A l’issue de cette journée, comme ce fut le cas de la journée sur le Lean Management, on s’aperçoit que la digitalisation ne s’applique pas partout de la même manière. Les répercussions sur les conditions de travail du Lean comme de la digitalisation dépendent pour une bonne part des secteurs d’activité.
Cela étant, on peut tirer des points communs :
– les répercussions sur le plan des valeurs de métier : qu’il s’agisse du secteur bancaire ou de celui de La Poste, par exemple, ne plus être en proximité avec les usagers ou les clients est quelque chose de difficile à vivre. C’est une forme de déclassement lié à l’utilité sociale investie dans le travail.
– la dégradation du contenu et du sens du travail : on peut penser, notamment, au contenu pédagogique tel qu’il a été évoqué par Sud Éducation nationale ou Sud Rural-Territoires.
– le contrôle des salariés généralisé à tous les secteurs d’activité, mais on pense bien sûr en particulier au travail sur les plateformes de centres d’appels.
– l’adhésion ou tout au moins le consentement des salariés eux-mêmes : en même temps, les nouvelles technologies offrent la promesse de l’autonomie vis-à-vis de la hiérarchie ; à cela s’ajoute en plus ce que l’on pourrait appeler l’idéologie du progrès qui confère un caractère d’inéluctabilité à la mise en place de la digitalisation.
– enfin, bien sûr, comment ne pas évoquer les suppressions d’emploi alors que les promesses de reconversions vers d’autres activités, souvent avancées par les promoteurs de la digitalisation, sont loin d’âtre évidentes.
Alors, face à cela, quels arguments développer, quelles actions mettre en œuvre ?
Un première piste pourrait conduire à développer des initiatives consistant à agir conjointement sur les conditions de travail et sur la qualité de service aux clients ou usagers. Cela répondrait tout à la fois à la remise en cause du sens du travail et à la propagation de la souffrance éthique.
Il faudrait également développer une analyse plus fine des causes de l’adhésion à la digitalisation afin de produire ensuite, d’une manière ou d’une autre, des contre-feux aux lieux communs la concernant.
Un premier argument consisterait à rappeler que l’adhésion à l’usage des technologies nouvelles tient toujours à une situation sociale dégradée. Par exemple, les clients des supermarchés utilisent les caisses automatiques parce qu’il y a moins de caissiers et de caissières ; ou encore, les collègues choisissent le télétravail parce qu’il leur évite un temps de transport rallongé du fait de la fermeture de leur site, etc.
Après cette première journée d’échanges, Solidaires organise une deuxième journée sous la forme d’ateliers pour travailler plus précisément sur certaines thématiques afin de dégager un revendicatif et des pistes d’actions possibles.
Le fil conducteur de cette journée
Le développement du numérique et des réseaux, les appareils mobiles et les plates-formes numériques qui mettent en relation des usagers transforment en profondeur l’économie, les formes d’emploi, la nature des activités et du travail, les relations sociales. Ces changements s’ajoutent aux transformations profondes (restructurations incessantes, mobilité, externalisation, modes de management…) qui ont touché tous les secteurs (privé et public) et sérieusement percuté les salarié-es.
Le remplacement des personnes par des machines provoque un vaste mouvement de déshumanisation des relations sociales tant au travail (entre collègues et avec les usagers) que dans la société : externalisation des tâches auprès des client-es, appauvrissement des tâches, standardisation des procédures… modifications apportées au contenu du travail et au sens du travail, aux formes du travail (télétravail, travail à distance) et aux formes d’emploi. Or beaucoup de salarié-es et de client-es usager-ères adhèrent à l’idée bien pratique que cela va dans le sens de l’histoire, du progrès technique, et qu’on ne peut s’y opposer. Est-il possible d’aller à l’encontre de l’argument du déterminisme technique qui évacue la question humaine et sociale ? Quels outils opérationnels liés aux expériences professionnelles pouvons-nous mettre en avant pour tenter de s’opposer à cette croyance ?