« Surfer » sur le site web de Sephora c’est toute une aventure! C’est cool, moderne, chic, au top ! On peut même voir LA série Sephora. Cinq saisons à ne pas rater: des conseils de maquillage, des présentations des nouveaux produits, comment se coiffer…bref un mode d’emploi pour être une « vraie » femme.
Après avoir visité ce site, on ne pourra plus se passer du « spray coiffant à base de sels de mer pour avoir un look de surfeuse » ou « du soin anti-rides d’expression ». De plus, un espace participatif est dédié aux clientes, ces « beauty addicts » comme ils les nomment sur le site, qui aiment les produits Sephora, donnent leurs avis :
“Pour jouer les sirènes en ville, je ne jure plus que par ce spray coiffant qui redessine mes boucles comme après un bain de mer.”
Ou encore
“On aime toutes rire mais ça fait des rides ….! Avec ce dernier soin du Dr Brandt, on peut lutter contre les rides d’expression et donc rire toute la journée !
“Réfléchissons un instant, arrêtons nous pour comprendre ce monde « merveilleux » de Sephora. En effet, il ne s’agit pas uniquement d’utiliser la femme comme un objet publicitaire mais nous devons aussi souligner que ces formes de communication impactent directement le travail des vendeuses des magasins. Ce récit montre le sexisme des campagnes publicitaires dans cette enseigne ainsi que les conséquences sur les salarié-es.
La rue de la République à Lyon est un espace d’accueil d’un nombre important de magasins de vêtements, de chaussures, librairies… et il ne pouvait pas manquer Sephora, une des marques les plus importantes de cosmétiques en France. Une enseigne où travaillent majoritairement des femmes. Avant de rentrer dans le magasin, on se trouve face aux affiches publicitaires. Bombassitude, fascinance, glamourisme, attractionnisme, rayonnessence … des néologismes qui se veulent modernes, attirants, sexy, qui ne veulent rien dire mais qui disent tout. Des visages de femmes vous invitent à l’aventure du maquillage.
Les Sephorettes et la Sephora attitude…!
A l’entrée du magasin une « Sephorette »1 vous approche et vous dit « Bonjour » avec un sourire encadré d’un rouge à lèvres. Dans sa tête « Les 10 étapes de la Sephora Attitude » qui doivent être suivies au pied de la lettre. Dix points que les « conseillères » ne doivent pas oublier d’appliquer quand un-e client-e entre au magasin. Essayons de suivre ces étapes de la Sephora Attitude2 :
- UN, le contact chaleureux : « Je signale ma présence avec sympathie quand une cliente fait son entrée dans le magasin »
- DEUX, vive la liberté (contrôlée) : « Je suis disponible pour ma cliente tout en la laissant découvrir librement les lieux, les produits »
- TROIS, j’attire ma proie : « J’approche ma cliente avec bonne humeur et la séduis par une prise de contact audacieuse »
- QUATRE, toujours à l’écoute : « J’écoute ma cliente exprimer ses rêves, ses besoins, ses envies »
- CINQ, capacité de réaction : « Je suis capable de répondre aux attentes de ma cliente en lui proposant un éventail de produits adéquats »
- SIX, conteuse d’histoire : « Je fais succomber ma cliente, chaque produit à une histoire »
- SEPT, ne pas oublier d’être amicale… quel plaisir ! : « Je continue l’échange sympathique avec ma cliente en lui faisant vivre un moment de plaisir »
- HUIT, surtout la reconnaissance… de la marque: « Je remercie ma cliente de partager avec nous l’expérience Sephora »
- NEUF, accueillante… pendant qu’elle sort son carnet de chèque : « Je l’accueille en caisse et m’assure qu’elle nous quitte avec enthousiasme »
- DIX, les adieux: « Je salue et remercie toute personne sortant du magasin »
Un vrai manuel de comportement et d’état d’esprit. Vous n’avez plus qu’à suivre ces instructions et vous aurez la Sephora Attitude! Et bien évidement il ne faut pas oublier les INCONTOURNABLES ! Un bref passage de l’échange avec les représentantes du personnel illustre ce que les incontournables représentent :
