Dans notre bulletin n° 14 de janvier 2013 nous nous inquiétions des conséquences de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 pour la « compétitivité des entreprises et la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels des salariés ». Aujourd’hui que ce texte vient d’être retranscrit dans la loi, nous faisons le bilan des maigres évolutions apportées au cours des débats parlementaires sur le sujet de la santé et des conditions de travail. Alors même que se négocie en ce moment un projet d’accord sur la qualité de vie au travail, les conséquences néfastes pour la santé et les conditions de travail de cette loi apparaitront très rapidement. En voici quelques exemples :
Fixation de délais pour les expertises
La loi impose désormais au CE de rendre ses avis dans des délais préfix. Sauf dispositions législatives spéciales, ces délais seront fixés par accord entre l’employeur et le CE, ou le échéant le CCE, à la majorité des membres titulaires élus, ou à défaut d’accord, par décret. Ces délais ne pourront être inférieurs à 15 jours et devront permettre au CE d’exercer utilement sa compétence, en fonction de la nature et de l’importance du sujet et, le cas échéant, l’information et la consultation du CHSCT. L’absence d’avis dans ces délais vaudra avis négatif. La loi prévoit toutefois une possibilité de prolongation des délais : en cas de décision du juge des référés, saisi par le CE, constatant des difficultés particulières d’accès aux informations nécessaires à la formulation d’un avis motivé.
Enfin, la loi encadre les délais d’expertise (comptable ou technique). L’expert devra remettre son rapport dans un délai raisonnable fixé par un accord entre l’employeur et le CE, ou à défaut d’accord, par décret. Au sein de ce délai, l’accord (ou le décret) fixera le délai dans lequel l’expert pourra demander à l’employeur toutes informations nécessaires, ainsi que le délai de réponse.
Cette forte réduction des délais, alors même qu’ils sont déjà souvent trop courts pour permettre la réalisation d’expertises complètes, risque de les rendre moins opérantes.
L’instance de coordination des CHSCT
Dans les entreprises pluri-établissements comptant plusieurs CHSCT, l’employeur pourra mettre en place une instance temporaire de coordination des CHSCT, ayant pour mission d’organiser le recours à une expertise unique du projet commun aux différents établissements. Elle pourra également rendre un avis. La délégation du personnel de chaque CHSCT nommera en son sein son ou ses représentants à l’instance, leur nombre variant selon la taille du CHSCT. Ils seront désignés pour la durée de leur mandat et le temps passé à la participation de l’instance pourra justifier le dépassement de leur crédit d’heures de délégation. L’expert devra remettre son rapport, et le cas échéant l’instance de coordination se prononcer, dans des délais fixés par décret. Le rapport, et le cas échéant l’avis, sera transmis par l’employeur aux différents CHSCT locaux, qui rendront leurs avis.
Là aussi, c’est l’employeur seul qui décide et contraint l’expertise à la fois dans des délais restreints mais surtout dans un périmétre géographique disproportionné, tout en réduisant la capacité d’action des CHSCT de proximité.
Mobilités externes et internes
Dans les entreprises de 300 salariés et plus, tout salarié justifiant d’une ancienneté minimale de 24 mois pourra avec l’accord de son employeur, bénéficier d’une période de « mobilité volontaire sécurisée ». Cette période, pendant laquelle son contrat de travail sera suspendu, est censée permettre au salarié d’exercer une activité dans une autre entreprise. Cette mobilité sera organisée par un avenant au contrat de travail, fixant l’objet, la durée, la date de prise d’effet et le terme de la période de mobilité.
C’est la suite de la rupture conventionnelle qui était censée elle aussi répondre aux souhaits de départ des salariés, on sait ce qu’il en est réellement aujourd’hui, c’est dans bien des cas une procédure de licenciement déguisée. Là aussi, on ajoute un étage à la fusée pour les salariés « volontaires » à partir travailler ailleurs, gageons que beaucoup n’auront guère le choix.
Quand à la possibilité aux entreprises de négocier l’organisation de la mobilité professionnelle ou géographique des salariés, interne à l’entreprise, hors projet de réduction d’effectifs, c’est une catastrophe sociale annoncée. Le gouvernement a refusé que la loi fixe des limites aux zones géographiques…
Une fois conclu, l’accord sera porté à la connaissance de chacun des salariés concernés.Si le salarié accepte la mobilité, les clauses de son contrat de travail contraires à l’accord seront suspendues. En cas de refus, son licenciement reposera sur un motif économique, et sera prononcé selon la procédure applicable au licenciement individuel (même si plusieurs salariés refusent), avec droit aux mesures d’accompagnement et de reclassement fixés dans l’accord. Lorsqu’on voit les conséquences désastreuses de ces mobilités dans des entreprises comme Orange, il y a de quoi sérieusement s’inquiéter.
Malheureusement la mobilisation sociale n’a pas réussi à infléchir le contenu de cette loi, sur ces sujets comme sur d’autres tout autant désastreux pour les salariés. L’extrême complexité de ce texte, le foisonnement d’articles du code du travail concernés et l’absence quasi totale de débat contradictoire public autour des enjeux de cette transposition ne l’auront sans doute pas permis. Il conviendra de poursuivre la bataille dans les entreprises et de construire les rapports de force nécessaires pour améliorer les conditions de travail des salariés.