Jour 8 – Procès France Télécom les réactions d’Audrey Vernon, comédienne.
Pour cette huitième journée d’audience nous avons demandé à Audrey Vernon comédienne de venir assister au procès France Télécom et de nous donner ses impressions. C’était la première fois qu’elle venait à une audience, nous l’avons interrogé et pour le coup elle nous a aussi fait un petit texte.
Mon premier procès
J’ai été invitée à assister à une journée de procès des dirigeants de France Télécom… C’était épuisant… ça ressemble à une partie de bataille navale… des ordinateurs face à face de chaque côté faisant des batailles de mails…
A droite les prévenus (les méchants) avec leur armée d’avocat, 3, 4 avocats par prévenu, des chics avec des macs… en face les parties civiles et les victimes avec bien moins d’avocats et peu d’ordi, tous des PC… (c’est les avocats des syndicats)
J’avais peur d’avoir de la peine pour les prévenus, je les ai trouvés plutôt sympa, doux avec de jolies voix, de gentils papis mais j’ai appris qu’ils n’encouraient qu’un an de prison ferme et 15 000 euros d’amende, ce procès va nous coûter plus cher à nous qu’à eux…
Heureusement, je me dis qu’avec leur armée d’avocats, ils ont déjà dû perdre un peu d’argent, ça remonte le moral, j’ai aussi appris que s’ils sont condamnés les victimes pourront leur demander des indemnités… Mon jour d’audience était consacré à un point précis du dossier, la questions des 22 000 départs « naturels. »
Les prévenus ont essayé d’expliquer qu’entre les départs à la retraite, le plan de mobilité dans la fonction publique et l’aide à la création d’entreprise, il n’y avait aucune volonté de forcer qui que ce soit à quitter l’entreprise…
On a examiné des mails entre G.P Chenouvrier (J’ai longtemps cherché et un autre mail m’a appris que GP se prénomme Guy Patrick) et une de ses co accusée… la DRH pour complicité de harcèlement moral… Au niveau des costumes, il n’y a aucune originalité, une costumière de cinéma n’aurait pas fait moins cliché, la DRH a vraiment un look de DRH et les patrons ont des look de patron…
J’ai appris plein de mots quand on a étudié l’organigramme du prévenu : trait plein, trait pointillé (hiérarchie directe fonctionnelle ou indirecte opérationnelle) DRH, N+1, animations réseaux de management, relations sociales, management compétences emploi groupe, développement professionnel… On a lu à haute voix des phrases comme : « Pourquoi fait on du L 122/12 pour les URM et pas pour le reste de orange France? » C’était dans le codex 431.4… Et là j’ai réalisé que ces gens ont eu une vie atroce…
Est ce que la pire punition pour leurs crimes n’a pas été leur vie professionnelle…
Puis est entré en scène monsieur Wenes, le Cost Killer, il ressemble à l’avocat qui était amant de Christine Deviers Joncour et il a expliqué qu’en tant qu’ingénieur il était là pour bâtir une maison qui fonctionne et que les 22 000 suppressions d’emploi n’étaient pas la question, que le fait qu’il y ait besoin de moins de personne quand on a supprimé le minitel, c’était normal, c’est l’évolution, Il a déclaré : «j’ai adoré travailler avec mes équipes, j’ai adoré les succès qu’on a eu ensemble… »
Je suis tombée amoureuse de la présidente (la chef des juges) quand elle a éclaté de rire à l’évocation de la disparition des bureaux d’ordre… 40 000 relais de la direction et de la DRH auxquels les salariés pouvaient s’adresser localement remplacés par une seule centrale téléphonique…
Un mail de la CGT est apparu, la question était autour du bien être des salariés, du service rendu aux clients, il y avait des demandes de réflexion autour de sujets différents du profit…
Une réponse de l’entreprise disait « Nous sommes obligés de nous engager sur la délivrance de flux de trésorerie positifs pour la survie de l’entreprise donc aussi pour les salariés »
Les suppressions d’emploi sont donc au profit des salariés, pas des actionnaires… Quand on voit deux positions aussi opposées, on a vraiment l’impression d’une équipe de foot qui joue contre une équipe de baskets, les objectifs ne sont vraiment pas les mêmes, c’est normal qu’ils finissent par se taper dessus.
Je ne voulais pas avoir une vision manichéenne des choses, être forcément du côté des pauvres contre les riches mais c’est difficile, les syndicats ne parlent que de bien être, des services, du développement de l’entreprise et les patrons ne parlent que de profits, de réductions des coûts, c’est difficile de ne pas voir d’un côté les gentils et de l’autre les méchants puis après je me suis dit que derrière les méchants, il y avait quand même l’état et les actionnaires qui eux ne sont pas présents… J’ai pensé que du côté des gentils il y a les quelques personnes de l’observatoire du stress et des mobilités forcées qui ont décidé de documenter les suicides, d’attaquer, ces quelques personnes sans qui ce procès n’existerait pas, 10 ans d’instruction… Un million de pièces (je suis encore plus amoureuse de la présidente qui jongle dans ces pages avec l’aisance d’un ctrl+F) Je me suis dit que la vie et la mort dépendent vraiment parfois de la volonté et de l’acharnement d’un tout petit nombre de personnes et que c’est à ça que j’ai assisté aujourd’hui…
Tout ça ne veut rien dire, on devrait faire le procès d’un système qui d’un côté exige le profit et de l’autre ne veut pas connaitre les moyens d’y parvenir, je me suis mise à rêver… (dans un procès, on a du temps pour rêver quand on décroche un peu) rêver d’un salaire horaire, le même pour tous, une heure de temps humain devrait coûter la même chose qu’on soit PDG ou femme de ménage…. J’ai pensé à toutes les entreprises qui passent entre les mailles de la justice qui n’ont pas quelques acharnés qui essayent de défendre l’humanité…
Si France télécom est condamné (50 000 euros d’amende) ce ne seront pas les actionnaires de l’époque, ceux qui ont empoché les dividendes qui vont payer mais les clients d’Orange aujourd’hui… Je pense aussi à la fortune que nous coûte ces montagnes de photocopies, ce tribunal de Paris qui ressemble à un aéroport, des vigiles noirs aux portiques de sécurité en passant par les escalators…
Il n’y manque que quelques boutiques de luxe et le tableau serait parfait… Finalement, c’est à nous que ce procès va coûter le plus cher alors ce serait bien d’éviter cette souffrance, ces morts… Elle serait là, la vraie réduction des coûts, que les cost killer s’attaquent à la souffrance au travail… Il parait qu’à la SNCF, on est en à 70 suicides, dans la police 30… Ce serait bien d’arrêter de casser les travailleurs, ça nous coûte une blinde.