Conflits d’intérêt
D’abord, fixons le décor : un mélange des genres autour de membres d’un grand corps : les ingénieurs agronomes (devenus fin 2009 ingénieurs de ponts, eaux et forêts –IPEF-).
Ces ingénieurs exercent dans des domaines très variés. Pour ce qui concerne l’industrie agroalimentaire et les pesticides, on les trouve dans l’Etat (ministère de l’agriculture – direction générale de l’alimentation -DGAL- et ministère de l’écologie), dans les agences d’évaluation des risques (ANSES, ex-AFSSA), dans les agences internationales (telle l’EFSA, agence européenne de sécurité de l’alimentation), dans les organismes de recherche (comme l’INRA), dans les firmes chimiques (Syngenta, BASF, Monsanto, etc.), et bien sûr….à la tête de leur organisation professionnelle l’UIPP (union des industries de protection de la plante –sic !).
Les « agro » passent d’un poste à l’autre dans les organismes susvisés. On en trouvera donc qui seront successivement directeurs d’administration centrale au ministère de l’agriculture, puis directeur d’une agence d’évaluation, puis membre directeur de l’UIPP, puis à nouveau membre d’une direction du ministère, etc.
Ce mélange des genres entraine évidemment prise de distance avec l’intérêt général (santé publique, production agricole respectueuse de la santé des travailleurs, des sols, de l’eau, de l’air), au profit de l’intégration d’intérêts particuliers (profits des firmes agrochimiques et des ingénieurs concernés : les intérêts financiers et les belles carrières sont attractifs…).
Atteintes graves à la santé des travailleurs
Le système d’autorisation de mise sur le marché des pesticides (AMM) est a priori plutôt vertueux. En effet, il est en théorie basé sur l’évaluation des risques avant décision, selon la procédure suivante :
– Les industriels demandent une AMM au ministère de l’agriculture pour un pesticide
– Le ministère agriculture (DGAL) demande son avis à l’agence d’évaluation des risques (ANSES, ex-AFSSA, agence publique sous tutelle de 4 ministères dont évidemment l’agriculture qui y pèse très lourd),
– L’agence rend un avis (quasiment toujours favorable !) pour la mise sur le marché du pesticide,
– Le ministère de l’agriculture (DGAL) prend une décision d’autorisation de mise sur le marché (AMM) assortie de recommandations sur les conditions d’utilisation (port d’équipements de protection individuelle par exemple). Le produit pourra alors être commercialisé et utilisé.
Voyons à présent comme le système, de vertueux devient vicieux quand l’Etat et l’agence d’évaluation ne jouent pas leur rôle par lâcheté face à la pression des lobbies, et par l’effet de leur incompétence dans les domaines de la santé et de la sécurité au travail.
– Premier hic : La notion de risque acceptable et de niveau d’exposition acceptable –AOEL-. Attention, il ne s’agit pas d’un risque résiduel, mais d’un risque « acceptable » et donc accepté par les évaluateurs et décideurs politiques……sur le dos des travailleurs….
Le risque acceptable, c’est le cache-sexe, l’alibi qui permet aux décideurs de dire : « au delà on aurait dit non, mais là c’est acceptable ». Dans les faits, cette acceptation va bien au delà de ce qui est supportable pour la santé des personnes exposées.
– 2ème hic : les avis de l’agence d’évaluation sont rendus sur la base de modèles anciens, obscurs et non fiables pour l’évaluation des risques pour les travailleurs. Basés sur des niveaux théoriques de protection des équipements de protection individuelle (EPI : gants et combinaisons de travail), ces vieux modèles ans sont totalement obsolètes. Les résultats d’expertises scientifiques très récentes démontrent sans ambiguïté que les vêtements de travail sont perméables aux pesticides.
En clair, les agriculteurs se croient protégés alors que ces vêtements laissent passer les produits toxiques qui se retrouvent donc directement sur la peau et donc dans le sang de leurs utilisateurs (cf. expertises AFSSET sur perméabilité des combinaisons)
Le ministère de l’agriculture devrait donc refuser les autorisations de mise sur le, marché quand les évaluations conditionnent l’utilisation de ces produits chimiques dangereux au port d’équipements de protection individuelle, car les équipements de protection efficaces n’existent pas à ce jour !
On peut imaginer que la puissance publique pourrait imposer aux riches firmes agrochimiques de s’assurer de l’existence de ces équipements de protection ainsi que de la mise en place de cabines de tracteurs étanches avant d’accorder l’autorisation de mettre en vente ces produits toxiques.
Mais plutôt que cela, l’Etat accepte tout, terrorisé par des firmes intimidantes qui n’hésitent pas à lancer des procédures très couteuses contre l’Etat en cas de tentative de refus (plein contentieux devant le Conseil d’Etat).
L’Etat ne joue pas son rôle
L’Etat est en charge de la protection de la santé des populations (et oui, même celle des travailleurs : exploitants et salariés agricoles…). Mais pour cela, il faudrait alors une orientation politique claire et que par exemple, les ministères en charge de la santé et du travail pèsent dans ce dossier totalement phagocyté par le ministère de l’agriculture qui porte les intérêts productivistes des lobbies agroalimentaires et agrochimiques.
Or, le syndicat des exploitants agricoles (FNSEA) ne joue pas son rôle en étant complice de ce système par lequel ses propres adhérents sont intoxiqués (cf. par ex. affaire Paul François / Monsanto), pas plus que la MSA (sécurité sociale agricole), qui reste dans une inaction complice alors qu’elle connaît parfaitement les risque pour ses cotisants (exploitants et salariés)….
Bref, tout le système est gangréné. L’Etat, qui devrait être garant du sérieux de politiques dans ce domaine, reste défaillant malgré les alertes nombreuses lancées par des chercheurs.
Ajoutons que malheureusement, les organisations syndicales de salariés ne sont elles même pas assez mobilisées sur ce dossier complexe.
D’un système vertueux à un cercle vicieux
Par conséquent, d’un système a priori vertueux on débouche sur un système vicié dans lequel les intérêts privés de l’agrochimie et de l’agroalimentaire ne sont pas exposés à un risque judiciaire.
– On peut souhaiter qu’une procédure judiciaire pénale soit lancée sur cette question de l’exposition des travailleurs à des risques d’intoxications et donc à des maladies graves (parkinson, cancers…), Toutefois, il est probable que les vrais responsables -bénéficiaires des profits liés à l’utilisation massive de pesticides- à savoir les firmes agrochimiques tenteront de s’exonérer et montrant aux juges que l’Etat leur a donné l’autorisation de mettre ces produits chimiques sur le marché avec une procédure d’évaluation préalable.
Par conséquent, la procédure d’évaluation-autorisation -totalement inefficace on l’a vu-, réussit l’exploit de protéger des conséquences judiciaires les véritables responsables de ce scandale de santé publique
Cela ne vous rappelle rien ? L’amiante et le médiator ? C’était le même processus.
Il est temps que le pouvoir politique fasse le ménage dans ce mélange des genres qui finira par l’éclabousser tôt ou tard. Quand aux responsables des administrations publiques, qu’ils soient prudents dans leurs décisions d’autorisation…car en cas de plainte au pénal par les victimes ou leurs syndicats, ils ne pourront pas compter sur les « politiques » qui les oublieront bien vite…
Quant à notre responsabilité syndicale, outre la dénonciation de ce système et l’information des travailleurs, elle réside sans doute aussi dans l’engagement de procédures judiciaires (civiles et pénales) pour la protection des droits des travailleurs agricoles exposés à ces risques graves.
Edmond Santo (syndicaliste Solidaires)