Le collectif pour la santé des travailleuses et des travailleurs avaient lancé début avril une invitation à participer à une réunion préparatoire aux « états généraux de la prévention de la santé des travailleuses et des travailleurs ». Celle-ci s’est déroulée le 20 avril aprés midi à la bourse du travail à Paris.
L’invitation faisait plusieurs constats :
En 1946 furent, notamment, mis en place quatre piliers qui participent au droit constitutionnel à la protection de la santé au travail :
- les services prévention de la sécurité sociale destinés à soutenir techniquement la prévention des risques professionnels et d’y contraindre si nécessaire les entreprises,
- La médecine du travail chargée exclusivement d’éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail,
- l’inspection du travail afin de surveiller l’application du droit du travail notamment en matière de santé et de prévention et de verbaliser les entreprises qui s’en écarteraient et éventuellement de demander la pénalisation des infractions.
- Le CHS dans lequel les travailleurs apportaient leur contribution à la prévention, rôle devenu prépondérant après la création en 1985 des Comités d’Hygiène de Sécurité et des Conditions de Travail et des nouvelles prérogatives pour les Délégués du Personnel, s’appuyant sur des experts qu’ils mandatent et qui permet l’expression de la réalité du travail dans la démarche de prévention.
Ces piliers de la prévention de la santé au travail sont en péril, car victimes d’un travail de sape :
- Les services prévention de la CARSAT, privés de moyens n’auraient bientôt plus comme fonction que de conseiller l’employeur, sans moyens de faire pression pour obtenir une meilleure prévention.
- La médecine du travail étranglée par la pénurie de praticiens, étouffée par la gouvernance des employeurs des services de santé au travail, ne serait bientôt plus qu’un instrument de sélection médicale de la main d’œuvre, la visibilité des déterminants de la santé au travail n’existerait plus ;
- L’Inspection du travail, réduite à la portion congrue perdrait son indépendance et deviendrait un instrument de conseil sans pouvoir de sanction. La dépénalisation des atteintes au droit du travail sont par ailleurs programmées ;
- Les CHSCT et le rôle de prévention des DP seraient réduits ou supprimés. Alors que le CHSCT est un exceptionnel lieu de débat sur le travail, sa capacité d’expertise déjà atteinte par l’ANI serait empêchée, l’engagement du mouvement social pour faire du travail un facteur de construction de la santé, la visibilité du travail réel, moteur incontournable d’une véritable prévention, seraient annihilés. Cela est d’autant plus paradoxal que les fonctions publiques viennent de mettre en place leurs CHSCT.
Dés lors, la réunion préparatoire du 20 avril avait pour objet d’effectuer un état des lieux, destiné notamment à mettre en lumière les failles originelles qui ont permis d’affaiblir le système de prévention des risques pour la santé des travailleuses et des travailleurs, puis une analyse des procédés mis en œuvre pour le détruire. Ainsi, les états généraux pourront être consacrés à élaborer des propositions pour une refondation de la prévention des risques du travail, afin que plus personne ne perde sa vie à la gagner.
La réunion du 20 avril a permis à de nombreux actrices et acteurs de la santé des travailleuses et travailleurs de rejoindre et de participer au projet initié par le collectif, associations, syndicats, experts, avocats, chercheurs, médecins, magistrats, etc. La dynamique initiée par l’appel « Pour ne plus perdre sa vie à la gagner » en début d’année 2015 est grande.
Les échanges furent riches au cours de cette demi journée et ont embrassé un nombre important de sujets. Parmi ceux-ci :
- la place et le rôle de la médecine du travail, soumise au patronat, le mouvement de démédicalisation de la question de la santé au travail, la pénurie organisée, les menaces pour elle que représenterait la disparition des CHSCT et les attaques coordonnées contre la clinique médicale et le lien qu’elle a construit entre organisations du travail et effets sur la santé.
- en Europe, le mouvement général de combat par les libéraux des directives européennes ; la directive « cadre » de 1989 sur l’évaluation des risques dans les entreprises est peu à, peu vidée de sa substance et la substitution du droit français (« ma liberté s’arrête là où commence celle du voisin ») au droit anglo-saxon (« si j’ai porté préjudice à quelqu’un dans l’exercice de ma liberté, je l’indemnise ») avec le renversement de la hiérarchie des normes.
- l’ importance de prendre en compte la situation particulière de la fonction publique pour laquelle la législation (accidents de services, médecins de prévention, CHSCT) est différente et source d’injustice pour un quart des travailleuses et travailleurs.
- d’agir aussi sur les modifications passées inaperçues sur le travail des apprentis et d’avoir une réflexion autour d’une stratégie juridique et sur l’effectivité du droit.
- de réaffirmer la sanction pénale : il faut combattre l’omniprésence de l’indemnisation plutôt que la condamnation
- de rendre visible l’origine professionnel des pathologies, par exemple via un observatoire national des maladies professionnelles et de rendre simple et facile les démarches pour les faire reconnaître.
- l’importance du rôle de mise en lumière, véritable question démocratique, les questions de la santé des travailleuses et des travailleurs.
- de rendre accessibles les lois qui existent mais sont méconnues ; travail d’information à faire et déconstruction des préjugés (sur la médecine du travail, les IRP, les syndicats…)
- d’avoir une réflexion sur la place institutionnelle de la médecine du travail,
- de penser d’ors et déjà à la suite des états généraux our ne pas en rester à une simple réunion mais comme un outil pour l’action.
- de souligner l’importance de la convergence des institutions (syndicats, assos, cabinets…) pour faire échouer les réformes mais aussi de ne pas seulement contester mais aussi construire des alternatives.
- de s’appuyer sur des luttes en cours ou passées pour donner vie aux enjeux et avoir des objectifs offensifs.
- de redire la prégnance de la lutte des classes tout en proposant un cadre unitaire le plus large possible,
- de renforcer la présence des représentant-e-s des salarié-e-s et les travailleuses et travailleurs car sans rapport de force cela restera vain.
Et beaucoup d’autres choses encore.
La demi-journée a permis à partir de ces échanges de poser quelques premiers axes communs. En premier la nécessité d’arriver à articuler à la fois la lutte immédiate contre la loi sur la dialogue social et d’apporter une réflexion de fond sur la santé au travail., tout le monde s’accordant à souligner les dangers de ce texte. Pour personne, les CHSCT étaient sauvés comme le prétendent certains.
Pour la préparation des états généraux, ceux-ci doivent permettre de lever le voile sur la méconnaissance des salariés quant à leurs droits, de montrer le potentiel du CHSCT, notamment sur l’éclairage sur le travail réel et d’axer notre travail autour de celui-ci, d’affirmer un droit à la santé et l’importance de la sanction.
La construction des états généraux doit reposer sur des luttes et des mobilisations sur la santé au travail avec, pourquoi pas, l’appui de cahiers de doléance. Nous devons réussir à porter au même niveau les revendications d’emplois, de salaires et de conditions de travail et à donner toute leur légitimité aux enjeux de santé.
Une prochaine journée de préparation est programmée au mois de juin avec un temps en atelier le matin car il y a nécessité d’approfondir un certain nombre de questions. Ces ateliers devront avoir des axes pluridisciplinaires pour ne pas s’enfermer dans des ateliers avec chaque discipline de son côté, par exemple autour des thèmes Sanctions, visibilité, démocratie.