Parmi les trois rapports concernant les questions de santé au travail réalisés en 2018, deux l’ont été à la demande du gouvernement :
– L’un sur les agents chimiques dangereux, (qui ont malencontreusement disparu des « expositions à certains facteurs de risques », périphrase macronienne pour désigner les facteurs de pénibilité). Ce rapport a été confié au Pr Frimat.
– L’autre sur le système de prévention des risques professionnels, rapport confié à Charlotte Lecocq, députée LREM, Henri Forest, médecin du travail ancien secrétaire confédéral de la CFDT, et Bruno Dupuis, ancien haut fonctionnaire au ministère du travail, consultant senior en management.
– Le troisième a été mené dans le cadre d’une commission d’enquête parlementaire, ayant pour rapporteur Pierre Dharréville, sur « Les maladies et pathologies professionnelles dans l’industrie ».
Parmi ces trois rapports le rapport Lecocq a bénéficié d’une publicité importante et, manifestement, représente pour le gouvernement la base de la réforme pour laquelle les « partenaires sociaux » sont invités à « négocier ».
Ce rapport, intitulé « Santé au travail : vers un système simplifié pour une prévention renforcée », propose des modifications en profondeur de l’organisation de la prévention des risques professionnels. A partir du constat de l’inefficacité du système de prévention des risques au travail en France, liée selon les auteurs à sa complexité et aux contraintes excessives de la réglementation, le rapport Lecocq propose de « fortement réorganiser le système dans son ensemble et en simplifier le fonctionnement pour gagner en lisibilité et en effectivité » afin de « favoriser l’accès des entreprises aux dispositifs de prévention. »
Le rapport Lecocq pose d’emblée le postulat d’un comportement vertueux des entreprises, qui ne demanderaient qu’à améliorer les conditions de travail et à faire de la prévention leur priorité si elles y étaient aidées par des structures compétentes et bienveillantes, tant il est évident que la promotion de la santé des salariés va de pair avec la performance économique de l’entreprise !
A l’inverse trop de contraintes réglementaires et de contrôles font obstacle à l’engagement des entreprises dans la prévention. Il faut donc favoriser la liberté des entreprises et séparer radicalement le conseil et le contrôle. Ainsi le rapport préconise de simplifier l’évaluation des risques, en la simplifiant dans les petites entreprises, en supprimant l’obligation du document unique d’évaluation des risques (DUER) auquel se substituerait le plan de prévention, en supprimant la fiche d’entreprise, en rendant « les décrets applicables à titre supplétif »…
Il faut également souligner le paradoxe entre la pauvreté de l’analyse et l’ambition de la réforme. Les rapporteurs, qui se sont essentiellement intéressés à l’avis des entreprises, dressent un tableau très négatif, pointant l’inefficacité d’un système pourtant spécialisé, étoffé et doté de moyens importants. Ils constatent que les entreprises et leurs salarié·es ne bénéficient pas des services qu’ils et elles sont en droit d’attendre. Ce constat est juste. Mais « la mission » ne s’est pas du tout intéressée au fonctionnement des institutions en charge de la prévention et n’a pas cherché à analyser le paradoxe entre l’importance des moyens déployés et la faillite du système.
De plus beaucoup de propositions du rapport relèvent de l’affichage et restent très théoriques, bien éloignées de la réalité (par exemple concernant le maintien dans l’emploi, ou les risques psychosociaux). Certaines sont très floues par exemple les structures régionales censées assurer la proximité avec les entreprises !
Mais surtout il faut bien distinguer à travers ces recommandations
Les propositions qui correspondraient effectivement à une amélioration très significative du système :
– L’organisation en structure unique des Services de santé au Travail (SST),
– Le recouvrement des cotisations santé travail par l’Urssaf,
– La formation des professionnels y compris des responsables de structure.
De celles qui effondrent les principes du système de prévention des risques (les plus criantes sont en rouge dans le texte) :
– Affaiblissement majeur du contrôle et des obligations réglementaires pour les entreprises,
– Éloignement du terrain des acteurs déterminants,
– Brouillage des missions (santé publique / santé au travail),
– Introduction massive du privé (via les complémentaires santé, des cabinets proposant des prestations en gestion et prévention des risques professionnels).
En fait la malice de ce rapport est de proposer une réforme de fond avec des mesures fortes et indispensables pour régler en effet les graves carences en particulier des Services de santé au travail (créer une structure unique, améliorer la formation des professionnels, recouvrement des cotisations par l’URSSAF : mesures qui ont été soigneusement évitées par les réformes précédentes) mais qui sont en fait une sorte de cheval de Troie pour en faire passer d’autres qui effondrent les principes du système de prévention (affaiblissement majeur des contrôles et des obligations réglementaires pour les entreprises, éloignement des acteurs, introduction massive du privé…).
