Par ordonnance du 6 décembre 2012, le TGI de Paris, saisi par l’intersyndicale du commerce parisien (CLIC-P), a dit « n’y avoir lieu à référé sur la demande tendant à voir ordonner à la société Sephora de cesser d’employer des salariés entre 21 heures et 6 heures dans son établissement des Champs Elysées ».
Le juge a en revanche interdit à l’enseigne de parfumerie, sous astreinte de 50.000 €, « d’employer des salariés le dimanche dans son établissement de Bercy Village situé Cour Saint Emilion à Paris (12ème) » compte tenu de l’effet suspensif lié à la contestation, devant le Tribunal Administratif, de la dérogation dominicale accordée au dit magasin par le Préfet, dérogation annulée depuis…
Fort de ses succès, depuis 2010, contre le travail dominical de supérettes parisiennes et conforté par les ordonnances du 25 juin 2012 rendues par ce même TGI interdisant aux grands magasins Galeries Lafayette et BHV de procéder, en violation de la convention collective, à des ouvertures retardées lors des soldes d’été, le CLIC-P avait attrait Sephora : en effet, cette entreprise repousse sans cesse l’heure de fermeture nocturne de son principal magasin et ce sans même se prévaloir des quelques garanties liées à un accord sur le travail de nuit, contrairement, par exemple, aux magasins Fnac et Virgin situés sur la même avenue.
Plus encore, elle s’est livrée, quelques jours avant le prononcé du jugement, au chantage à l’emploi en publiant dans plusieurs quotidiens nationaux une pleine page de publicité laissant entendre que des emplois seraient supprimés en cas d’interdiction d’ouverture de nuit… Or depuis quand le respect de l’ordre public social constituerait un motif fondé de licenciement économique ?
La société, pour sa défense, arguait du fait qu’elle faisait travailler des salariés, sur la base d’un prétendu volontariat, après 21 heures et ce depuis 1996, antérieurement donc à l’entrée en vigueur de la loi relative au travail de nuit du 9 mai 2001, la justice, qui rappelle « que cette loi d’ordre public est d’application immédiate », a cependant considéré que « en l’absence de violation évidente de la règle de droit, le trouble manifestement illicite n’est pas caractérisé ». Et, alors même que l’ordonnance précise qu’un accord est nécessaire, en application de cette même loi, en cas d’extension du travail de nuit ce que Sephora admet avoir fait en repoussant successivement la fermeture de son magasin de minuit à une heure le week-end puis bientôt deux heures du matin, la juge n’en a pas tiré la conséquence qui s’impose.
C’est, entre autre, sur ces deux bases que les syndicats ont interjeté appel qui a été examiné le 10 juin 2013. Fort des jugements positifs obtenus depuis contre Apple et Uniqlo, des sociétés implantées en France après la loi de 2001 qui faisaient elles aussi travailler leurs salariés la nuit, c’est confiant que l’intersyndicale aborde cette nouvelle procédure alors que Sephora gagne du temps en déposant deux QPC. En effet, l’enjeu est considérable pour LVMH, propriétaire de la marque, qui pilote la procédure.
Le groupe de luxe en vient alors à instrumentaliser une minorité de salariés, d’abord par l’intermédiaire d’une pétition « pour le travail du soir » publiée à grands frais dans la presse… puis par des assignations à l’encontre des syndicats ! Peine perdue : le 23 septembre 2013, la Cour d’appel de Paris ordonne à Sephora de ne plus employer de salariés passé 21 h sous peine de 80.000 euros d’astreinte par infraction constatée.
En effet, la justice estime que le commerce de parfumerie passé une certaine heure ne relève ni d’un service d’utilité sociale ni ne constitue une nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique. Mieux encore, elle précise que « la conclusion préalable d’une convention ou d’un accord collectif est dénuée de pertinence » ce qui implique qu’on ne peut, en l’espèce, déroger à l’ordre public social visé par les dispositions protectrices de l’article L. 3122-32 du Code du travail, peu importe le souhait de certains salariés de travailler la nuit. La Cour de cassation, saisie par Sephora, devrait, au-delà du tumulte médiatique entrainé par cette affaire, rapidement se prononcer …
Des attaques incessantes :
Depuis les années 90, les exceptions au repos dominical se multiplient : loi quinquennale de 1993 qui autorise, entre autre, l’ouverture dominicale du magasin Virgin des Champs Elysées (on connait la suite), amendement Debré en 2008 en faveur des enseignes d’ameublement, loi Maillé de 2009 qui créée les PUCE (Périmètres d’Usage de Consommation Exceptionnelle) et élargit l’ouverture de droit à tous les commerces implantés dans les zones touristiques etc.
La loi sur le travail de nuit date elle de 2001: à coup d’ouvertures exceptionnelles pour le lancement de tel ou tel produit puis de tentatives, dans les années 2000, d’ouvertures des magasins d’habillement pour les soldes, celui-ci gagne du terrain. Ainsi, Sephora avait pour projet, avant l’intervention de SUD Commerces et services avec le Clic-P, de fermer le week-end à… 2 h du matin ! Et la grande distribution cherche elle à instaurer le réassortiment des magasins une fois la nuit tombée.
Le CLIC-P, l’intersyndicale du commerce parisien à laquelle participe SUD Commerces et services existe depuis 2010 et est désormais composée, de la CFDT, de la CGC, de la CGT et de l’UNSA après le départ récent de FO.
Ces perspectives et axes d’actions sont les points suivants :
– pas de nouvelle zone touristique dans Paris car demain si les grands magasins d’Haussmann ouvrent, c’est le Forum des Halles qui suivra etc.
– pas de PUCE parisienne : ainsi, à Bercy Village, son action, combinée à celle de l’Inspection du travail, a permis de juguler les ouvertures dominicales sauvages, y compris celle de La Fnac qui s’y aventurait,
– pas de nouvelle dérogation, que ce soit pour le bricolage ou les grandes gares, car, à agir en permanence par voie d’exception, le travail dominical se généralisera, deviendra la règle et ce sera alors la fin des majorations de salaire… là où elles existent !
Sur le travail de nuit, l’action se poursuit et le CLIC-P a sommé, dans la foulée de l’arrêt Sephora, les magasins concernés à se conformer, sous peine de poursuite, à la loi, à commencer par son principal concurrent, Marionnaud, situé sur la même avenue et qui continue lui à fermer à minuit…
SUD Commerces et Services revendique là où le travail dominical est une réalité, qu’il soit de droit ou basé sur un prétendu volontariat :
– le fait que celui-ci ne soit pas concomitant à l’embauche ce qui est la règle, avec possibilité de rétractation par la suite,
– le doublement a minima du salaire versé ce jour-là.
Cela vaut pour nous pour tous les travailleurs dominicaux dont ceux des restaurants, de la sécurité, des transports etc.
Sur le travail de nuit qui est, de surcroit, nocif à la santé, SUD Commerces et Services demande la stricte application de l’interdiction actuelle, rappelée par plusieurs décisions de justice à notre initiative (superettes, grands magasins, Apple, Unqilo, Monoprix et Sephora désormais) : 21 h, c’est déjà bien assez tard !