Cardiologue dans les Bouches-du-Rhône, Pierre SOUVET est le Président et le cofondateur de l’ASEF*. En 2008, il a été élu « Médecin de l’année » par la revue « Impact Médecine » en raison de son combat sur les questions de santé environnementale. La section Solidaires Douanes MEDITERRANEE lui a soumis un questionnaire, et le remercie vivement d’avoir pris le temps d’y répondre. Voici ses réponses.
1. Les polluants relevés
Les relevés effectués autour de l’étang de BERRE présentent une grande diversité de polluants. Parmi ceux-ci lesquels sont les plus nocifs pour la santé ?
P.B. : Parmi les polluants les plus toxiques figurent l’arsenic, le cadmium, le chrome 6, le mercure, le plomb, les dioxines/furanes, les HAP (dont benzène), les COVs en général, les n0x et les particules fines (PM2,5 PM1 et PM0,1). Mais le plus dangereux est bien entendu l’exposition simultanée à ce cocktail de polluants.
Que pouvez-vous nous dire sur l’accumulation dans l’organisme de certains polluants nocifs pour la reproduction en particulier ?
P.B. : Les polluants organiques persistants (POP) comptent parmi les polluants les plus dangereux rejetés chaque année par l’homme dans l’environnement. Il s’agit de pesticides, de substances chimiques industrielles, ou de sous produits. Les POP sont notamment à l’origine de lésions du système nerveux central et périphérique, de troubles des fonctions reproductives et de dérèglements du système immunitaire. Il est important de prendre en compte à la fois la toxicité immédiate et les aspects différés de cette toxicité sur l’homme. Par exemple, les pesticides organophosphorés ont des effets immédiats (tremblements, salivation, maux de tête), des effets différés six mois plus tard (neuropathies, troubles d’orientation, maux de tête permanents) et sont suspectés de provoquer 10 à 20 ans plus tard des cancers.
Des effets nocifs d’une combinaison de polluants sont-ils connus ?
P.B. : Il est très difficile de mettre en évidence un effet additif des mélanges, étant donné que l’on ne peut pas séparer les différents polluants et donc pas comparer les effets du mélange aux effets du polluant seul dans les mêmes conditions. […] Une étude sur les effets du RoundUP sur les cellules du cordon embryonnaire du placenta montre que la substance active du RoundUp, le glyfosate, n’est pas forcément toxique pour les cellules du cordon embryonnaire quand il est seul, alors que le produit fini, lui, est toxique.
Tous les polluants présents sont-ils relevés ? Existe-t-il des éléments présents dans l’air dont la toxicité n’est pas certaine mais soupçonnée ? C’est surtout l’action conjointe des polluants que l’on ne connait pas. […] Une étude a montré que l’exposition aux PM2,5 et aux n0x augmentait de 50% les risques d’asthme chez l’enfant.
Hormis l’air à quelles autres sources de pollution peuvent être exposées les individus?
P.B. : Nous sommes exposés à toutes formes de pollution dans notre vie quotidienne : les ondes électromagnétiques, la pollution de l’eau et des aliments, sans compter les effets synergiques de l’association de différents polluants. Les particules fines (PM), par exemple, absorbent d’autres molécules toxiques sur leur surface, ce qui leur permet, tel un cheval de Troie, de pénétrer dans l’organisme.
2. La valeur des études scientifiques
Hormis quelques polluants relativement bien connus du grand public comme le dioxyde de souffre, la plupart des polluants relevés ne franchissent pas les seuils critiques, où des périodes de dépassement suffisamment longues pour être considérées comme dangereuses pour la santé. Que pensez-vous de la pertinence de ces seuils ?
P.B. : Ces seuils ont été établis sans tenir compte des expositions multiples. Ils ne sont donc pas toujours pertinents. Ils sont à considérer comme des seuils purement réglementaires et non pas sanitaires.[…]
Il existe un lissage des données sur plusieurs heures, voir plusieurs jours (par exemple avec la source de données Air-fobep), méthode qui minore les pics de pollution…le problème se pose alors de la valeur de telles données.
Il semblerait que l’on soit capable d’avoir les dosages heure par heure. On pourrait donc faire des modélisations jour et des modélisations nuit. Ces modélisations devraient être un élément clef incontournable de surveillance de la qualité de l’air, contrairement aux procédés actuellement utilisés.
