La “vision originale de la distribution [à Leclerc] crée un cadre de travail unique. Relations conviviales, large autonomie, proximité de la hiérarchie, qualité de vie respectée : autant d’engagements qui garantissent aux collaborateurs un épanouissement personnel et professionnel. 94 % [des] collaborateurs considèrent l’ambiance de travail chez E. Leclerc comme un critère positif. (résultat d’une étude interne WGS RH et SCP Communication RH) […] Dans des structures indépendantes où la responsabilité et la prise d’initiative sont réelles, [les salariés peuvent] choisir d’augmenter [leur] pouvoir d’agir.” “L’Homme sera toujours au cœur du système, il en est la finalité« , Edouard Leclerc.
Voici quelques lignes qui se trouvent sur les différents sites internet de Leclerc… ça donne envie de travailler dans cette entreprise!
Leclerc est la première enseigne de distribution des biens de consommation française avec un chiffre d’affaires de 45,7 milliards d’euros en 2014. Elle compte 105 000 salariés, repartis sur 640 magasins en France et compte 88 magasins dans d’autres pays européens. Michel-Edouard Leclerc, président directeur général, prône des valeurs humanistes de “solidarité, d’engagement pour l’environnement, du respect de l’individualité”…et bien sûr mène un “combat révolutionnaire”: “défendre le consommateur et garantir les prix les plus bas à chaque fois que c‘est possible” en appliquant la vente au détail au prix de gros!
Comment sont traduites ces valeurs dans le quotidien des salarié.es? Quelles sont les conditions de travail? Qu’en est-il du respect du droit dans les magasins? Quelles sont les pressions imposées aux caissières?
Un mardi d’avril une jeune étudiante salariée de Leclerc arrive au local syndical de Solidaires Rhône. Des choses ne vont pas dans son contrat de travail, ses fiches de paye, ses horaires. Elle raconte comment ça se passe dans son travail et explique “qu’il y a beaucoup de choses qui ne vont pas mais les personnes n’osent pas le dire.” Le travail est prescrit par une “procédure de travail en caisses” ayant pour but de “définir les modalités de travail ”. Les anomalies sautent aux yeux…
La tenue :
“L’ hote(sse) de caisse doit pendant ses heures de travail porter la tenue fournie par l’entreprise (TEE-SHIRTS BLEUS “MANCHES COURTES, MANCHES LONGUES,COLS ROULES”, VESTE BLEUE, DOUDOUNE, FOULARD BLEU) CHEMISE NOIRE pour les hôtes, pantalon noir et chaussures de ville sont obligatoires et non fournis par l’entreprise, avoir son badge et une présentation irréprochable” “L’hôte(sse) de caisse doit entretenir les vêtements fournis par l’entreprise ”. Non seulement l’entreprise ne fournit pas la tenue complète, alors qu’elle est dans l’obligation de le faire, mais elle oblige les salarié-es à prendre en charge leur nettoyage. Une pratique courante dans les entreprises où une tenue s’impose
Que dit la Loi? Selon les articles R. 4321-4 et R. 4323-95 du code du travail, l’employeur doit mettre à disposition des salariés gratuitement, “les équipements de protection individuelle appropriés et, lorsque le caractère particulièrement insalubre ou salissant des travaux l’exige, les vêtements de travail appropriés. Il veille à leur utilisation effective”. En outre, il est contraint de s’assurer du maintien « dans un état hygiénique satisfaisant par les entretiens, réparations et remplacements nécessaires ». Les tenues obligatoires ne doivent pas constituer des charges financières supplémentaires pour les salariés et leur entretien doit être pris en charge par l’employeur! La salariée peut demander un rappel de la prime de nettoyage et une compensation pour absence de fourniture du pantalon et des chaussures.
Le temps de travail non payé :
“chaque salarié doit être à son poste en tenue de travail à l’heure fixée pour le début et la fin du travail. Ceci suppose un passage au vestiaire avant l’opération de pointage à l’entrée.” C’est à dire que les salarié.es arrivent dans le magasin, vont se changer pour mettre la tenue non fournie par l’entreprise et imposée par l’employeur, une fois en tenue de travail ils indiquent qu’ils sont sur leur lieu de travail avec leur pointage… Il y a quelque chose qui ne va pas dans cette démarche.
Pour le code du travail “lorsque le port d’une tenue de travail est imposé par des dispositions législatives ou réglementaires, par des clauses conventionnelles, le règlement intérieur ou le contrat de travail et que l’habillage et le déshabillage doivent être réalisés dans l’entreprise ou sur le lieu de travail, le temps nécessaire aux opérations d’habillage et de déshabillage fait l’objet de contreparties soit sous forme de repos, soit financières”. Le temps pour se changer doit être pris en compte dans le temps de travail. Il pourra donc avoir un rappel du temps d’habillage et déshabillage dans une procédure Prud’homale.
Les pressions auxquelles sont soumises les caissières…
Bip,bip,bip… « Bonjour Madame, bonjour Monsieur ». Quand vous êtes dans un magasin en tant que client et que vous passez en caisse pour payer vos produits, bip,bip,bip,bip… la caissière non seulement doit répéter toute la journée les mêmes phrases “avez vous la carte du magasin? vous payer par carte bleue? Espèces?” mais aussi est contrainte de respecter un nombre de produits par minute. Bip,bip,bip,bip,bip,bip,bip….“Afin d’assurer une meilleure fluidité de la clientèle en caisse, qui est facteur décisif de fidélisation, des objectifs de rentabilité à l’heure travaillée sont fixés et demandés aux hôte(sse)s de caisse, à savoir un taux d’articles à la minute égal ou supérieur à 24” dit la procédure. Un taux d’articles à la minute égal ou supérieur à 24, c’est à dire au minimum 1 article tous les 2.5 secondes!
Comme l’explique la salariée ce taux de produits par minute constitue une forte pression et n’est pas atteignable. Mais il y a des concours pour les plus rapides qui se rapprochent le plus de l’objectif. Celles qui “gagnent” sont affichées sur un panneau pour que les autres puissent suivre l’exemple et fassent tout pour être les plus rapides et les meilleures! Ces démarches généralisées ont pour but de mettre en concurrence les salarié.es. Elles mettent non seulement une pression psychologique sur les employées mais encore contribuent à l’apparition de troubles musculo-squelettiques (TMS) causés par des gestes répétitifs associés à la pression. Mais bon, il faut bien des méthodes pour améliorer l’efficacité dans l’entreprise!
Ces injonctions et ces méthodes vont à l’encontre de l’obligation de sécurité de résultat pour l’employeur. L’employeur a en effet une obligation générale de sécurité édictée au L.4121-1 du code du travail : “l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs”. C’est à dire que l’employeur est obligé de tout mettre en œuvre pour protéger la santé des salariés et a l’obligation de ne pas les mettre en danger.
Des actions aux Prud’hommes permettent de poser les questions de légalité. Ces actions restent forcément individuelles et limitées puisque les magasins Leclerc sont franchisés et qu’il est difficile de poser les problèmes collectivement. La question de l’implantation syndicale dans ce secteur est primordiale pour passer à un cran supplémentaire de prise en charge.