Le mardi 10 janvier 2017 la commission santé et conditions de travail de Solidaires a organisé une journée de débats et de réflexions sur les questions de digitalisation, économie numérique quel impact sur la société et sur le travail ? Quelles actions pour les équipes syndicales de Solidaires ?
Digitalisation de l’économie, économie numérique, économie collaborative, économie du partage, robotisation de la société, ubérisation… : ces évolutions en cours recouvrent de nombreux concepts qui méritent d’être clarifiés et précisés. En effet pour notre syndicalisme de nombreuses questions se posent.
Nouveaux secteurs, nouveaux services, développement des plates formes numériques de commercialisation dans plusieurs secteurs (déplacement, hébergement, restauration, banque etc.) sont-ils le signe de l’émergence d’une nouvelle économie, certains parlant même de la 3ème révolution industrielle ?
Quels sont les enjeux sur la société, l’économie, le type d’emplois, la protection sociale, la nature du travail, le statut lié au salariat, les conditions de travail, la formation etc.
Implications sur la société
Les nouvelles technologies vont-elles favoriser les échanges au sein de la société, répondre aux aspirations à plus d’autonomie dans le travail, à plus de liberté dans la gestion de son temps, ou sommes nous en présence d’une extension de la sphère marchande s’accompagnant d’une transformation des salarié-es en travailleur-euses indépendant-es, auto-entrepreneur …avec à la clef une plus grande précarité.
Répercussions sur l’économie
– Quel avenir pour les emplois actuels avec l’automatisation d’une (grande ?) partie des activités assurée par des machines, éventuellement assistées par des opérateurs qualifiés.
– l’emploi risque –t-il de devenir plus rare ou d’exiger de nouvelles qualifications ?
– Des pans entiers de l’économie du numérique ne créent ni savoirs ni valeurs mais seulement des banques de données personnelles, des informations ou de l’optimisation, voire de la fraude fiscale ou sociale ce qui risque de modifier nos rapports sociaux, fragmenter la société, et produire des distorsions de concurrence.
Quelle régulation imposer ?
– Comment éviter les distorsions de concurrence, définir le statut des personnes et leur protection sociale ? Quelle place pour la formation, et l’adaptation des salariés à ces transformations rapides ?
– peut-on développer une économie du partage préférée à l’usage de la propriété, pour à la fois réduire la consommation, préserver l’environnement et les ressources. Mais aussi développer les emplois utiles à la transition énergétique, réduire le temps de travail …
Quels impacts sur le travail et les Conditions de travail ?
– Quels sont les transformations du contenu du travail, des modes de travail et de management ?
– les nouvelles formes de travail et les nouveaux lieux de travail: à distance, télétravail, espaces de travail collaboratifs, télécentres,… Ces nouveaux lieux permettent-ils de réinventer des collectifs de travail différents Quelles conséquences sur les relations sociales ?
– les conséquences sur les conditions de travail : autonomie, pressions temporelles, intensification… flexibilisation, individualisation
– les conséquences possibles sur le droit du travail
Cette première journée d’échanges et de travail a permis de poser les bases de l’analyse nécessaire que nous devions en avoir pour construire et déployer l’action syndicale.
La journée s’est déroulée en deux temps, tout d’abord une matinée de rencontre débats et échanges avec des chercheurs sur ce sujet :
- Patrick Cingolani : « Capitalisme de plate-forme et érosion des résistances ». Professeur de sociologie (Directeur du Laboratoire de Changement Social et Politique)
- Guillaume Tiffon : « De la digitalisation : travail, emploi, société ».
Maître de conférences en Sociologie, Directeur du département de Sociologie (UFR SHS / Université d’Evry)
Dans leurs interventions seront abordées notamment les évolutions du capitalisme et du travail, les conséquences pour l’emploi, le contenu du travail et les implications dans la société.
L’intervention de Patrick Cingolani a permis d’avoir une approche macro des enjeux et de remettre en perspective historique ces nouveaux défis dans ce qui a toujours été le fonctionnement du capitalisme. C’est ainsi que la capitalisme de plate-forme peut être compris comme une nouvelle tentative d’externalisation de fonctions, après celles déjà connues : délocalisations, franchises, filialisations, sous-traitances. Il décrit le capitalisme comme fonctionnant en « asymétrie » permanente entre diverses polarisations : capitalisme rentier contre manufacturier, tendance actuelle à vouloir « externaliser les usines » du capital (le rêve de l’entreprise « sans usine » de Serge Tchuruk, PDG Alcatel). On en revient en fait à la vieille époque (19ème) du « marchandage» du travail.
Celle de Guillaume Tiffon, plus axée sur des études de terrain, auprès des caissiers-es d’une grande surface de bricolage et d’un centre de recherches d’ingénieurs a permis de mette en lumière certaines contre-vérités. Par exemple les caisses automatiques sont souvent présentées comme un moyen de rendre moins pénible le métier de caissiers-es. C’est en fait tout le contraire tant la pression est forte sur celles et ceux qui contrôlent les clients-es aux caisses automatiques. La digitalisation/numérisation loin d’améliorer les conditions de travail renforce au contraire la pénibilité.
L’après-midi de nombreuses équipes syndicales confrontées à l’arrivée dans leurs entreprises de la digitalisation, de la numérisation sous leurs différentes formes nous ont expliqué leurs stratégies syndicales pour y faire face. Nous avons eu une après-midi d’une grande richesse avec des interventions d’un grand nombre de secteurs : Crédit agricole, BPCE, enseignement agricole, Poste, télécoms, commerces et services, pôle emploi, Banque de France, finances publiques, rail, éducation, etc.
Nous reviendrons plus en détail sur cette riche journée dans un numéro spécial d’« Et Voilà » comme cela a été fait pour la journée sur le Lean. Un chantier sera aussi mis en ligne sur le site de la Petite Boite A Outils. Ensuite nous organiserons une deuxième journée pour travailler plus précisément en atelier sur les pistes d’actions possibles comme: les évolutions de l’économie (collaborative et de partage), ses conséquences sur le modèle social (services publics et protection sociale), le déterminisme du progrès l’action syndicale à mener avec les salarié-es et avec les usagers/ public, le statut du salariat et du travailleur indépendant, les modifications apportées au contenu du travail et au sens du travail, les modes de travail (télétravail, travail à distance …).