« L’accueil : tous les clients qui passent la porte doivent être accueillis, avoir un bonjour, dès que le client rentre il faut aller sur le client, en fait il faut avoir une accroche ouverte, dire je peux vous aider ?…
M: il faut être originale…
A: exemple… « vous avez une jolie bague, ah elle est jolie où est ce que vous l’avez acheté ?», allez hop je vous présente le nouveau parfum…
V : Alors par exemple si la cliente ou le client nous dit c’est bon je regarde, il faut rebondir, il faut lui parler de nos services, des nouveautés […]
V: […] si le client […] a besoin d’aide, après il faut toujours forcement lui montrer […] que c’est mieux avec deux produits, voir trois produits, après lui proposer la carte de fidélité, ça on a un objectif…
M: On lui donne un panier…
V: ah oui on lui donne un panier, […] donc il faut… on était sur la carte de fidélité, on a un objectif là dessus, on a une pression terrible, pareil sur les focus, en fait nous on est primé.es […] »
Il y a aussi le parfumage, l’accompagnement en caisse et le « couponing » (donner les coupons de réduction). Comme les représentantes du personnel l’expliquent, les salarié-es sont poussées à convaincre les clientes qu’il ne faut pas se contenter d’un seul produits mais qu’il faut en acheter plusieurs. Par exemple il n’est pas possible d’avoir le démaquillant sans la crème hydratante !
A Sephora il y a un « vrai » esprit d’appartenance. Il s’agit de créer un esprit d’équipe, notamment avec des mots que seul les seul les salarié-es de Sephora pourront comprendre :
«[…]ils installent tout ça dans un premier temps, t’as ton petit cocon, t’as ta bulle, et puis petit à petit on va démonter et on va dire prouve ta motivation, une conseillère qui va vouloir partir à l’heure pile, ce qui est son droit, c’est à dire qu’elle a fini ses heures de boulot, elle n’est pas payée pour les heures en plus, si elle part à l’heure on va lui dire, oui tu comprends tu manques de motivation, tu ne dépasses jamais les heures, donc voilà ça commence comme ça tout doucement, et à un moment on te met en défaut, on te fait croire que t’es pas si bien que tu l’aurais cru, que si tu veux évoluer il faut vraiment que tu rentres dans le moule, s’il y a quelque chose qui ne va pas , qui ne te plaît pas, si t’en parles c’est tout de suite ; tu comprends tu n’adhères pas à l’entreprise […] »
Ces pratiques des management sont à l’origine d’un certain nombre de mal-êtres des salarié-es et cachent des pratiques abusives des patrons. Les délégués du personnel expliquent que c’est en partie à travers cette question du langage commun et l’identification à l’entreprise que Sephora fait travailler les salarié-es au delà des heures sans être payé-es en heures supplémentaire, pour prouver leur motivation. Si la salariée passe du temps supplémentaire dans l’entreprise, c’est une preuve d’engagement, dans le cas contraire c’est un élément de stigmatisation et de culpabilisation. Pour bien s’assurer que les salarié-es mettent en pratique ces consignes, des évaluations sont mises en place. Les managers font des écoutes de vente, ils suivent les vendeuses dans le magasin et évaluent leurs pratiques. Un suivi trimestriel personnalisé est réalisé. Il prend la forme d’évaluations de toutes ces étapes. D’abord les salarié-es sont incité-es à réaliser une auto-évaluation sur leur travail. Une échelle de 1 à 5 est proposée pour auto-évaluer l’application des différentes étapes qui leurs sont demandées. « 1 » signifie que la conseillère n’applique jamais ou presque jamais la consigne et « 5 » qu’elle a intégré l’ADN Sephora, donc qu’elle suit toutes les étapes. Bref, des objectifs, des évaluations, des mise en concurrence…
Comme une des déléguées du personnel explique, « on fait femme sandwich, on fait publicité, il faut tout de suite qu’on dise, regardez le rouge à lèvre, […] on fait vitrine, on fait testeur ambulant, mannequin… ». Les salariées de Sephora doivent porter les produits de la marque pour les montrer aux clientes. Une des campagnes publicitaire est emblématique : Les produits Hot Now 3!
