Retour sur la journée du 9 juin par Pascal Vitte, avec le témoignage de Charles-Henri Filippi. (dessins de Claire Robert et Ornella Guidara)
Le 9 juin 2022 s’ouvre la douzième journée du procès de France télécom en appel. Ce jour-là, Didier Lombard fait citer son témoin en la personne de Charles-Henri Filippi. Membre du conseil d’administration de France Telecom entre février 2008 et mai 2020, et aujourd’hui de Nexity, il se définit volontiers comme un « banquier humaniste ».
La chronique de la 1ère audience du 8 juin par Isabelle Bourboulon, journaliste indépendante, auteure du Livre noir du management (Éditions Bayard, 2011), membre du Conseil scientifique d’Attac. Ce jour-là, deux témoins vont déposer devant la Cour : Jacques S., partie civile à titre personnel, et Noël Rich qui fait partie des 39 victimes reconnues lors des mises en examen.
« J’ai un dossier très lourd »
Jacques S. s’est désisté de son appel mais s’il est présent aujourd’hui c’est qu’il veut déposer et être entendu. Il s’est porté partie civile à titre individuel et ne fera mention de ses collègues qu’incidemment. En arrêt de travail pour dépression à partir de 2009, Jacques est aujourd’hui retraité invalide. Mais comment a-t-il pu tenir si longtemps alors qu’il se battait seul contre tous, tel un chevalier blanc sûr de son bon droit contre un monstre et ses affidés ? Comment ne pas être brisé, laminé dans cette bataille inégale ? Continuer la lecture de « Le chevalier blanc et le bon copain »
Chronique de la première audience du 8 juin, vue par Cécile Rousseau, journaliste.
Tenter de comprendre. A tout prix. Jacques S. n’en finit pas de fouiller dans ses souvenirs et sa montagne de documents pour trouver une raison au calvaire subi chez France Télécom. « Nous avons de nombreux écrits à notre disposition. Vous êtes une partie civile très active », lui lance d’emblée la présidente du tribunal, Pascaline Chamboncel-Saligue. Le sexagénaire a radiographié, chaque date, chaque étape, presque chaque instant, de sa descente aux enfers. Mais trop atteint, il s’est désisté de son appel. Vivre un hypothétique procès en Cassation lui est insupportable. « J’ai subi un acharnement spécifique car j’ai voulu témoigner de ce qui s’était passé. A chaque fois, que je me plaignais de harcèlement, j’ai reçu une sanction. En 2009, je suis resté un an mis à pied sans salaire », soupire-t-il.Dans cet univers kafkaïen où les victimes sont traitées comme des coupables, Jacques S. a plongé dans les méandres de la dépression. De salarié modèle en 2003, il devient progressivement mouton noir. En mars 2007, l’accès à son lieu de travail est bloqué. En 2008, alors qu’il boucle une licence de psychologie, France Télécom refuse de lui accorder quelques jours pour passer ses examens. La même année, il fait une déclaration de harcèlement moral. En 2009, il subit une cinquième tentative d’interrogatoire. Continuer la lecture de « Sans boussole »
Chronique du 3 juin vue par Vincent Glenn, producteur, réalisateur et auteur.
3 juin 2022. Palais de justice à Paris. A l’invitation des camarades de Sud Telecom, j’assiste au procès en appel de 6 anciens dirigeants de France Télécom, ex fleuron national rebaptisé Orange en 2013 à l’issue d’un processus de privatisation commencé en 1988.
(Après avoir patienté dans la file d’attente et suite à la longueur des contrôles, – non loin se déroule la 132 ème journée du procès des attentats du 13 novembre et le Palais de justice est surprotégé, j’arrive dans l’immense salle du tribunal.)
Au soir de l’audience du procès France Télécom du 3 juin 2022
L’audience du 3 juin, vue par Annie Thébaud-Mony, sociologue, Directrice de recherche Inserm, présidente de l’association Henri Pézerat, auteure, entre autres, de Travailler peut nuire gravement à la santé, La découverte, et de La science asservie, La découverte.
Aujourd’hui, 3 juin 2022, c’est mon tour d’écrire une chronique sur l’audience de ce matin au procès pénal dont vous, Didier Lombard, êtes le principal prévenu, avec quelques-uns de vos ex-collaborateurs. Et c’est à vous que je souhaite m’adresser.
Parce que vous avez fait appel de la décision vous condamnant en première instance, celles et ceux que la justice désigne comme « les parties civiles » sont contraints de revenir témoigner de ces faits gravissimes : le suicide d’un père, d’un frère ; revenir encore et encore sur l’enchaînement des faits qui ont conduit à ces drames dont la genèse se situe dans le travail. Exprimer encore et encore le (non)sens et la disqualification vécues qui ont frappé ces techniciens expérimentés. Redire la violence d’un « harcèlement institutionnel » aux très nombreuses victimes. Devoir expliquer ce que cela signifie dans la vie des familles. Quand on aime, quand on a aimé, le deuil n’existe pas. L’absence est souffrance et le drame est sans fin ! Continuer la lecture de « Lettre ouverte à Didier Lombard »
La chronique du 2 juin vue par Roland Gori, psychanalyste, professeur honoraire des universités, auteur de La Fabrique de nos servitudes (2022, Les Liens qui Libèrent) ; préside actuellement L’Appel des appels, association initiée en 2009 avec Stefan Chedri pour protester contre la casse des services publics et la prolétarisation des professionnels, et Alain Abelhauser, psychanalyste, professeur des universités (psychopathologie clinique), auteur de Mal de femme (Seuil, 2013) et Un doute infini (Seuil, 2020) ainsi que, avec Roland Gori et Marie-Jean Sauret, de La folie Évaluation. Les nouvelles fabriques de la servitude (Mille et une nuits, 2011). Il a succédé à Roland Gori à la présidence du SIUEERPP (Séminaire Inter-Universitaire Européen d’Enseignement et de Recherche en Psychopathologie et Psychanalyse). Continuer la lecture de « « Rien n’est Vrai, tout est vivant¹ » et « Pas ma faute » »
L’audience du 1er juin vue par Guillaume Hallier et Gabrielle, militante et militant à Sud Éducation, membres de la commission conditions de travail.
