Cet ouvrage montre la rupture anthropologique en cours dans le travail et dans la consommation du citoyen. L’avènement du lean management s’est accompagné d’une promotion de l’autonomie et de la responsabilisation au travail pour tous. Mais les exigences du capitalisme ont renforcé l’encadrement des salariés (et des travailleurs indépendants) de bas en haut de l’édifice productif dans l’industrie et dans les services privés ou publics. Les résistances sont rares dans un contexte d’affaiblissement du syndicalisme : l’augmentation des charges de travail et le nouveau management (souvent brutal sous des apparences participatives) ont conduit à une détérioration de la santé au travail et à la multiplication des suicides sur les lieux de travail.
Les promesses d’autonomie et de satisfaction dans le travail ne sont pas tenues et les travailleurs doivent « réaménager » leur psychisme pour survivre. Il en est exactement de même dans la consommation où les engagements des offreurs sont très rarement remplis, en premier lieu dans les services (téléphonie, services internet, transports, VPC…) : le consommateur doit subir l’impersonnalité de ses correspondants (boîte vocale), l’absence de réponse à ses réclamations, se soumettre à la mauvaise qualité du service et accepter de modeler son esprit. Telles sont les conditions d’émergence de l’homme nouveau (déjà perçu par Gramsci comme pétri par le capitalisme) qui rétracte ses aspirations à la liberté et au bonheur.
Alliant les analyses micro-sociologiques aux causes macro-économiques, l’auteur déconstruit les concepts et les pratiques de l’évaluation, de la reconnaissance, du travail des clients, etc. Il conclut sur deux scénarios, l’un de régression sociale et l’autre d’un futur enchanté, sans oublier les questions de l’environnement ou de l’intensification des migrations internationales avant de débattre d’alternatives incertaines.
Jean-Pierre Durand, La fabrique de l’homme nouveau. Travailler, consommer, se taire ?, Lormont, Le bord de l’Eau, 2017.