De nombreuses contradictions sont à relever
1. Le rapport Lecocq est en contradiction flagrante avec les deux autres rapports qui, eux, sont quasiment passés sous silence.
Le rapport Frimat insiste sur la nécessité d’évaluer les risques liés à l’exposition aux agents chimiques dangereux et de mettre en place un dispositif assurant la traçabilité des expositions. Il propose, à l’opposé du rapport Lecocq, de renforcer les contrôles et les sanctions en cas de manquements aux obligations réglementaires. Il préconise des mesures pour faciliter la reconnaissance des pathologies professionnelles et garantir le maintien en emploi des salariés exposés. Le rapport Dharréville alerte sur le développement de nouveaux risques (nanoparticules, perturbateurs endocriniens…) et les multi-expositions aux risques chimiques, sur l’externalisation des risques par la sous-traitance et l’intérim, sur les difficultés de la reconnaissance des maladies professionnelles et l’affaiblissement du système de traçabilité (disparition de la fiche d’exposition).
Il contient 43 propositions qui portent sur la nécessité d’approfondir la connaissance des risques (renforcer la fiche d’entreprise et le document unique), de créer un service public commun de toxicologie, de renforcer les effectifs des médecins du travail et de valoriser le métier d’infirmier(ère) en santé au travail, d’améliorer la reconnaissance des maladies professionnelles, de créer un service public de prévention (adossé aux CARSAT2), de mieux organiser la traçabilité des expositions…
2. Le rapport Lecocq s’appuie sur le Plan Santé Travail qu’il prend comme modèle et comme guide : comment justifier alors la suppression du DUER alors que le PST au point 1 de l’axe 1 demande de « renforcer et accompagner l’évaluation des risques » ?
3. Il propose une structure unique mais exclut d’emblée d’y intégrer la Mutualité Sociale Agricole (MSA), dont le fonctionnement serait optimal, alors que justement la MSA a la particularité de réunir le service de santé au travail et la sécurité sociale. Le rapport propose le contraire : affaiblir la sécurité sociale en séparant les secteurs prévention et réparation, ce qui est une modification dangereuse majeure (à noter que le rapport du CES en 2008 proposait de rapprocher les SST des CARSAT, sur le modèle de la MSA).
A souligner également que le rapport exclut d’intégrer dans cette structure unique les services de santé autonomes ainsi que les services de médecine de prévention de la fonction publique…
Nos propositions
Sur les éléments contenus dans le rapport Lecocq, nous avons construit depuis de nombreuses années des revendications dont par exemple :
– la nécessité de remettre sans délai en place des CHSCT véritables instruments concrets de prévention pour les conditions de travail, que ce soit dans le privé ou dans le public, c’est pour nous un point essentiel ;
– un renforcement des dispositifs législatifs encadrant les obligations des employeurs en termes de conditions de travail, d’horaires de travail, de sécurité, de santé au travail (extension du droit de retrait, droit de veto sur les activités dangereuses…) ;
– une augmentation réellement dissuasive des pénalités en matière d’hygiène et de sécurité en fonction de la gravité de l’infraction ; avec ajout de peine de prison et suppression de toute les aides publiques à l’emploi ;
– Le respect de l’obligation de l’évaluation des risques professionnels (physiques ou psychiques) dans toutes les entreprises et administrations, obligation découlant de la directive européenne de 1989 ;
– le suivi systématique et le soutien des travailleur-euses isolé-es et des personnels sous-traitants passe par la chaîne SST (Santé et Sécurité au Travail) de l’entreprise où ils ou elles exercent leur activité ;
– La mise en place d’un service public de santé au travail et des mesures aptes (institution d’un délit d’entrave, entre autres) à garantir une totale indépendance pour les médecins du travail par rapport aux employeurs et une forte augmentation par un plan de recrutement pour les médecins, les personnels paramédicaux ;
– L’attribution obligatoire de moyens de fonctionnement par les employeurs ;
– Un plan de recrutement pour les médecins, les personnels paramédicaux ;
– La création d’un corps de médecin du travail indépendant des directions d’entreprises avec :
• La prise en compte et le suivi des préconisations du médecin ou des équipes pluridisciplinaires ;
• La transmission systématique de ces préconisations au CHSCT ;
• L’obligation pour l’employeur qui ne prendrait pas en considération ses préconisations de répondre par écrit ;
• La mise en place de la traçabilité des écrits du médecin du travail.
– Enfin, de mettre en oeuvre un parcours simple et accessible pour la reconnaissance des accidents et maladies professionnelles, qui ne soit plus un parcours du combattant !
Pour Solidaires, les travailleuse et travailleurs ne doivent plus perdre leur vie à la gagner.