexion collective pour permettre l’action. Réfléchir à ce qui fait lien, à ce qui peut devenir la base de solidarités c’est s’efforcer d’inverser les dérives à partir du vécu de chacun…

Interroger aussi sur ce que les salariés s’efforcent de promouvoir, de conserver…

Il y a de multiples lieux où la parole des salariés peut être prise en compte. Là où par exemple il existe des heures d’information syndicales, mais aussi à la cantine, dans les lieux où se retrouvent les fumeurs pour « en griller une », au local syndical… Sans donner de « recettes miracles », ni méconnaître les difficultés ou « les pièges » , ce qui nous semble important c’est que l’ensemble des militants syndicaux soient à l’écoute des salariés et mettent en question l’organisation du travail.

Pour Solidaires, la parole des salarié-e-s doit être au coeur de la pratique. La prise en compte de cette parole nécessite qu’il y ait ensuite une réflexion au sein de la section syndicale en lien avec ceux qui se sont exprimés. Le risque serait par exemple de plaindre le salarié et de ne pas donner de suite à cette plainte parce que l’on ne sait pas quoi faire de ce qui nous est confié… Le risque peut être aussi de faire à la place des intéressés. On peut aussi considérer que l’origine des problèmes rencontrés est à rechercher dans le système économique qu’il faut changer (ce qui n’est pas faux…) mais si on en reste à cette affirmation, cela laisse le salarié avec sa souffrance sur le dos. L’utilisation de la parole des salariés (notamment la publication de ce qui nous a été confié) n’est possible qu’avec leur accord et sans déformer les propos.

« Parler avec », « écouter », « faire parler » les salarié-e-s, est une nécessité pour connaître et pour agir collectivement.

A l’exemple d’une maladie où l’on a besoin d’interroger précisément les malades pour savoir ce qui fait mal, le ressenti, les conditions dans lesquelles la maladie est apparue, la souffrance au travail ne peut se dire que par ceux qui la vivent. Qu’est-ce qui se passe ? Comment elle est arrivée ? L’environnement doit être largement interrogé et notamment : qu’est ce qui a changé dans le travail…? Il ne s’agit pas toujours (heureusement) d’une souffrance pathologique mais souvent d’un sentiment diffus de « mal- être », d’incompréhension sur ce qui est imposé au travail.

Et pour agir collectivement, il est nécessaire de commencer par comprendre concrètement et le plus précisément possible ce qui est à l’origine des difficultés.

Il ne faut pas sous-estimer les difficultés de l’écoute pour un-e militant-e syndical. Ne pas tout savoir sur le travail, accepter de se mettre en écoute et en apprentissage, faire l’effort de comprendre que face à une situation identique ou un travail comparable, chaque être humain réagit différemment… On ne sait pas tout, et dans les situations d’écoute, ce ne sont pas des grilles de lecture ou des analyses a priori qui peuvent aider, au contraire… Et en même temps qu’il faut accepter d’apprendre comment réagissent les collègues de travail, il faudra que cela permette de faire avancer, de résoudre (même partiellement) les problèmes posés.

Il faut aussi être attentif aux difficultés pour le salarié mal en point pour s’exprimer. Un-e militant-e syndical n’est pas médecin et il est parfois nécessaire (dans les situations extrêmes) d’orienter vers d’autres prises en charge. Dans beaucoup de départements, il existe par exemple des services spécialisés de consultation « Santé et Travail ». On peut parfois donner les coordonnées des services aux salarié-e-s particulièrement affectés par ce qu’ils vivent…

Passer de la plainte à la « maîtrise de son travail », se « ré-approprier » des marges d’action

Le travail devient intenable lorsque l’on est submergé par lui, que l’on n’arrive plus à le maîtriser (parce qu’il y en a trop, qu’il n’a plus de sens, que les prescriptions ne correspondent pas à ce qui est attendu, que l’on a plus de marges et d’initiatives possibles, que l’on est managé par la menace, que l’on est seul, etc…). Il s’agit donc de rendre au salarié de la maîtrise sur son travail, (certains praticiens parlent de redonner du « pouvoir d’agir »). Ceci passe par un échange et des questions sur son activité concrète : qu’est-ce qui lui permet de bien la réaliser, ce qui au contraire l’en empêche, qu’est-ce qui la lie au collectif ou au contraire l’isole ou la dresse contre les autres… Si la plainte peut s’exprimer individuellement, parler du travail pour en devenir maître se
fait collectivement, parce que le travail est toujours collectif (même si on est seul dans un bureau ou un chantier). C’est dans et avec le collectif que l’on trouve les solutions et donc les revendications qui amélioreront concrètement les conditions de santé au travail. C’est en confrontant les approches différentes, les point de vue sur l’activité, sur l’organisation, c’est en échangeant sur ce qui « fait sens » pour chacun que l’on peut avancer.

Dans cette logique, l’action sur les questions du travail ne relève pas seulement des CHSCT mais de l’ensemble des activités et des instances syndicales. Il convient de trouver le bon niveau de discussion pour rester au plus près de l’activité et en même temps de généraliser en faisant sens.

Ces questions sont au coeur de l’affrontement avec les Directions. Réfléchir en terme de « démocratie au travail », donne du sens à l’action syndicale.

Les salariés doivent rester possesseurs de leur expression

Si regagner la maîtrise de son travail passe par la parole des salariés, l’exigence est que les salariés, au sein et avec le collectif, restent possesseurs de leur parole, décident de ce qu’ils veulent en faire et au delà de ça, tentent de devenir maîtres de ce qu’ils font.

Le syndicaliste doit donc se méfier d’utiliser ces paroles ; par exemple dans la plupart des cas, il n’y a pas d’intérêt à faire apparaître le nom d’un salarié… ou à utiliser un témoignage au service d’un point de vue préalablement défini. Il ne faut pas répondre à une souffrance par une revendication qui ne correspond pas à la situation et en tous cas qui n’est pas élaborée en lien avec les salariés concernés… Suivant les situations, il est le plus souvent possible de rapporter les différentes paroles des salarié-e-s auprès des hiérarchies ou dans des tracts syndicaux pour témoigner et acter concrètement le ressenti et vécu des salarié-e-s.

Le rôle du syndicat : « être facilitateur d’une réappropriation par les salarié-e-s »

Trouver ou retrouver une maîtrise de son travail passe par un travail de qualité (du point de vue des salariés), un
travail qui fait collectivement sens. « Passer de la résignation à l’action ». C’est voir, penser et agir local et c’est complémentaire à l’action visant aux nécessaires changements de société. C’est partir du plus micro pour s’ouvrir vers l’universel. C’est également permettre de passer de l’action individuelle, du soutien personnel (souvent nécessaire) à l’analyse et à l’action collective…

Des questions ou pistes de réponses pour le syndicat et la section syndicale :

– Réfléchir sur le temps passé par les militants syndicaux avec les Directions, entre militants et avec les salariés… Parfois absorbés par des dossiers, des réunions, des commissions… il leur reste peu de place pour le terrain…
– Les informations syndicales (tracts, bulletins, journaux etc…). Quelle place pour la parole des salarié-e-s ?
– Cette fiche est au cœur de la formation Solidaires « ENQUÊTES-ACTIONS Pratiques syndicales, pratiques de terrain ».