Intervention de SUD éducation

La digitalisation de la société et du travail trouve, dans l’éducation nationale, un écho tout particulier. En effet, nous sommes confronté.es, dans notre secteur, à cette évolution sur plusieurs plans.
Tout d’abord, sur le plan social, l’éducation nationale est à la pointe dans la mise en place et l’utilisation d’outils de fichage de masse, véritable toile de contrôle de la population qui s’installe.
Ces dernières années, de nombreux fichiers et de nombreuses bases ont vu le jour, qui servent, soit dans la gestion administrative des élèves et étudiant-e-s, soit dans la gestion de leurs parcours et cursus. Beaucoup de ces bases et fichiers peuvent être mis en relation les un-e-s les autres, via la base RNIE, qui attribue un identifiant unique à chaque enfant entrant dans le système éducatif français. Le dernier exemple en date est le Livret Scolaire Unique Numérique (LSUN), qui est en train d’être mis en place depuis quelques mois.
Ensuite, sur le plan du management et de la gestion des personnels, de plus en plus de choses sont informatisées. Cela produit régulièrement des situations où le facteur humain est complètement nié «puisque l’ordinateur a dit que…». Un exemple que l’on pourrait citer est celui des professeur.es remplaçant.es, dont les affectations sont traitées par un logiciel qui ne prend en compte que des données chiffrées, chiffrables, et budgétaires. Il n’y plus de marge de manœuvre pour tenir compte des situations humaines spécifiques rencontrées. C’est donc fréquent que plusieurs remplaçant-e-s soient affecté-e-s à tour de rôle pour remplacer un même personnel. Perte de la continuité pédagogique, déstabilisation des équipes et des élèves, etc., sont autant de conséquences directes à cela.
Sur le plan des personnels, de plus en plus d’injonctions ministérielles et/ou hiérarchiques, appuyées par des textes réglementaires, les obligent à devoir utiliser l’outil informatique, sans pour autant que de réelles politiques de formation des personnels soient mises en œuvre. Cette digitalisation du travail, notamment du point de vue des enseignant.es, provoque parfois une perte de sens du métier très forte : la multiplication des bases, fichiers, et interfaces numériques a provoqué une multiplication des tâches administratives et de gestion, pour les personnels enseignants, au détriment des tâches d’élaboration et de préparation des enseignements, ainsi qu’une surcharge de travail par la non prise en compte de ces nouvelles injonctions dans le temps de travail. Certains outils valorisés ou mis en place par l’institution peuvent même provoquer une forme de normalisation des pratiques d’enseignement, ce qui peut aller à l’encontre de la « liberté pédagogique », pourtant assurée par nos statuts. L’apparition de l’informatique et du numérique ont aussi amené des contenus d’enseignements additionnels. Pour les personnels administratifs, la digitalisation, notamment de la gestion des personnels et des élèves, n’a jamais été accompagnée de politiques de formation aux nouveaux outils.
Enfin, pour tous les personnels, l’avènement des messageries électroniques a permis l’invasion de la sphère privée par la sphère du travail : échanges et injonctions par mail, en dehors du temps de travail, pressions explicites et implicites liées à la consultation des messageries électroniques, etc.
L’invasion digitale dans l’éducation nationale a toujours été menée volontairement par l’administration. Le paysage syndical dans l’éducation nationale n’a pas permis de réellement contrer ces politiques générales des différents gouvernements.
SUD éducation, parfois en intersyndicale, parfois seul, a mené différents types d’actions pour dénoncer, alerter et/ou résister à cette invasion digitale. Au cours de ces 10 dernières années, nous pouvons citer par exemple la campagne de désobéissance contre «Base élève», des dénonciations d’accords public-privé, des campagnes d’appel au boycott. Le paysage syndical dans l’Education Nationale et l’équilibre des forces en son sein ne sont pas favorables au syndicalisme de lutte tel que Solidaires et Sud éducation le pratiquent.
La seule victoire à noter ces dernières années est l’échec de la tentative du Ministère d’imposer de la formation «distancielle» comme formation continue. Cette formation distancielle existe, est en place et est menée, mais un avis du CHSCT-MEN a amené le Ministère à ne prendre aucune sanction envers les personnels qui refuseraient d’entrer dans ce dispositif.