Aujourd’hui, le point crucial abordé sera la « déflation » et ses outils : formation des cadres et managers et outils de contrôle. Autrement dit : comment faire partir 22 000 personnes de France Télécom en trois ans, entre 2006 et 2008. Ce qui nous frappe au cours de cette journée, c’est la désinvolture des prévenus en complet décalage avec l’objet des échanges : on parle bien de morts, de suicides, d’une catastrophe sociale et humaine. En effet, presque dix heures seront passées ce jour sur les choix et décisions liées à la déflation et qui ont mené au désastre que l’on connaît. Continuer la lecture de « Quand France Télécom fait école »
Audience du 1er juin vue par Lucie Goussard et Guillaume Tiffon, sociologues, ont notamment publié ensemble Syndicalisme et santé au travail, 2017, Éditions Le Croquant.
Au programme de ce mercredi 1er juin, deux thèmes pour le moins centraux de ce procès France Télécom : « la déflation », qui renvoie au plan de suppression des 22 000 emplois en trois ans, et « les outils de contrôle » déployés par la direction pour suivre sa mise en œuvre. Au sortir de cette journée, particulièrement dense et éprouvante, un constat, qui passerait presque inaperçu derrière l’aplomb des prévenus : malgré les drames humains dont il est ici question, malgré les faits accablants, malgré les circonstances tout à fait exceptionnelles de ce procès, Didier Lombard, Louis-Pierre Wenès, Guy-Patrick Cherouvrier, Brigitte Dumont, Nathalie Boulanger et Jacques Moulin n’expriment ni regrets, ni remords. A la barre, pas de pleurs, pas d’aveux, pas le moindre signe de culpabilité. Pour assurer leur défense, ils exposent bien plutôt au grand jour leur art de la rhétorique, celui grâce auquel d’ordinaire, lorsqu’ils sont sur leur « terrain de jeu », au sein des instances représentatives du personnel (IRP), tout glisse et semble n’avoir aucune prise sur eux. Alertes syndicales, expertises CHSCT, travaux universitaires, observatoire, inspection du travail, rapports de la médecine du travail, pression médiatique, procès…, rien n’y fait. Fidèles à leur posture, les prévenus démontrent, avec une constance désarmante, leur capacité à se défausser, comme s’ils se sentaient inatteignables, insaisissables même. Cette chronique se propose de revenir sur les différentes techniques utilisées au cours de cette journée pour nier leur responsabilité, à la manière d’un « manuel de défausse managériale ».
La chronique du 25 mai vue par Vanessa Morisset, historienne d’art, une discipline qu’elle pratique en lien avec les sciences sociales, la philosophie, la littérature, dans le but d’analyser et déconstruire les représentations du pouvoir.
Par ailleurs, elle écrit toutes sortes de choses, dans la presse, sur internet, et au sein du Collectif Troptôttroptard.
En 2021-22, elle participe au « Groupe de travail de groupe », un groupe de réflexions et recherches autour du mot « travail » à l’initiative des Laboratoires d’Aubervilliers.
Ce mercredi matin 25 mai, la question examinée par la cour d’appel est celle de la « verticalisation des fonctions », expression qui désigne la réorganisation des méthodes de travail, décidée en 2006 par la direction de France télécom de façon unilatérale [l’adjectif est employé pas moins de 13 fois dans l’ordonnance de renvoi !], en remplacement d’un précédent dispositif issu d’accords en 2003.
L’audience vise ainsi à établir comment cette réorganisation s’est traduite en harcèlement moral et en isolement des personnes en détresse au sein de l’entreprise sans tenir compte de signaux d’alerte. Continuer la lecture de « GPC ou la ventriloquie du manadjère »
Audience du 20 mai, vue par Michel Miné, professeur du Conservatoire national des Arts et Métiers (Chaire Droit du travail et droits de la personne), Lise/Cnam/Cnrs, ancien inspecteur du travail. Derniers ouvrages parus, aux éditions Eyrolles Droit du travail en pratique, aux éditions Dalloz-Sirey Droit du travail et aux éditions Larcier Droit des discriminations dans l’emploi et le travail.
Vendredi 20 mai 2022. Le temps à l’extérieur est orageux, avec des averses rafraîchissantes, après la journée étouffante de la veille. Par les fenêtres ouvertes de la plus magnifique salle de la Cour d’appel du Palais, riche de boiseries et de peintures, la pluie fait parfois entendre sa musique. L’audience se déroule à partir de 9 h jusqu’au milieu de l’après-midi, avec une suspension de séance. Aujourd’hui, des parties civiles sont auditionnées. Continuer la lecture de « Ce qui est arrivé peut recommencer »