Chronique du 9 juin vue par Gérald Le-Corre, inspecteur du travail, militant CGT, secrétaire du CHSCT du Ministère du travail.
A l’ouverture de l’audience du 9 juin 2022 au matin, la présidente donne la parole à Jean-Paul Portello, ex-délégué syndical SUD de France Télécom à Annecy.
Le témoignage de Jean-Paul porte notamment sur le suicide de Jean-Paul Rouanet qui a mis fin à ses jours en se jetant d’un viaduc le 28 septembre 2009. Il est une des 39 victimes citées dans l’ordonnance de renvoi en correctionnel des juges d’instruction pour illustrer l’existence du harcèlement moral institutionnel de France Télécom.
Jean Paul, qui s’est constitué partie civile en première instance, parle aussi de sa propre souffrance, celle d’un représentant du personnel, délégué syndical et élu au comité d’entreprise. Il en parle, en pleurs, tentant de maitriser les tremblements de sa voix, indiquant à quel point c’était dur, très dur, qu’il s’est beaucoup engagé pour ses collègues. Il précise que si l’exercice des mandats, qu’il exerce depuis 1984, n’a pas toujours été simple, les représentant.e.s du personnel arrivaient à obtenir que les RH locales prennent en compte les situations des agent.e.s en difficultés sur leur poste de travail.
Mais avec la politique mise en place par LOMBARD et ses complices, il décrit le changement qui s’opère chez les RH locaux qui n’écoutent plus les représentant.e.s du personnel, tellement obnubilés par leurs objectifs de faire sortir les agent.e.s « par la fenêtre ou par la porte ». Les alertes des représentant.e.s du personnel sont étouffées, leurs paroles, leurs constats, leurs analyses non écoutés, niés, contestés….
Le constat est édifiant et Jean Paul met les mots qui s’imposent pour décrire «l’échec manifeste » des institutions représentatives du personnel qui n’arrivent pas à protéger la santé des travailleurs et travailleuses. Le suicide de Jean Paul Rouanet, qui intervient, après plusieurs alertes, dont celles de Jean Paul Portello, marque un tournant. Face à cet échec, aux échanges sans fin entre les représentants du personnel et les directions, Jean Paul décide de mettre fin à tous ses mandats pour militer autrement, à la base, auprès de ses collègues de travail.
13 ans après, le harcèlement moral institutionnel s’invite partout…. Y compris au Ministère du Travail
Alors que les juges d’instructions étaient en train de clôturer leurs investigations dans le dossier France Télécom, le président des riches, MACRON 1er, faisait passer le 1er août 2017 l’ordonnance de mise à mort des CHSCT, instances déjà largement attaquées par le gouvernement, soi-disant de gauche, du président HOLLANDE.
Alors que les parlementaires avaient voté à trois reprises, en 1985, 2000 et 2014, des lois pour restreindre le cumul des mandats des hommes politiques au motif notamment que les député.e.s ne pouvaient pas tout faire, MACRON considérait que les représentant.e.s du personnel était des sur-hommes, des sur-femmes, en capacité de remplir à la fois les missions des délégués du personnel, du comité d’entreprise et des CHSCT au sein des comités sociaux et économiques (CSE).
Depuis le début de la mise en place des CSE début 2018, nous pouvons constater, que si les missions d’alerte et d’enquête perdurent (danger grave et imminent, accident du travail, maladie professionnelle), comme le droit d’expertise pour risque grave, le nombre de représentant.e.s du personnel utilisant les outils mobilisables en matière de santé au travail s’effritent. Des échanges avec de nombreux militant.e.s CGT de Seine Maritime, il ressort que les camarades répondent prioritairement aux demandes exprimées par leurs collègues de travail et que l’activité militante se recentre inexorablement sur les activités sociales, les questions d’emplois, d’effectifs et de rémunération. Lorsqu’on creuse un peu plus ces questions, on s’aperçoit que pour une part non négligeable des camarades, le temps passé en réunion, avec les directions d’entreprises ou en réunions internes, dépasse très largement le temps passé auprès des collègues dans le cadre des enquêtes, des inspections, des tournées….. Pourtant tout le monde s’accorde pour dire que les conditions de travail ne cessent de se dégrader d’année en année, que le nombre de collègues qui ne vont pas bien augmente, que les collectifs de travail s’étiolent, que l’isolement des travailleurs et travailleuses croît avec les nouvelles organisations du travail issues de la crise Covid et de l’extension du télétravail pérenne.
