L’organisation capitaliste du travail est caractérisée par le lien de subordination qui existe entre l’employé et le patron. Dans le droit du travail, « Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité de l’employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné». Seule restriction depuis 2002, en contrepartie du contrat de travail qui implique ce lien de subordination, l’obligation de sécurité de résultat imposée à l’employeur.
Dans la fonction publique, les règles ne sont pas très différentes « Tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable de l’exécution des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public. » On parle le plus souvent de « devoirs d’obéissance ».
Exclusion du pouvoir disciplinaire de l’employeur dans l’exercice du mandat
La Cour de cassation confirme le principe selon lequel les agissements d’un représentant du personnel dans le cadre de l’exercice de son mandat ne peuvent pas, sauf abus, faire l’objet d’une sanction disciplinaire.
Dans cette affaire, une altercation verbale était survenue entre un salarié délégué syndical et un autre salarié de l’entreprise, le premier tentant de s’opposer à l’exécution par le second d’une directive de l’employeur qu’il jugeait contraire à l’impératif de sécurité. L’employeur a alors notifié au délégué syndical un avertissement « pour avoir provoqué un conflit avec un autre salarié ».
Soulignant qu’il « avait agi en sa qualité de délégué syndical et se trouvait à ce moment en heures de délégation », de sorte qu’il ne pouvait pas être sanctionné par l’employeur, le représentant du personnel a saisi la juridiction prud’homale d’une demande d’annulation de l’avertissement.
La Cour d’appel de Poitiers l’a débouté de cette demande en retenant que le fait d’avoir agi en qualité de délégué syndical « ne l’autorisait pas à provoquer un incident prolongé qui allait au delà du contact nécessaire à ses fonctions syndicales, et avait désorganisé le service, et que cet empiétement sur l’organisation du service, qui relève des prérogatives de l’employeur, justifiait une sanction ».
Le pourvoi formé par le délégué syndical contre cet arrêt faisait valoir que « les représentants du personnel, qu’ils soient élus ou désignés, ne sont soumis au pouvoir disciplinaire de l’employeur que pour les fautes qu’ils ont commises en exécution de leur contrat de travail et non pour celles qu’ils ont commises dans l’exercice de leur mandat ».
La Cour de cassation accueille favorablement cet argument. Elle rappelle d’abord le principe selon lequel « une sanction disciplinaire ne peut être prononcée qu’en raison de faits constituant un manquement du salarié à ses obligations professionnelles envers l’employeur ». Faisant application de cette règle de droit, elle casse l’arrêt après avoir constaté que la Cour d’appel avait refusé d’annuler l’avertissement « sans caractériser un abus alors qu’elle avait constaté que l’intervention du salarié s’inscrivait dans l’exercice de son mandat représentatif ».
Le principe est donc que l’employeur ne peut pas sanctionner le représentant du personnel pour des faits relevant de l’exercice de son mandat, sans cependant qu’il bénéficie d’une immunité totale.
Une garantie d’indépendance des représentants du personnel
Ce faisant, la Cour de cassation confirme une décision antérieure, par laquelle, après avoir énoncé à l’identique le principe ici rappelé, elle avait censuré l’arrêt d’une cour d’appel déboutant deux représentants du personnel qui avaient demandé l’annulation de leurs avertissement motivés par leur retard à une réunion du comité d’entreprise européen (Cass. soc., 30 juin 2010, n° 09-66.792).
Le principe est clair : dans le cadre de l’exercice du mandat, le statut de salarié s’estompe et laisse place à celui de représentant du personnel. Les actes du représentant ne relèvent pas de l’exécution du contrat de travail, et l’employeur ne peut donc pas le sanctionner à ce titre.
Cette règle est essentielle car elle assure l’indépendance du représentant du personnel dans le cadre de son mandat. Elle est une garantie de bonne exécution de sa mission puisque autoriser la sanction disciplinaire des actes du représentant du personnel reviendrait à permettre un contrôle et une influence de l’employeur sur la manière dont est exécuté le mandat, ce qui serait incompatible avec la liberté syndicale et l’intérêt des salariés. C’est dans le même ordre d’idée que, dans le cadre de son contrôle des demandes d’autorisation de licenciement des représentants du personnel, l’inspection du travail a notamment pour mission de s’assurer que la mesure est sans lien avec le mandat représentatif et se fonde uniquement sur l’exécution du contrat de travail (voir notamment un arrêt du Conseil d’Etat : CE, 16 juin 1995, n° 139337, s’agissant d’une demande de licenciement présentant un lien avec le mandat, l’employeur reprochant au salarié, élu au CE, d’avoir déclenché une procédure d’alerte).