Au moment du lancement d’un mascara, les salariées devaient par exemple porter un badge avec le nom de la campagne et un mascara comme un collier pour le montrer aux clients-es :
« […] on demande à chaque salariée de porter un mascara donc en fait le mascara arrive entre les seins, et ça fait plutôt penser à un godemiché… »
Pour une des premières campagnes « Hot Now », avec l’obligation de porter un badge, les commentaires dégradants de ne se sont pas fait attendre et se généralisent : « alors vous êtes chaudes maintenant ? », « c’est vrai que vous êtes chaudes ? ».
Cependant, au sein de cette enseigne les militantes Sud mènent un travail important de défense des salarié-es. Dans cette dynamique militante, les délégué-es se sont emparées de la question des campagnes publicitaires sexistes subies par les salarié-es. Les représentantes ont mené des actions au sein du CHSCT qui a permis d’atténuer les atteintes aux salarié.e.s.
Voyons par exemple une des lettres envoyées au président4 de cette instance en mai 2012 :
« Monsieur le président du CHSCT
Je vous informe en urgence des faits suivants : le port du badge « HOT NOW » par les salariées des magasins associé à l’affiche montrant une demi-fesse de femmes entraînent des réactions inadmissibles de clients telles que : « ce sont des chaudasses chez Sephora » ou encore « c’est vrai que vous êtes chaudes » plaçant les salariées qui doivent entendre de telles réflexions dans des situations subies qui sont anormales, vexatoires et humiliantes. Je vous demande de prendre la décision immédiate de retrait du port de ce badge qui entraîne ces réflexions de la part de certains clients. Je rappelle qu’il y a quelques années, j’avais déjà du demander le retrait du magazine « FLAVOR » qui titrait sur sa couverture « LES NOUVELLES SALOPES » ainsi que le retrait d’un badge « LES MAMANS SEXY » que les salariées devaient porter à l’occasion d’une fête des mères. Il s’agissait déjà de bien tristes symboles et d’images dégradantes de la femme dont l’entreprise parait ses salariées. Je constate que l’entreprise renoue avec ces pratiques commerciales peu glorieuses et qui portent atteintes à la dignité des femmes qu’elle emploie, mais au-delà à la dignité de la femme en général. Ces différentes expériences m’amène à demander que dorénavant les campagnes commerciales soient présentées au CHSCT avant leur lancement afin d’éviter ce genre de situation
Dans l’attente d’une décision extrêmement rapide
X. Représentante syndicale SUD au CHSCT »
Cette lettre qui prend en compte le vécu des vendeuses de Sephora conteste les symboles véhiculés par ces publicités et leurs conséquences sur les employées. Suite à cette initiative cette représentante du personnel SUD au CHSCT, a obtenu le retrait du badge que les salariées devaient porter. La déléguée a envoyé une copie de la lettre à l’inspection du travail qui a réagit en intervenant auprès de la Direction de Sephora. Les militant-es de Solidaires n’hésitent pas à limiter le « tête à tête » avec leur employeur pour faire sortir à l’extérieur de l’entreprise les problèmes que les salarié-es rencontrent. C’est le cas notamment avec le recours à l’inspection du travail. Il s’agit, le plus souvent d’un appui important quand il est demandé par les représentants du personnel.
Le syndicalisme de l’Union Syndicale Solidaires tente de se développer avec une double préoccupation : défendre au quotidien les salarié-e-s, faire appliquer le droit du travail mais aussi intervenir sur les questions sociétales. Cette double dimension est au cœur de l’action quotidienne des représentant-es du personnel. De plus, le féminisme est une des préoccupations de la lutte syndicale à Solidaires. Elle se matérialise dans les « commissions femmes » et les formations sur les questions d’égalité femmes/hommes entre autres choses. Actuellement une exposition de tableaux au sein du local de Solidaires Rhône propose des réflexions autour de ce sujet. En outre, un film sur la question du sexisme à Sephora est en cours de réalisation par un groupe de militant.e.s.
1Nom donné par l’entreprise aux salariées.
2 Les phrases en italique sont reprises comme elles sont écrites sur le document d’évaluation en annexe.
3Ce qui peut se traduire par “chaude maintenant”
4 Le président du CHSCT est le chef d’entreprise ou son représentant qui dispose d’une délégation de pouvoir sur les questions de conditions de travail avec notamment une obligation de préserver la santé physique et mentale des salarié-es.