Lors des groupes de travail sur les conditions de travail instaurés à la DGFIP, Solidaires Finances Publiques a régulièrement mis en avant que les agents n’étaient ni entendus ni écoutés sur leurs conditions de travail, le contenu et l’organisation de leur travail.
Il y a quelques années encore, les réunions de service donnaient la possibilité aux agents d’échanger, de s’exprimer mais cette époque est bien révolue, aujourd’hui le temps est de plus en plus contraint, il n’y a qu’à observer comment est organisée l’information et comment se fait la communication.
Quasiment tout transite via les messageries intranet ou les sites locaux, ce qui fait que les agents sont abreuvés, submergés de messages, de notes dont ils ne savent plus que faire, et se trouvent dans l’incapacité de déceler ce qui est important, ce qui l’est moins. L’usage sans limite de l’informatique génère une certaine déshumanisation des rapports sociaux, tend à isoler les agents face à leur écran, à réduire les échanges collectifs sur le travail entre collègues et avec la hiérarchie.
En définitive les occasions d’échanges informels n’existent quasiment plus.
La création d’espaces de dialogue : un début de réponse ?
C’est dans ce contexte que la direction générale après avoir expérimenté dans 6 départements des lieux d’échange informels – appelés espaces de dialogue (EDD) – sur l’organisation du travail a décidé de les généraliser sur l’ensemble du territoire.
La restitution des premiers espaces de dialogue a montré l’écart important – voire le fossé – qui existe entre ce que vivent les agents au quotidien et la perception qu’en ont les responsables administratifs.
Beaucoup de responsables sont dans le déni des difficultés inhérentes à une organisation du travail qui fait l’impasse sur le caractère humain, sur ce qu’un individu y met de lui lorsqu’il travaille (l’humain n’est pas une machine).
Affirmer qu’il faut « s’adapter à la réalité des moyens mis à disposition, ne pas se référer à une notion de qualité du travail qui appartient au passé » c’est ignorer les contraintes (pressions temporelles, exigences du travail…) des personnes pour mener leur activité.
Les objectifs donnés aux espaces de dialogue sont multiples : parler du travail, expertiser la nature des difficulté rencontrées au travail, rechercher et proposer des solutions pour améliorer l’organisation du travail.
EDD : mode d’emploi
Les EDD reposent sur une démarche participative et volontaire. Ce sont des lieux d’échanges associant les agents d’une part et les cadres d’autre part. Ils font l’objet de comptes rendus écrits et d’un suivi régulier.
Les EDD ne sont pas des réunions hiérarchiques, ils reposent sur le volontariat des agents et de l’encadrement.
Les EDD sont animés par des « facilitateurs » : ce sont des agents de la DGFIP qui ont été formés et leur rôle est de faciliter les échanges et de retranscrire par écrit ce qui a été dit, les besoins et les attentes. Pour garantir leur indépendance et leur neutralité, les facilitateurs ne doivent pas appartenir à la direction où ils interviennent.
La tenue d’un EDD relève de l’initiative locale et sa mise en œuvre peut être demandée par les agents, les cadres, la direction locale, un collectif de travail ou une organisation syndicale.
Les EDD sont pour les agents et les cadres des espaces de débat pour parler du travail, des dysfonctionnements (moyens, formation, outils informatiques, soutien technique…) et débattre de leurs propositions. Les paroles restituées dans le compte rendu sont anonymes.
Pour les chefs de service et les directions c’est un outil d’information directe et une interpellation donnant lieu à des réponses et un suivi dans le temps.
Pour les syndicats, destinataires des comptes rendus, c’est un point d’appui supplémentaire pour débattre des difficultés locales à partir de la parole et du vécu des agents et pour mettre en question l’organisation du travail.
Quelle analyse en tirer?
La mise en place de lieux d’échange sur le travail est une nécessité et leur formalisation (comptes rendus écrits et suivi régulier) indispensable. Si le terme « espaces de délibération » concept développé par Christophe Dejours1, nous semble plus approprié et conforme à notre conception, ces lieux d’échanges et de discussions ne se développeront, que si la délibération, la confrontation des points de vue sur le travail existent véritablement, et si les directions ainsi que la centrale (lorsque cela relève de sa compétence) en acceptent le principe et apportent en retour des réponses adaptées aux demandes des agents et des cadres.
Pour Solidaires Finances Publiques, les EDD constitueront une avancée si l’expression des agents est non seulement écoutée mais entendue et conduit à des évolutions et des changements, même modestes au départ, l’essentiel étant que cela commence à bouger. Il faudra pour cela que les directions disposent de véritables marges de manœuvre et modifient leur comportement. La direction générale porte la responsabilité de restaurer la confiance largement entamée de l’ensemble des personnels.
Selon l’IRES (Institut de recherches économiques et sociales) qui a conduit les expérimentations avec un regard extérieur, les espaces de dialogue répondent à un réel besoin, et leur « réussite dépend de ce que les directions et la DG seront en mesure de proposer sur le court terme et le moyen terme » en matière de management, de pilotage, de formation, de soutien, de conduite du changement….
Rappelons également qu’au-delà de ces lieux d’expression, la mise à jour du document unique est également l’occasion d’aborder les questions autour de l’organisation du travail.
Les possibilités ainsi données aux agents de s’exprimer peuvent être l’occasion pour les agents de sortir de l’isolement et du silence et de reprendre la main sur leur travail. Le fait de donner la parole à chacun sur son travail, permettra de se rendre compte que bien d’autres collègues sont confrontés aux mêmes difficultés, se posent les mêmes questions…, et vivent très mal de ne plus pouvoir faire un travail de qualité par exemple.
Des espaces de dialogue ou de délibération dans chaque service, à la condition toutefois de respecter un certain nombre de règles, sont le moyen de faire entrer dans les faits, le droit d’expression collective des agents sur leurs conditions de travail.
Donner la parole aux agents sur leur travail c’est leur donner à terme du pouvoir d’agir sur leur environnement.
Le droit à l’expression des salariés
Article L2281-1 du code du travail
Les salariés bénéficient d’un droit à l’expression directe et collective sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail.
Article L2281-2
L’expression directe et collective des salariés a pour objet de définir les actions à mettre en œuvre pour améliorer leurs conditions de travail, l’organisation de l’activité et la qualité de la production dans l’unité de travail à laquelle ils appartiennent et dans l’entreprise.
1 Christophe Dejours est psychiatre et professeur de psychologie au Conservatoire national des Arts et métiers. Il est l’auteur de nom- breux ouvrages comme « La souffrance en France », « Travail, usure mentale »