Le représentant du personnel est donc protégé juridiquement contre les éventuelles velléités d’ingérence de l’employeur. Il faut d’ailleurs noter que la règle ne vaut pas seulement pour le « pouvoir disciplinaire » de l’employeur : dans le cadre du mandat représentatif c’est le lien de subordination tout entier qui est écarté, et avec lui tout le pouvoir concédé à l’employeur par le contrat de travail, que ce pouvoir soit considéré dans ses aspects « disciplinaire » ou « de direction ». Ainsi, pas plus qu’il ne peut sanctionner le représentant du personnel, l’employeur ne peut émettre de consignes liées à l’exercice du mandat sauf pour faire respecter les règles de santé et de sécurité qui sont toujours applicables.
Un impératif : démontrer l’exercice effectif du mandat
Pour obtenir l’annulation d’une sanction disciplinaire, le représentant du personnel doit démontrer que les faits qui lui sont reprochés se sont effectivement déroulés pendant le temps d’exercice de son mandat. Tel est le cas dès lors que les faits sont survenus au cours d’heures de délégation, comme dans cette affaire où la circonstance que les faits sanctionnés sont survenus au cours d’heures de délégation établie leur rattachement au mandat.
Mais les faits peuvent également être rattachés au mandat tout en étant survenus en dehors des heures de délégation : ils le seront dès lors que leur réalisation se situe au cours de tout autre temps d’exercice des missions, par exemple le temps passé en réunion du CE ou du CHSCT, ou le temps passé par les membres du CHSCT à mener une enquête. À l’origine de l’arrêt précité du 20 juin 2010, la Cour d’appel de Riom avait contesté ce principe en refusant d’annuler les sanctions disciplinaires au motif que les faits reprochés étaient liés à une réunion du comité d’entreprise européen et que « le temps passé à cette réunion n’étant pas imputable sur les heures de délégation, il constituait un temps de travail durant lequel les intéressés restaient soumis au pouvoir disciplinaire de l’employeur » ; la Cour de cassation avait censuré cette décision en retenant que les faits litigieux, liés à une réunion d’une institution représentative du personnel, « concernaient l’exercice des mandats représentatifs ».
Le représentant du personnel n’est pas dégagé de toute responsabilité
La règle de l’exclusion des sanctions disciplinaires pour les faits relevant de l’exercice des mandats représentatifs n’aboutit pas à une situation d’impunité des représentants du personnel, pour deux raisons.
En premier lieu, et il s’agit d’une précision apportée par l’arrêt commenté par rapport à la jurisprudence antérieure de la chambre sociale de la Cour de cassation, il est prévu la réserve classique de l’abus ; la chambre criminelle avait déjà fait mention de cette réserve (Cass. crim. 30 mars 1993, n° 92-83.580). Un exercice abusif du mandat expose le représentant du personnel à une sanction disciplinaire. Il ne peut donc pas être reproché à cette règle jurisprudentielle de laisser l’employeur démuni.
En second lieu et surtout, le représentant du personnel sera amené à répondre de ses agissements à l’égard de ses mandants, c’est- à- dire les salariés électeurs s’agissant des représentants élus, et le syndicat s’agissant des représentants désignés. C’est une responsabilité « politique », électorale, qui est engagée par le représentant qui pourra être sanctionné par la perte de son mandat (par retrait ou non renouvellement). Le représentant du personnel est ainsi soumis à un contrôle : l’employeur doit simplement accepter que ce n’est pas à lui de l’exercer.
Un cas particulier : l’obligation de discrétion
Toutes ces règles sont écartées dans le cas particulier de la violation par le représentant du personnel de l’obligation de discrétion qui pèse sur lui.
C’est ce qu’a récemment précisé la Cour de cassation en approuvant une cour d’appel d’avoir débouté un salarié membre du CE de sa demande d’annulation d’une mise à pied disciplinaire motivée par la divulgation (de surcroît avec des déformations) à la presse, d’informations confidentielles et présentées comme telles par l’employeur (Cass. soc., 6 mars 2012, no 10-24.367, voir Les Cahiers Lamy du CE n° 115, mai 2012).
Cette solution s’explique par le fait que cet agissement, tout en relevant bien de l’exercice du mandat, constitue un manquement à une obligation spécifiquement mise à la charge des représentants du personnel au CE par le Code du travail, en son article L 2325-5. Permettre une sanction disciplinaire dans ce cas précis n’est donc pas en contradiction avec le principe de soustraction de l’exercice du mandat au pouvoir de l’employeur. Cass. soc., 27 juin 2012, n° 11-10.242 D