Pour les personnes travaillant sur la zone, est on capable de définir des durées critiques d’exposition aux polluants ?
P.B. : C’est en effet la grande difficulté de la question de l’exposition de l’homme aux toxiques environnementaux qui dépend des effets cocktails, de la durée, de la période de la vie, les comportements personnels… L’état actuel des études qui n’avaient pas pris en compte ces aspects ne permet pas de définir des seuils appropriés à la réalité. On ne se base que sur des valeurs limites de référence fixées pour l’Europe et pour la France qui ne tiennent pas compte des aspects évoqués ci-dessus.
Que pensez-vous des normes de rejets imposées aux industriels et de la pertinence des contrôles en la matière ?
P.B. : Les normes ne sont pas sanitaires mais techniques ou réglementaires, comme dans le cas des dioxines et des incinérateurs, et ne tiennent pas compte de l’aspect fondamental de l’effet cocktail, mentionné dans le rapport Cancer Environnement. De plus certains contrôles ne se font pas de manière inopinée.
Si les relevés et les analyses scientifiques ne manquent pas, celles-ci débouchent sur des constats rassurants (pas plus pollués à FOS qu’ailleurs finalement) ou des conclusions impossibles au nom même de la précaution scientifique. Peut-on affirmer que les gens travaillant à Fos-Port Saint-Louis courent un ris- que pour leur santé?
P.B. : On peut considérer que le risque est accru par rapport à des personnes qui ne sont pas exposées à de telles pollutions.
3. La démarche citoyenne
Les populations de travailleurs sensibles comme par exemple les femmes enceintes ne devraient-elles pas bénéficier au moins d’un suivi particulier renforcé ? Voire d’une interdiction, ou aménagement, de travailler sur ce site ?
P.B. : Une étude a mis en lumière ce problème d’exposition des femmes enceintes. Les chercheurs ont donc proposé des recommandations pour les travailleuses enceintes qui sont exposées à des taux de solvants élevés dans les laboratoires d’analyses. Celles-ci doivent changer de poste pendant la grossesse pour ne pas exposer le fœtus. Il est important d’assurer un suivi de la femme enceinte et du foetus, quant à l’exposition à ces solvants. De la même manière, il est bien connu que les femmes enceintes peuvent transmettre les PCB à l’enfant au cours de la grossesse, ainsi que pendant l’allaitement.
La médecine du travail n’apparaît pas comme un relais efficace des inquiétudes des travailleurs, quels moyens peuvent-être envisagés individuellement ou en association pour mettre en place un dépistage ou un suivi des intoxications liées à cet environnement ?
P.B. : Il faudrait mettre en place une sorte de fichier global de tous les produits toxiques présents sur les sites et un fichier médical qui se poursuivrait même après la retraite, ce qui n’est pas le cas actuellement. Ce fichier permettrait au fil du temps de savoir quel produit impacte les salariés et le lier à un rapport médical; et d’indiquer quelles pathologies ces salariés risquent de développer.
Peut-on encourager l’accès dans un délai rapide à des analyses pour les agents se sentant exposés lors de rejets ponctuels, lors d’odeurs, de nuées, lors de manifestations de certains symptômes rencontrés à certains moments au niveau ORL, des yeux, de la peau, etc. ?
P.B. : Oui. Sachant bien sûr qu’il serait aussi intéressant de doser les produits présents dans les odeurs pour en connaître la composition. Un produit cancérigène n’est pas forcément odorant.
Enfin, les agents travaillant (et parfois vivant) dans la zone de Fos-Port-St-Louis sont conscients d’exposer leur santé à des risques mal reconnus voire niés par les autorités. Existe-t-il une prise en compte de l’impact psychologique lié au fait de vivre et travailler dans un tel contexte environnemental et social ?
P.B. : Dans les sites industriels où il y avait des ouvriers, leur espérance de vie était de 7 ans inférieure à celle des cadres. Jusqu’à présent, il a toujours été considéré que cet écart était dû à l’aspect social et comportemental des travailleurs. Il faut redonner sa réelle place à l’impact environnemental sur la santé depuis le lieu de travail.