L’employeur doit prendre toutes les mesures possibles pour protéger ses salariés contre les risques d’agression en vertu de son obligation de sécurité de résultat, dont voici deux jugements intéressants.
1- La poste vient d’être condamnée à verser 66 500 au titre de dommages et intérêts au profit de 15 salariées pour manquement à son obligation de sécurité.
Dans cette affaire des salariées ont saisi le conseil des Prud’hommes pour que leur employeur soit condamné pour violation de son obligation de sécurité et pour préjudice d’anxiété subi. Le syndicat Sud PTT soutenait leur action.
A l’origine du recours des salariées -toutes contractuelles- une série d’agressions et d’attaques à main armée (11 au total sur la période de février à novembre 2012) visant des bureaux de poste.
Face à ces évènements le personnel et ses représentants ont demandé des mesures de protection supplémentaires. Lors des réunions du CHSCT des résolutions visant à mettre en œuvre des mesures de prévention, à renforcer la sécurité et protéger la santé des salariés ont été adoptées: demandes de présence de vigile, de comblement des postes de travail, de formation face aux agressions. A l’occasion d’une nouvelle agression, les personnels des 24 bureaux ont exercé leur droit de retrait et exigé la présence de vigiles dans tous les bureaux de poste. Ce n’est que très tardivement (après la 10ème agression) que la direction de la poste a consenti à déployer des vigiles sur la région.
La direction de la poste soutenait que le risque de braquage et d’agressions à main armée émane de l’extérieur de l’entreprise et que la prévention et la répression de ce risque relèvent de l’action des pouvoirs publics seuls habilités à lutter et à réprimer ces actes criminels et non de la compétence de l’employeur. Elle jugeait par ailleurs que la présence de vigiles n’était pas un moyen de nature à éliminer le risque d’attaque à main armée, les vigiles n’étant pas armés et ne disposant pas de pouvoir pour réprimer les infractions.
Enfin elle estimait avoir fourni des efforts considérables en matière de sécurisation de ses agents et de ses clients : vidéosurveillance, liasses traceuses, consignes de prise de service, à la conduite à tenir en cas d’agression, consignes de répartition et de manipulation des fonds ….
Le conseil des Prud’hommes s’est déclaré compétent pour examiner chacune des requêtes individuelles qui doivent être jointes parce que liées, mais cela n’en fait pas pour autant un litige collectif . (dans ce cas les tribunaux de droit commun sont compétents).
Les juges ont reconnu que la direction avait pris des mesures pour assurer la sécurité des salariés et des usagers des bureaux de poste, réalisé d’importants investissements, développer la communication en matière de sûreté et de sécurité.
Mais pour condamner l’employeur, les juges se sont fondés sur la tardiveté (attestée par les PV des réunions, des délibérations du CHSCT) des mesures à mettre en place qui auraient participé à la prévention des risques d’attaque à main armée et qui a causé indubitablement un préjudice aux salariés.
« Le préjudice existe même en l’absence d’attaques à main armée subi par les demanderesses. La Poste doit être condamnée à des dommages et intérêts pour manquement à son obligation de sécurité de résultat englobant le préjudice moral résultant de l’angoisse générée par l’insécurité ayant prévalu sur les lieux de travail qu’il convient de fixer à une somme de 4 000€ pour chacune des salariées demanderesses. »
La direction de la Poste va faire appel.
Jugement du conseil de Prud’hommes du Havre du 10 avril 2015
2- Un directeur de magasin qui avait fait l’objet de deux cambriolages et de deux braquages avait demandé à bénéficier d’une plus grande protection.
L’employeur avait alors installé une vidéosurveillance, lui avait proposé un suivi psychologique et avait fini par lui proposer une mutation dans un autre magasin. Mais pour le salarié ces propositions n’étaient pas de nature à faire cesser son anxiété : le soutien psychologique n’était pas une mesure de protection, la mutation dans un autre magasin à priori pas plus sécurisé ne répondait pas à l’obligation d’assurer la sécurité du salarié.
L’intéressé et le CHSCT suggéraient le recours à un maître chien, l’installation d’un coffre fort spécial déclenchant une alerte dès qu’on l’ouvre, la mise à disposition de Bip en relation directe avec les bureaux de la police. Mais pour l’employeur ces mesures complémentaires n’étaient pas de nature à éviter des braquages.
Au bout du compte le salarié était tombé malade puis lors de la deuxième visite de reprise « le médecin du travail a rendu un avis d’inaptitude définitive au poste et d’aptitude » à un poste sans contact avec le public et sans risque potentiel d’agression par une personne étrangère à l’entreprise ».
Licencié, l’intéressé avait poursuivi son employeur pour violation de son obligation de sécurité, la cour d’appel lui a donné raison (comme la cour de cassation) en considérant que la seule mesure prise par l’employeur était l’installation d’une vidéo surveillance et que les propositions de protection faites par le salarié et le CHSCT n’ont pas été suivies d’effet.
Cass.soc., 26 septembre 2012, n°10-16307
A la lecture de ces jugements on peut affirmer que les juges vont de plus en plus loin dans l’obligation de sécurité de résultat des employeurs.
Ces deux jugements mettent également en évidence l’importance du CHSCT à se saisir des questions de sécurité des salariés, à faire des enquêtes et à laisser des traces écrites de leurs interventions (PV, délibérations…).