Depuis que la Cour de cassation a repris le contrôle de la qualification de harcèlement moral par une série d’arrêts du 24 septembre 2008, le flot – et la variété – des « affaires » qui lui sont déférées a naturel- lement grossi, ce qui lui permet de construire sa jurisprudence à grand pas. Plusieurs arrêts ont ainsi été rendus dans le cours des années 2009/2010, chacun apportant sa pierre à l’édifice. Parmi ceux-ci, nous allons évoquer ici celui du 26 mai 2010 qui précise que « les faits constitutifs de harcèlement moral peuvent se dérouler sur une brève période ».
A son retour d’arrêt-maladie, bien qu’ayant été déclaré apte à son poste de travail par le médecin du travail, un salarié avait été affecté à l’exécution de tâches subalternes. Dans la seconde semaine suivant la reprise, des menaces et des propos dégradants avaient été tenus à son égard par l’employeur, principalement lors d’un entretien. Puis le salarié fut de nouveau en arrêt-maladie. Les événements s’étaient donc déroulés sur une très brève période, et la Cour d’appel en avait conclu qu’ils étaient donc insuffisants pour caractériser un harcèlement moral…
A tort, juge la Cour de cassation. D’une part, ce faisant, la Cour d’appel a ajouté au texte légal une condition qu’il ne prévoit pas, d’autre part, elle n’a pas pris en compte l’ensemble des éléments établis par le salarié parmi lesquels les documents médicaux relatifs à une altération de son état de santé.
Cette jurisprudence est parfaitement justifiée. Comme l’écrit un auteur, « le harcèlement moral est condamné au regard de l’importance de ses conséquences. Répétons-le : la qualification de harcèlement moral dépend avant toute chose de l’intensité des agissements litigieux et de leurs conséquences pour le salarié. Or, une succession de faits abusifs sur une courte période peut engendrer des conséquences bien plus néfastes pour le salarié que s’ils s’étaient déroulés sur plusieurs années ».
Le sens de cette jurisprudence est important et mérite d’être souligné. Toutefois, sa portée « pratique » est limitée, comme le déplore ce même auteur : « la pratique tend à démontrer que les juges ont souvent connaissance des faits alors que le salarié est malheureusement « à bout de souffle »…
La crainte d’être mal compris ou incompris, de s’entendre dire qu’on affabule (quand on ne se le dit pas d’abord à soi-même tant les efforts qu’on peut faire pour comprendre ce qui nous arrive finit par nous donner l’impression qu’on perd la tête) conduit souvent à se taire et à plier l’échine… tant qu’on le peut.
Pour permettre à cette parole d’advenir, les collègues de travail, le collectif de travail ont un rôle déterminant. A ces collègues de travail, il revient de dénoncer et de témoigner des faits susceptibles de caractériser un harcèlement moral dont ils ont connaissance. Ce n’est pas pour eux, non plus, chose aisée . C’est aussi le rôle du syndicat que d’être animateur dans cette démarche qui devient alors collective.
Le harcèlement moral doit être combattu au quotidien. Par les salariés victimes, mais on sait que pour eux, ce n’est pas chose aisée. Les faits de harcèlement moral ne se déclinent pas facilement car ils n’ont pas toujours la même évidente brutalité que dans l’affaire sus-relatée.