Vers une remise en cause de la responsabilité de l’employeur
Un long chemin :
Historiquement, les accidents du travail et les maladies professionnelles étaient intrinsèquement liés au travail lui-même et au milieu de l’entreprise. En 1898, un compromis prévoyant un dédommagement forfaitaire sur la réparation de l’accident du travail prévoyait l’indemnisation du seul « pretium doloris », ignorant le « pretium laboris ». Il sera élargi aux maladies professionnelles en 1919.Ce forfait était pénalisant car n’étaient pas prises en compte les conséquences sur la vie personnelle, familiale et sur l’emploi du travailleur. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, le Conseil National de la Résistance met en œuvre la Sécurité Sociale qui prévoit une réparation plus juste et équitable des accidents du travail et des maladies professionnelles avec une volonté d’aller vers la prévention du risque professionnel. Deuxièmement, la mise en place de la médecine du travail dont « le rôle exclusivement préventif, consiste à éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail » (art. L.4622-3 du code du travail) établi clairement un positionnement du côté du droit individuel à la santé au travail du salarié. En 1989, la directive européenne sur la prévention des risques pour la santé des travailleurs institue l’obligation de l’élimination du risque et l’adaptation du travail à l’homme. La difficulté d’établir un lien entre l’exposition à un risque et la maladie professionnelle est à l’origine de la création des 114 tableaux des maladies professionnelles; elle a permis l’indentification de la maladie et de l’accident du travail pour une indemnisation plus juste du salarié.
La casse du thermomètre :
Le tableau 57 regroupe de nombreuses pathologies des tissus mous (muscles, tendons, nerfs), c’est-à-dire les Troubles Musculo-Squelettiques ; les TMS sont les maladies professionnelles les plus courantes en France et en constante augmentation (exemple en 2003 sur 34 642 cas reconnus, 4 366 sont liés à l’amiante et 23 672 aux TMS soit 68% !). Ces indemnisations coutent cher aux entreprises d’où la nécessité pour le patronat de réduire le nombre de reconnaissances en maladie professionnelle et accident du travail dans le seul but d’accroitre toujours et encore les profits. S’appuyant sur un gouvernement bien décidé à détruire les acquis de 1946 relatifs à la protection sociale dans son ensemble, le patronat est déterminé à mettre en place le principe du risque inhérent au travail où le travailleur assume pleinement ce risque. La crainte manifeste est que se mette en place peu à peu un système d’assurances individuelles contre le risque et de capitalisation au détriment du système de solidarité et de répartition.
Ainsi depuis deux ans le Ministère du Travail en coopération avec l’Assurance Maladie et le patronat a contraint les organisations syndicales à des négociations sur la révision de l’ensemble des tableaux des maladies professionnelles. Le décret n°2011-1315 du 17 octobre 2011 apporte notamment des modifications significatives au tableau n°57.A (pathologies de l’épaule) : changement de la dénomination des pathologies, allongement des délais de prise en charge et surtout l’établissement d’une liste très restrictive avec indication de durées d’exposition journalières. Cette révision va conduire inéluctablement vers la diminution du nombre de reconnaissances en maladies professionnelles de l’épaule très nombreuses et qui figurent parmi les plus douloureuses et les plus invalidantes (elles conduisent la plupart du temps à l’exclusion de l’emploi pour inaptitude) et qui sont également génératrices du plus grand nombre d’incapacités permanentes avec le taux le plus élevé en terme d’incapacité. Notons également que dans le cadre de la nouvelle loi sur les retraites (volet sur la pénibilité), il faut mettre en évidence une détermination flagrante du gouvernement de limiter volontairement la reconnaissance de ces maladies professionnelles dans le but de « contingenter » les départs anticipés à la retraite des travailleurs victimes de pathologies invalidantes puisque l’incapacité doit être reconnue médicalement. Seules trois organisations (CFDT, CGT et la FNATH-association) ont voté contre ce décret au COCT (où Solidaires ne siège pas) se disant scandalisées par ces nouveaux éléments d’analyse qu’elles jugent trop restrictifs et difficilement applicables.
Un recours devant le Conseil d’Etat pourrait être envisagé comme cela avait été le cas pour le tableau n°61 relatif à l’exposition au Cadium. Il est nécessaire que les salariés prennent pleinement conscience des enjeux de cette nouvelle attaque contre leurs droits élémentaires à la protection de leur santé au travail et à la réparation juste et équitable en cas de maladie professionnelle ou d’accident du travail. Il y a urgence à mobiliser les travailleurs dans leur ensemble pour rétablir une justice dans l’entreprise en matière de risque du travail. N’oublions pas que l’employeur a une obligation de résultat en ce qui concerne la Santé au Travail de tous ses salariés !