Le 24 juillet 2012 , un chef des services douaniers en surveillance à Chamonix se suicidait à sa résidence de vacances .
Tout d’abord deux dates :
- 21 septembre 2012, convocation exceptionnelle du CHSCT sur le suicide à la demande des membres titulaires.
- 18 septembre 2013, présentation et vote du rapport d’enquête sur le suicide par la délégation d’enquête désignée par le CHSCT du 21 septembre 2012.
Entre ces deux dates, il y a pratiquement un an et cela met en relief la première contrainte à laquelle nous avons du faire face tout au long de cette enquête: le temps .
Le lancement de l’enquête:
La date de la première réunion du CHSCT exceptionnel a déjà été difficile à définir, les syndicats souhaitaient qu’elle soit rapide car notre connaissance de la situation du collègue nous poussait à demander une enquête approfondie même si le décès était intervenu pendant la période de congés de l’agent et hors de sa résidence. De son côté l’administration considérait qu’il fallait prendre le temps de laisser passer “le choc passionnel” de l’annonce du drame et qu’une certaine rapidité risquait de fausser une appréciation objective. Or, dès l’annonce du suicide, un certain nombre de personnes (correspondante sociale, cadres supérieurs…) ont déclaré, y compris dans les média, que le suicide ayant eu lieu pendant les congés, il ne pouvait pas être en lien avec des facteurs professionnels. Pour les organisations syndicales, il y avait donc urgence à ce qu’un CHSCT exceptionnel soit convoqué afin de désigner une délégation d’enquête chargée d’enquêter si un lien entre le geste de notre collègue et des facteurs professionnels existait et si la mise en œuvre d’une réforme liée à ses fonctions avait eu une influence sur ses conditions de travail.
Guide de l’enquête ?
A ce moment, le ministère des Finances n’avait pas encore édité le guide de l’enquête suite à un suicide . Nous avons donc utilisé comme outils de formation, l’échange d’information avec des intervenants et la consultation de nombreux documents syndicaux ou autres comme les textes de différents syndicats (SUD Rail, SUD PTT, etc.), un document de l’INRS, les fiches de la commission santé et conditions de travail de Solidaires et le bulletin « Et voilà »… mais aussi les collègues “spécialisés” dans la santé et la sécurité au travail des trois syndicats participants soient Solidaires, la CGT et FO.
Lorsqu’au début du printemps 2013, l’administration nous a communiqué le “guide de l’enquête suite à un suicide”, nous avions déjà réalisé la plus grande partie de l’enquête par nous-même et nous en étions au travail de rédaction et de finalisation . Tout le travail de receuil des informations était lui aussi terminé. En fait, après coup, celà nous a paru plutôt bénéfique car les membres, représentants de l’administration dans la délégation, aurait eu tendance à vouloir appliquer “à la lettre” des mesures qui ne doivent rester que des préconisations et non prendre une forme impérative . De plus, celà nous a permis de donner une forme tout à fait “personnelle” à cete enquête avec une réelle appropriation et de faire apparaitre dans le rapport, tous les éléments que nous souhaitions .
Construire la délégation d’enquête :
Il n’a pas été facile de choisir, lors de la préparation du CHSCT du 21 septembre 2012, les personnes qui devaient participer à la délégation pour les organisations syndicales. Les rares textes qui faisaient référence à un nombre, parlaient d’équipe “resserrée” mais au vu du travail à effectuer, nous avons décidé de choisir un représentant par syndicat représentatif au CHSCT. Le titulaire de Solidaires Finances au CHSCT de la Savoie n’ayant pas la disponibilité et la possibilité d’effectuer ce travail a choisi de laisser sa place à une autre représentante de Solidaires, non titulaire au CHSCT à cette époque. Il nous est apparu important de choisir des personnes avec une motivation “féroce” et l’envie de consacrer beaucoup de temps.
Le président du CHSCT, par ailleurs Directeur des douanes de la circonscription de l’agent décédé, a choisi de désigner l’ISST, l’assistante de prévention de la direction régionale des Douanes et un directeur de l’autre administration fiscale siégeant au CHSCT comme membres de la délégation d’enquête. Par ailleurs, il s’est violemment opposé à la présence de la représentante de Solidaires finances dans la délégation aux prétextes d’une part que cette dernière n’était pas titulaire au CHSCT et d’autre part qu’elle n’était pas objective car “proche” de la famille du défunt. Après une interruption de séance, Solidaires Finances a déclaré désigner comme titulaire au CHSCT la représentante incriminée et avec les autres syndicats a décidé le vote du CHSCT sur la désignation des membres de la délégation incluant sa représentante titulaire.
Obstructions, manipulations…
La consultation ultérieure des textes officiels a permis de vérifier que l’obligation d’être titulaire au CHSCT pour participer à une délégation d’enquête n’existe pas (même si cela est préconisé dans le guide cité ci-dessus) et que le président ne peut s’opposer à la présence d’une personne dans la délégation si elle est désignée par le CHSCT.
Il faut noter à ce stade que l’administration aura tendance tout au long de l’enquête à commettre des “abus de pouvoir” et à instiller des propos d’intimidation . Il faudra donc tout au long de l’enquête rappeler à certains représentants syndicaux qu’ils ne sont pas dans des rapports de sujétion administrative dans les relations qu’ils entretiennent en tant que délégation d’enquête avec le président du CHSCT, l’ISST ou l’assistant de prévention. Il nous a semblé important tout au long de ce processus de maintenir constamment la cohésion et de rétablir le poids réel des représentants syndicaux de la délégation (et du CHSCT!) dans le choix des décisions.
Des difficultés :
L’une des difficultés importante du CHSCT a été de faire accepter d’abord les missions de la délégation d’enquête :
- réaliser une analyse approfondie afin de mettre à jour les éventuels facteurs professionnels intervenant dans le geste de notre collègue
- recueillir des informations sur les conditions de travail dans les services et déterminer plus largement toutes les causes de mal-être au travail
- proposer des solutions et des mesures de prévention pour améliorer les conditions de travail.
A plusieurs reprises , le président et ses représentants dans la délégation aussi, feront tout leur possible pour réduire les missions de l’enquête dans le discours ou dans les comptes rendus, aux seuls “devoirs” de préconisations .
L’autre difficulté sera d’imposer le périmètre de l’enquête :
- les personnels de la Direction régionale des Douanes de Chambéry
- les agents impactés par la réforme de la chaine hiérarchique en surveillance sur tout le territoire national .
Il est en effet prévu par les textes que la délégation d’enquête entende des agents ayant des fonctions similaires à celles de l’agent . Or, les personnes exerçant les mêmes fonctions que l’agent décédé ne se trouvent pas près de sa résidence mais disséminés sur l’ensemble du territoire national. Il était donc indispensable de les inclure dans le périmètre de l’enquête. Le président n’a pas accepté facilement un périmètre qui pouvait avoir une audience hors du CHSCT de la Savoie et qui pouvait laisser à penser que la mise en œuvre d’une réforme pouvait être un facteur professionnel intervenant dans le suicide de notre collègue.
Là encore, c’est par la connaissance règlementaire des représentants syndicaux et leur front commun que le président du CHSCT a été obligé d’accepter leurs décisions, unanimes à chaque fois.
La suite dans notre prochain bulletin « Et voilà »