Le syndicat Sud BPCE vient d’obtenir devant le TGI de Lyon l’interdiction d’une organisation du travail reposant sur le benchmark, car elle compromet gravement la santé des salariés.
En l’espèce, le « benchmark » avait été mis en place dans l’entreprise fin 2007 dans le but d’assurer la gestion des performances du personnel.
Ce mode d’organisation est basé sur une émulation collective et permanente. En réalité, le seul objectif était de faire mieux que les autres. Les outils informatiques permettaient à tout le monde de suivre en direct, depuis chaque poste, ce que faisait chacun des commerciaux de l’entreprise. Cette « escalade » permanente dans la recherche de la performance et cette exposition constante des résultats obtenus par chaque salarié s’étaient rapidement révélées anxiogènes, pour ne pas dire pathogènes.
Dès 2008, les médecins du travail et l’inspection du travail pointaient les dérives de ce mode de gestion du travail, ainsi que les risques psychosociaux qu’il induisait, en particulier :
« – une atteinte à la dignité des personnes par leur dévalorisation permanente, utilisée pour créer une compétition ininterrompue entre les salariés ;
– un sentiment d’instabilité du fait qu’il n’y a aucune possibilité de se situer dans l’atteinte d’objectifs annuels puisque le résultat de chacun est conditionné par celui des autres ;
– une culpabilisation permanente du fait de la responsabilité de chacun dans le résultat collectif ;
– un sentiment de honte d’avoir privilégié la vente au détriment du conseil du client ;
– une incitation pernicieuse à passer outre la réglementation pour faire du chiffre ;
– une multiplication des troubles physiques et mentaux constatés : troubles anxiodépressifs, accidents cardio-vasculaires, et troubles musculo-squelettiques ».
Cette situation avait alerté le syndicat Sud BPCE qui a assigné la Caisse d’Epargne Rhône-Alpes devant le Tribunal de Grande Instance de Lyon pour faire interdire l’organisation du travail mise en place dans cette caisse.
Le TGI de Lyon a effectivement reconnu la dangerosité d’un tel système de gestion des performances.
Selon ce tribunal, « il résulte de l’article L. 4121-1 du code du travail que l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, qu’il doit prévenir le risque et non intervenir a posteriori ». En outre, « il est de jurisprudence constante que l’obligation de sécurité qui repose sur l’employeur est une obligation de résultat ». De surcroît, « le juge peut interdire à l’employeur, nonobstant son pouvoir de direction, de prendre des mesures qui ont pour objet de compromettre la santé de ses salariés, qu’ainsi le juge, après avoir fait le constat qu’une organisation du travail compromet la santé des salariés, peut intervenir pour interdire sa mise en œuvre ».
Pour les magistrats du TGI, l’employeur n’avait pas respecté l’obligation de résultat qui pèse sur lui, car en instaurant comme mode d’organisation du travail le benchmark, il avait gravement compromis la santé de ses salariés, comme cela lui avait été indiqué régulièrement et par plusieurs instances. Or, les mesures mises en place par l’entreprise, à savoir un observatoire des risques psychosociaux, un numéro vert, un plan d’action qualité du travail, étaient largement insuffisantes pour répondre à la problématique du benchmark comme l’avaient noté les médecins du travail dans leur rapport. En effet, ces mesures ne visaient pas à supprimer le risque à la source mais à intervenir a posteriori, une fois que le risque est révélé.
Pour motiver sa décision, le TGI a pris en compte les éléments apportés par Sud à l’appui de sa demande : la dizaine de rapports d’alerte des médecins du travail ainsi que les multiples critiques factuelles et concordantes émanant de l’Inspection du Travail, du cabinet ARAVIS chargé d’une expertise, des assistantes sociales, du CHSCT et des autres instances représentatives du personnel.
Le TGI a rejeté les arguments des patrons reposants essentiellement sur la liberté d’entreprendre.
C’est une nouvelle victoire contre les employeurs qui mettent en place une organisation du travail délétère.
Ce jugement du TGI de Lyon (n°11/05300 ; 04 septembre 2012), l’arrêt Snecma (Cass.soc.,5mars 2008, n°06-45.888), l’arrêt de la cour d’appel de Versailles (SA Renault c/De Barros et a. n°10/00954), sont aujourd’hui de réelles mises en cause d’organisations du travail car elles sont déclarées dangereuses pour la santé des salariés.
Cette dernière victoire juridique à Lyon a été obtenue grâce à l’engagement des militants de Sud BPCE. Plus largement, au-delà du seul Groupe BPCE, cette décision est de nature d’ores et déjà de fonder des actions de la part de salariés et de leurs représentants dans d’autres entreprises pour faire interdire des organisations de travail reposant sur des méthodes et des pratiques identiques.