Comme Jean Paul PORTELLO, de nombreux militants se sentent usés par l’exercice des mandats, par ces réunions à répétitions qui durent des plombent et qui ne débouchent souvent sur aucune avancée, énervés par le comportement des président.e.s de CSE qui alternent entre un déni des risques professionnels dont les RPS et les discours à répétition sur le « on ne peut rien faire ».
Au ministère du travail, les agent.e.s subissent une succession de réformes de manière quasi continue. Ministère fort fin 2014 suivie de la fusion des DREETS en 2016, plan social au sein des services économiques en 2018…. Tout ça sur fond de diminution continue des effectifs. En pleine crise du Covid, le gouvernement décidait d’une nouvelle organisation territoriale de l’Etat (OTE) débouchant notamment sur une scission de nos services entre nos collègues affectés en département et ceux dépendant de l’échelon régional. Au 1er avril 2021, dans un état d’impréparation inégalée, la DIRECCTE née en 2009, disparait pour laisser place aux Directions Départementales de l’Emploi, du Travail et des Solidarités (DDETS) qui dépendent du Ministère de l’intérieur et des Directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS). Cette nouvelle organisation du travail rime surtout avec désorganisation totale. 14 mois après ce début de mise en œuvre, les ministères de l’intérieur et du travail restent incapables d’indiquer aux représentant.e.s du personnel les compétences de chacun en matière de santé et de sécurité au travail. Peu importe les conséquences, nos directions départementales, régionales ou nationales appliquent de manière aveugle les directives ministérielles dont le menu est toujours constitué de suppressions de postes, d’augmentation de la productivité, de revue des missions, de nouvelles modalités de reporting…..
En matière de prévention des risques dits psychosociaux, c’est le niveau zéro. A chaque réforme, nos directions nous pondent des plans d’actions inefficaces dont la plupart ne sont d’ailleurs pas totalement mis en œuvre. Burn-out, dépression, violence interne et externe, qualité empêchée, surcharge de travail, pétage de plomb, tous les indicateurs virent au rouge !
Si les CHSCT existent encore, jusqu’à la fin de l’année où ils disparaitront comme dans le privé, ils dysfonctionnent gravement. Dans le cadre de l’OTE, les membres des CHSCT des DIRECCTE ont siégé en formation conjointe dans chaque département avec leurs homologues issus de la cohésion sociale. En pratique, il y avait de quoi devenir fou, avec parfois 5 réunions de CHSCT dans la même semaine, une explosion des consultations sur les mesures évolutives COVID avec des notes différentes d’un département à l’autre, sur les relogements à opérer suite aux fusions…. Bref des successions de réunions usantes, énervantes…. qui laissent peu de temps pour militer auprès des collègues. Cette situation se rajoute à des entraves permanentes des présidents de CHSCT, refus d’enquête suite à alerte danger grave et imminent ou accident du travail, refus de consultation sur des déménagements…. Situations où il faut parfois saisir la justice administrative pour faire respecter les droits élémentaires des représentant.e.s du personnel !
L’audition de Jean Paul PORTELLO devant la cour d’appel doit nous faire réfléchir sur nos pratiques syndicales. Il y a en effet urgence à s’interroger sur comment faire pour être des militant.e.s CHSCT efficaces, qui réalisent des enquêtes, des inspections, qui alertent sur les conditions de travail impactant la santé de nos collègues tout en protégeant notre propre santé pour tenir le coup sur le long terme.
Alerter et enquêter sur les suicides et tentatives de suicide, sur les situations de souffrance, les accidents du travail, reste une nécessité absolue pour produire des analyses de qualité sur le lien entre organisation du travail et dégradation de l’état de santé, laisser des traces indélébiles qui seront utiles pour les procès de demain. Quand je reprends la liste des enquêtes réalisées par le CHSCT de la DIRECCTE de Normandie, depuis 2014 et l’analyse à l’aune de l’ordonnance de renvoi et le jugement condamnant LOMBARD et ses complices en première instance, je reste sous le choc ! A chaque fois, nous aurions pu conclure le rapport d’enquête par la formule suivante : « il ressort des constats et de l’analyse de la commission d’enquête que la victime a subi des agissements répétés ayant eu pour effet une dégradation de ces conditions de travail caractérisant un harcèlement moral institutionnel caractérisé. »
Etre confronté à la souffrance de nos collègues, à l’attitude de nos directions, laissent des traces profondes en nous. Continuer à militer efficacement nécessite sans doute de recentrer une partie de l’activité militante sur ce qui peut nous aider à tenir : la reconnaissance de nos collègues sur nos actions militantes. Moins de réunions avec nos tôliers, être plus présent auprès de nos collègues en utilisant notamment le droit d’enquête, voilà ce qu’il faudrait mettre en débat dans toutes les équipes militantes !