L’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 pour la compétitivité des entreprises et la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels des salariés comporte 24 pages contenant 28 articles et quatre annexes. Les syndicats et le patronat avaient à peine quitté les salons du Medef que le gouvernement se félicitait de cet accord et demandait aux parlementaires de le transcrire dans la loi tel quel. Positon surprenante tant ce texte marque un recul général des droits des salariés et est au seul profit du patronat. Mais le gouvernement l’avait-il lu en détail (annexes comprises) avant de se prononcer ?
Par exemple, du point de vue de la Santé et des conditions de travail l’accord mérite pourtant d’être examiné de manière approfondi et suscite de multiples inquiétudes et interrogations. Nous allons essayer de les éclairer sur deux points en nous appuyant sur l’expérience de ce qui s’est passé à France Télécom/Orange ces dernières années.
Ainsi, l’article 12 dans son alinéa 7 se livre à une attaque en règle des possibilités d’expertises des CHSCT. En effet, d’une part il prévoit que lorsqu’une entreprise compte plusieurs établissements et CHSCT, chacun d’entre eux ne pourra plus, comme aujourd’hui, décider d’une expertise sur un projet de l’employeur mais devra participer à la création d’une instance de coordination ad hoc qui fera appel à une expertise unique. D’autre part, celle ci devra être réalisée dans le délai préfix de l’expert comptable, c’est-à-dire 21 jours au lieu de 45. Ce sujet de l’expertise énerve le patronat (et la Direction Générale du Travail) depuis des années. Nous ignorions jusqu’alors que c’était aussi un sujet d’agacement pour les organisations syndicales.
Dans les faits, cet alinéa aurait interdit les nombreuses expertises qui se dont déroulées dans les différents CHSCT de France Télécom et qui ont permis de mettre en lumière les causes de la souffrance au travail des salariés de cette entreprise. Pourtant c’est adossée à celles-ci que l’inspectrice du travail a pu rendre un rapport complet permettant ensuite une action en justice. Ce sont aussi ces rapports qui ont permis de faire reconnaitre des suicides comme accidents du travail. Une instance ad-hoc, sans capacité juridique avec une expertise bâclée en 21 jours sur l’ensemble des sites d’une entreprise, ne pourra jamais être en capacité d’agir. Par cet alinéa, les signataires suppriment purement et simplement un outil important des CHSCT et brisent toute une jurisprudence en faveur de la santé des salariés.
Par ailleurs et justement, parmi les causes principales de la souffrance des salariés de France Télécom/orange, s’il en est une qui a été largement mise en lumière par l’action syndicale des CHSCT, c’est bien la mobilité forcée des salariés. Or, l’accord du 11 janvier 2013 dans ses articles 7 et 15 la prévoit à la fois en mobilité interne et en « mobilité volontaire sécurisée ».
Le droit à une « période de mobilité volontaire »dans une autre entreprise prévu par l’article 7 sera autorisé dans les entreprises de plus de 300 salariés et pour ceux ayant deux ans d’ancienneté. Il faut l’accord de l’employeur et un avenant au contrat de travail. L’exemple des ruptures conventionnelles qui sont souvent des licenciements déguisés montre à quel point le patronat sait détourner des mesures de leur objectif, en poussant les salariés dans un dispositif prétendant le volontariat du salarié. Gageons qu’avec ce dispositif, il en sera de même…
Dans l’article 15, la « mobilité interne » forcée n’est pas introduite comme moyen possible en cas de difficulté ou de baisse d’activité de l’entreprise. Elle est présentée simplement comme la mise en œuvre d’une « organisation courante » dans l’entreprise. Cela recouvre une importante augmentation du pouvoir patronal dans l’entreprise, et balaie d’une phrase des années de jurisprudence sociale.
Actuellement, le lieu du travail et le poste du travail étaient considérés comme parties intégrantes du contrat du travail. Dorénavant la mobilité interne peut être organisée sans bornes si un accord d’entreprise la stipule. Aucune limite dans les modalités de la mobilité forcée (périmètre géographique, temps du transport, pays) n’est imposée par le texte. Pire, le salarié qui refuse la mobilité prévue dans l’accord sera sanctionné par un licenciement pour motif personnel. L’employeur sera dispensé des obligations légales des procédures de licenciements économiques. L’employeur aura donc les mains libres à organiser la vie des salariés.
La validation de cet accord met donc en péril à la fois la santé des salariés et la capacité d’agir des instances en charge de s’assurer de sa préservation : il ne s’agit pas d’une réforme du marché du travail mais bien d’une régression du droit du travail !