Depuis l’arrêt Snecma du 5 mars 2008, tout employeur qui réorganise tout ou partie de son entreprise doit s’interroger sur les conséquences que peut avoir une telle décision en matière de santé et de sécurité des salariés. C’est donc dans le prolongement de cet arrêt que la cour d’appel de Paris a pris la décision de suspendre le 13 décembre 2012 le projet de réorganisation de la FNAC (suppressions des postes de responsable local avec transfert de ces fonctions au niveau régional) au motif qu’un tel projet était susceptible d’engendrer des risques psychosociaux. L’employeur a été condamné pour ne pas avoir évalué et chiffré la surcharge de travail (et donc le stress) qu’auraient à subir les salariés restant en poste.
Dans cette affaire l’employeur n’avait fourni aucun document sur les transferts de charges permettant d’évaluer de façon quantitative le surcroît de travail ainsi occasionné. Les huit CHSCT et les trois syndicats qui réclamaient l’annulation du plan de réorganisation ont fourni des rapports d’expertise mettant en avant une surcharge de travail génératrice de stress et source de risques psychosociaux.
C’est ce qui a conduit les juges à suspendre la réorganisation et à condamner l’employeur à fournir tous les éléments utiles à l’évaluation et au chiffrage de la charge de travail transférée.
Les juges d’appel ont estimé que :
– « c’est en amont d’une réorganisation que les risques doivent être identifiés dans un objectif de prévention… l’identification des facteurs de risques psychosociaux en particulier la charge de travail fait partie de l’obligation de prévention… »
– le chiffrage des transferts de la charge de travail « constitue un critère essentiel d’évaluation des risques psychosociaux pouvant résulter d’une surcharge de travail caractérisée et objective, génératrice de stress de nature à compromettre la santé et la sécurité des salariés concernés ».
– la communication des documents chiffrant de façon précise les transferts de charge de travail « incombe à l’employeur, seul à même de les détenir ».
Voici une nouvelle jurisprudence qui s’inscrit dans le droit fil de nombreuses autres décisions et qui témoigne de la prise en compte par les juges des risques psychosociaux auxquels peuvent être exposés les salariés. (Voir également l’arrêt récent du TGI de Lyon qui a condamné un système de benchmark en raison des risques qu’il comportait pour la santé des salariés).
Ainsi tout employeur a donc l’obligation d’identifier les risques psychosociaux résultant d’un projet de réorganisation. Cela passe notamment par un chiffrage précis de la charge de travail transférée sur les autres salariés.
Autre enseignement à tirer : le défaut de communication de ces documents aux membres du CHSCT ou si ces derniers pensent que les documents fournis laissent subsister des risques pour la santé et la sécurité des salariés pourrait permettre de saisir le juge aux fins de suspension du projet de réorganisation sur la base d’une méconnaissance de l’obligation de prévention des risques (dans le premier cas) ou de l’obligation plus générale de sécurité de résultat (dans le deuxième cas).
Chambre d’appel Paris n°12/000303 du 13 décembre 2012