Beaucoup de chiffres portant sur les accidents du travail, les maladies professionnelles ont été publiés ces dernières semaines. Leur lecture mérite de s’y arrêter quelques instants et de s’interroger sur ce qu’ils nous disent des conditions de travail et de leurs conséquences sur la santé des travailleuses et des travailleurs.
Tout d’abord les données relatives aux accidents du travail et maladies professionnelles de l’assurance maladie pour l’année 2016. Si le nombre d’accidents du travail (AT) avec arrêt ou ayant entrainé une incapacité permanente est de nouveau en augmentation (626 227 cas contre 624 5525 en 2015), l’indice de fréquence est relativement stable (-0,3%) avec 33,8 AT pour 1000 salarié-es contre 33,9 en 2015.
On peut signaler une baisse de l’indice de fréquence de -3,1 % dans le BTP, mais une hausse de 7,8 % dans l’intérim. Quant au secteur des services à la personne celui-ci a un indice de fréquence 3 fois plus élevé que la moyenne !
S’agissant des maladies professionnelles leur nombre pris en charge en 2016 est en diminution de 4,3% (48 762 contre 50960 en 2015). Les troubles musculo squelettiques (TMS) représentent 87% des maladies professionnelles indemnisées, l’amiante un peu moins de 7 %. Les cancers (hors amiante) sont, quant à eux, en hausse de 10 % ainsi que les pathologies psychiques maladies « hors tableau » (+ 40 %) mais leur nombre reste modeste (596) !
Mais ces chiffres sont loin de refléter la réalité des accidents et maladies imputables au travail.
D’un côté la sous-déclaration est importante: le rapport qui évalue tous les 3 ans le coût réel pour la branche maladie de la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles l’a estimé entre 695 millions et 1, 3 milliards d’euros (rapport 2015).
De l’autre le système des tableaux de maladies professionnelles restreint considérablement les possibilités de reconnaissance de pathologies professionnelles, tant leur définition est restrictive. C’est ainsi qu’il existe 119 substances cancérogènes mais seulement 22 tableaux permettant la reconnaissance de cancers professionnels! (voir ci-après) Le poids et les pressions du patronat dans la définition des maladies reprises dans les tableaux en sont des causes essentielles.
Selon une étude de Santé publique France1 publiée en 2017, près de 2,6 millions de salarié-es (2 millions d’hommes et 600 000 femmes) ont été exposé-es à au moins une « nuisance cancérogène » en 2010. L’étude qui a porté sur trois types de cancérogènes (agents chimiques, rayonnements ionisants et travail de nuit) a montré que l’exposition aux risques chimiques concernait 2,2 millions de salarié-es (1,9 million d’H et 272 000 F), celle aux rayonnements ionisants 259 000 (136 000 H et 123 000 F) et celle au travail de nuit 236 500 F.
Les secteurs où les hommes sont les plus exposés sont ceux du BTP, de la maintenance, des transports et de la réparation automobile. Les femmes les plus exposées sont les coiffeuses, les esthéticiennes et les professionnelles de la santé (infirmières, sages-femmes et aides-soignantes).
Selon l’Institut syndical européen (ETUI) les coûts des cancers liés au travail dans l’Union européenne sont très lourds : entre 270 et 610 milliards d’euros chaque année, soit entre 1,8 % à 4,1 % du produit intérieur brut de l’UE. Ces montants considérables s’expliquent par le fait que la totalité des coûts a été prise en compte. Les coûts directs pour les systèmes de santé des États membres (liés aux traitements médicaux), les coûts indirects pour les travailleurs et les employeurs (liés aux pertes financières dues à l’arrêt de l’activité professionnelle) et les coûts humains pour les victimes (impact sur la qualité de vie des travailleurs et de leur famille).
Selon l’Etui « Avec plus de 100 000 morts par an, les cancers professionnels sont la première cause de mortalité au travail dans l’UE. Le coût sociétal des cancers liés au travail est faramineux. Ce sont les travailleurs et leur famille qui en assument la part la plus importante. Cette situation constitue une injustice inacceptable, tant sur le plan social qu’économique et l’UE se doit d’agir pour mettre fin à ces cancers évitables ».
Enfin dans une étude récente, l’institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a mis en évidence l’ « effet mélange » encore appelé « effet cocktail » d’une exposition simultanée de l’humain à plusieurs substances chimiques.
Être exposé à plusieurs substances augmente considérablement leur dangerosité, la toxicité de départ pouvant ainsi être multipliée par 10, voire 10 000, selon les substances impliquées.
Selon l’Inserm, « il apparaît désormais clair, que continuer à focaliser les recherches sur ces produits chimiques « individuels » est de nature à sous-estimer le risque lié à leurs expositions simultanées, particulièrement chez les femmes enceintes ».
Ces quelques études donnent un éclairage particulier aux atteintes à la santé du fait du travail qui sont loin d’être reconnues tant par les employeurs et que par les pouvoirs publics.
Aussi on ne peut que s’étonner qu’après la loi travail de 2016 et les ordonnances travail qui ont porté des coups très sérieux aux droits des salarié-es notamment dans le domaine de la sécurité et de la santé au travail, les ministres du travail et de la santé osent aujourd’hui lancer une mission sur la santé au travail !
Alors que les services de santé ont été réformés en 2012, les surveillances médicales revues à la baisse en 2017, le compte pénibilité quasi liquidé, et le CHSCT (seule instance dédiée aux conditions de travail) supprimé on peut interroger sur ce qui va en ressortir. A moins qu’il ne s’agisse que d’un nouveau rideau de fumée… destiné à nous aveugler.
Solidaires entend avec d’autres continuer à faire de la santé et de la sécurité au travail un enjeu prioritaire, à rendre visibles les dégâts des expositions professionnelles sur la santé des personnes et à mettre en cause les responsables. Ne plus perdre sa vie à la gagner reste une revendication essentielle.
1 Étude faite à partir de l’enquête SUMER 2009-2010 et publiée en juin 2017. Pour mémoire l’agence « Santé publique France » a repris les missions de l’InVS (Institut de veille sanitaire), de l’Inpes (Institut national de prévention et d’éducation pour la santé) et de l’Eprus (Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires)