C’est au tour de l’hôpital d’être touché par une vague de suicides.
Un suicide c’est toujours un cataclysme. Pour la famille, les collègues, c’est le ciel qui tombe sur la tête.
Mais existe-t-il des liens entre l’activité professionnelle et le suicide ?
Est-ce qu’une femme, un homme, peuvent se suicider du fait de leur activité professionnelle ?
Cette réflexion est alimentée par deux sources d’information. La première est celle de l’engagement syndical en particulier au CHS-CT, la seconde vient de l’activité des psychologues publics qui interviennent en soutien dans les situations qui ont un fort retentissement psychologique, les suicides au travail en font partie.
Voyons dans un premier temps comment cela se passe sur le terrain puis tentons de prendre de la distance pour comprendre les déterminants sociologiques à l’œuvre dans le suicide.
Lorsque les salariés sont confrontés directement à la mort de leur collègue, c’est un traumatisme violent, une effraction de l’intimité qui bouleverse le quotidien, l’agenda, qui bloque les capacités de penser, qui sidère.
Ce fut le cas dans les locaux de France Telecom quelques heures après qu’un des salariés se soit immolé par le feu laissant sur la façade du bâtiment la marque noire de sa mort. Tous ceux qui ont embauché ce matin-là, ont été pris à la gorge par sa dépouille calcinée, envahis par une angoisse tenace. Cette réaction a été d’autant plus forte que ces salariés ont été pris par surprise, « le ciel leur est tombé sur la tête » ! Comment comprendre qu’en pleine campagne médiatique sur les suicides chez France Telecom, les salariés de ce service n’aient jamais pensé que cela pouvait les atteindre ? Comment se fait-il que la France entière était informée du risque de suicide dans cette entreprise et qu’à l’intérieur personne ne se pensait ou pensait son collègue à risque, pensait que l’un d’entre eux pouvait passer à l’acte.
L’explication c’est la détermination sociale de nos comportements. Nos actes sont parfois, souvent, dictés par le contexte dans lequel nous vivons et cela à notre insu.
C’est vrai pour l’achat des chaussures que l’on croit acheter librement pourtant les hommes et les femmes n’achètent pas les mêmes chaussures en Amérique du sud, en Indonésie ou en Europe, par contre nos chaussures ressemblent beaucoup à celles de nos collègues, de nos voisins. Cette détermination est vraie aussi pour le port de la barbe qui s’est généralisé ces dernières années pour s’intégrer à un habitus au sens de Bourdieu .
Et enfin c’est vrai aussi pour le suicide. Cela a été démontré dès 1897 par E Durkheim . A maintes reprises des études statistiques ont fait la preuve que le contexte social, et donc socio-professionnel, peut augmenter le taux de suicide dans une population. Le tout à l’insu de ceux qui sont touchés, puisque nous n’avons pas conscience des déterminants sociaux. Chacun croit acheter des chaussures parce qu’elles nous plaisent et chacun croit que le collègue s’est suicidé en raison de problèmes personnels. Difficultés privées que les personnes « bien intentionnées » vont s’empresser d’identifier. Sauf que dans un autre contexte socio-professionnel avec les mêmes difficultés familiales la même personne ne se serait pas suicidée.
La question des statistiques mérite d’être détaillée, puisque c’est à l’aide des statistiques que se démontre la détermination sociale.
Les statistiques ont montré leur nez dans le dossier d’Orange, « Statistiquement le taux de suicide dans cette grande entreprise serait légèrement supérieur au taux attendu mais cela ne dépasserait pas la marge d’erreur acceptable ». Dans ce raisonnement il y a tout le cynisme de ceux qui ne s’encombrent ni de l’émotion ni de la vie de leur salarié. Quand le PDG d’Orange déclare : « Les départs je les ferai d’une façon ou d’un autre par la porte ou par la fenêtre » pour lui un suicide c’est un départ comme un autre et il en avait 22 000 à faire.
Pourtant les études statistiques montrent que le taux de suicide est deux fois plus important chez le non travailleur. Comme quoi le travail peut et doit être intégrateur et protecteur. Cela vient d’être confirmé par une étude publiée en 2015 par l’INSERM , qui montre l’association entre l’augmentation du taux de chômage et l’augmentation des morts par suicide chez les hommes.
Comme pour la santé, il y a bien un gradient social du suicide, qui touche plus ceux qui ont les emplois les moins intéressants. Dans notre exemple, il touche certainement plus les employés d’Orange qui doivent vendre des produits à des clients, que les salariés de France Telecom qui assuraient une mission de service public en dotant chaque foyer français d’un téléphone S63. Pour ces derniers, le travail avait un sens et c’est bien cette perte du sens du travail qui est parfois à l’origine de suicide.
L’engagement professionnel, véritable pilier de l’identité, est mis à mal par des politiques de management qui nient le sujet. Le cynisme du capitalisme est aussi à l’œuvre dans la gestion des drames que sont les suicides engendrés par le travail dépourvu de sens, ainsi est-il toujours question des suicides à France Telecom jamais de ceux d’Orange pour ne pas ternir l’image de la marque.
Quelles sont les pistes pour les syndicalistes.
La première chose est de ne jamais laisser une annonce sans réponse. Quand un collègue évoque l’éventualité du suicide ce n’est jamais à la légère et cela doit toujours trouver une réponse, un conseil, une orientation et surtout une vigilance amicale.
Le deuxième recours c’est la fiche Outil pour l’action syndicale numéro 8 de santé au travail rédigée par l’Union syndicale Solidaires qui propose aux militants, que faire en cas de suicide ou tentative de suicide.
Enfin dernière possibilité pour les syndicalistes « faire reconnaître un suicide comme accident du travail » guide rédigé par F Daniellou ergonome à l’Institut polytechnique de Bordeaux.