Le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) de Nanterre a condamné le 17 décembre 2009, l’entreprise Renault pour faute inexcusable après le suicide (reconnu par ailleurs comme accident du travail) d’un salarié, au motif que l’employeur aurait du avoir conscience du danger auquel le salarié était exposé dans le cadre de son métier. Le tribunal précise que « l’employeur n’a pas pris les mesures qui s’imposaient pour le protéger tant sur le plan individuel que collectif, en l’absence de mesures appropriées pour détecter, au titre des risques psychosociaux, les facteurs de stress rencontrés par les salariés ».
Un attendu du tribunal met en avant que les risques psychosociaux n’étaient pas mentionnés par la société dans le document unique et que la détection du stress au sein de l’entreprise par le biais d’un observatoire ne permettait « qu’une approche individuelle et ne prenait nullement en compte l’aspect collectif de l’organisation du travail, voire de management, en tant que situation susceptible, potentiellement, d’engendrer des dysfonctionnements porteurs de souffrances pour les salariés ».
Le 19 mai 2011, la cour d’appel de Versailles a confirmé le jugement du TASS et reconnu la faute inexcusable de l’entreprise Renault. Les juges ont estimé que l’employeur n’a pas pris conscience de la situation de stress intense dans laquelle se trouvait le salarié, sans qu’il y ait eu de harcèlement avéré.
De ce jugement, plusieurs enseignements peuvent être tirés : c’est à l’employeur que revient la charge de détecter la souffrance au travail et d’y remédier parce qu’il a une obligation de sécurité de résultat, il lui revient également de mettre en place de réels outils de prévention des risques psychosociaux (au cas particulier). Les juges ont constaté l’absence de système efficace d’évaluation des risques psychosociaux au sein de l’entreprise, alors qu’il existait depuis 1998 un « Observatoire médical du stress, de l’anxiété et de la dépression » qui s’est révélé totalement inefficace. De même l’employeur n’ayant pas mis en place des dispositifs d’évaluation de la charge de travail des salariés, de fait il n’a pas cherché à préserver la santé de son personnel.
Dans un jugement rendu le 9 mars 2010, le TASS de Versailles a estimé que le suicide d’un salarié de Renault, était d’origine professionnelle et que le suicide à son domicile du salarié était « survenu par le fait du travail ». Dans sa décision le juge constate que les supérieurs du salarié lui ont donné « un objectif à atteindre sans s’interroger sur sa capacité psychique et physique à supporter cette charge accrue »… et conclut que le suicide est « donc intervenu par le fait du travail ». Une fois le jugement rendu définitif, un nouveau recours sera engagé pour faire reconnaître la faute inexcusable de l’entreprise.
La cour d’appel de Versailles dans un jugement du 9 juin 2011 a reconnu là aussi la faute inexcusable de l’entreprise.
Dans les deux cas, l’entreprise ne s’est pas pourvue en cassation. Ces deux décisions renforcent une fois encore la jurisprudence et s’inscrivent dans une évolution constante du droit sur l’obligation de sécurité des employeurs, prive ou public.
Pour l’union syndicale Solidaires ces deux décisions de justice sont importantes car une fois encore elles pointent de manière très explicite la responsabilité des employeurs dans la mise en place d’organisations du travail pathogènes et sont deux jalons supplémentaires dans le combat du mouvement ouvrier pour que le travail ne tue pas.
Le manquement à une obligation de sécurité de résultat vis à vis d’un salarié constitue une faute inexcusable. L’employeur encourt de lourdes conséquences humaines et pénales.
L’importance du document unique
A signaler qu’une circulaire du ministre de la justice adressée aux procureurs généraux leur rappelle qu’en cas d’enquêtes consécutives à des maladies professionnelles ou des accidents du travail le document unique sera « susceptible d’être sollicité par les inspecteurs du travail ou par les officiers de police judiciaire, dans la mesure ou il permettra de vérifier comment un risque particulier a été identifié et analysé auparavant, quels étaient les antécédents connus et quelles mesures avaient été préconisées ou adoptées en conséquence dans l’entreprise ».
Les juges sont de plus en plus sensibles au risque d’atteinte psychologique des salariés du fait du travail ou du management.