Depuis un an à Pôle Emploi, les salarié-e-s sont confrontés à quelque chose qui ne s’appelle pas du Lean. Dans certaines IRP la Direction nous affirme que c’est pas du Lean, dans d’autres elle nous dit que c’est du Lean et l’assume. Au final cela crée de la confusion et on peut penser que c’est une des forces de ces organisations du travail qui se mettent en place.
Ce que l’on n’a pas vu c’est que la création de Pôle Emploi était déjà un acte de Lean au niveau macro-économique. Cela a généré au sein de Pôle Emploi une désorganisation complète des métiers, une perte de repères.
Nous avons également un droit d’expression qui est en permanence bafoué. On n’a pas le droit d’exprimer qu’on n’est pas d’accord sur ce qu’on ne comprend pas. En revanche, d’autres expressions ont le droit de citer comme tout ce qui est délation…
Une partie de l’origine de cette désorganisation est qu’au bout du compte, quand le Lean arrive vraiment au niveau des actes métier, les gens pour beaucoup deviennent volontaires. Ils ont tellement été déqualifiés et perdus dans des organisations du travail qu’ils ne comprennent plus, qu’ils demandent à participer aux ateliers, à identifier les « irritants », à participer aux phases de tests, bref à trouver des solutions. Après toutes ces phases de test, la Direction est tellement mauvaise que même les gens qui étaient volontaires, qui participaient volontairement à ces ateliers, en sortent écœurés : des « irritants » qui n’ont pas été identifiés apparaissent, aucune solutions n’est proposée, et ceci dans toutes les agences. Au final, les gens qui y croyaient naïvement n’y croient plus du tout.
Il est difficile de parler aux collègues à l’heure actuelle parce que c’est trop nouveau. Il reste donc à entreprendre un gros travail de communication. Il va peut-être y avoir un créneau où les gens ont le sentiment que ça ne marche pas et qu’ils peuvent rebasculer. Il faut pouvoir saisir ce créneau là et communiquer à ce moment là de façon pertinente même si ce n’est pas simple.
Un des constats majeurs que l’on peut faire est que le Lean multiplie les conflits interpersonnels. Des collègues qui s’entendaient bien, six mois après ne s’entendent plus, et « se fritent pour des conneries ». Les élus du personnel se retrouvent à gérer des « pétages de plomb » sur des sites entre deux collègues pour des histoires ridicules.
L’utilisation des primes et la distribution des augmentations de salaire au compte-gouttes est utilisée à travers la méthode Lean pour diviser encore plus les collègues et pour avoir une carotte en permanence et les faire adhérer.
À Pôle Emploi, tous les niveaux hiérarchiques sont déresponsabilisés : le directeur régional se déresponsabilise sur le DRH, le DRH se déresponsabilise de sa gestion RH sur le directeur d’agence, qui lui-même se déresponsabilise sur l’animateur d’équipe pour tout ce qui est de la gestion de l’agence. L’animateur d’équipe n’étant plus en capacité d’être en veille sur les métiers laisse les agents en permanence être leur propre responsable…
Ils utilisent également la peur : ils jouent sur la peur des gens, la peur de ne pas avoir une augmentation à la fin de l’année, la peur de ne pas avoir une formation, parce qu’on déqualifie les gens qui ont peur de ne plus être formés. On joue sur tout un tas de peurs chez les collègues : « il faudrait que la peur change de camp ! ».
Le gros souci est que l’arme qui est utilisée contre nous est le déni de la réalité. Lorsque l’on fait des alertes DP ou CH sur des situations de collègues en souffrance, la réponse est systématiquement la même : « non, vous mentez ». En permanence, on est face à des situations de déni, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de problème, tout va bien : « non, Mme Machin ne pète pas les plombs, ce n’est pas vrai. On lui a proposé des solutions, elle ne les a pas acceptées. » Il n’y a avait jamais personne quand on lui a proposé, et comme cette personne revient en mi-temps thérapeutique et a des gros soucis personnels, elle n’est pas toujours très lucide pour comprendre ce qu’on a pu lui proposer à un moment donné. On se trouve donc dans des situations de déni permanent. Le déni de la réalité, c’est qu’on ne peut pas parler de la même chose et forcément il devient très compliqué de trouver des solutions.
Face au Lean, on a l’impression de jouer aux petits chevaux et d’avoir en face des gens qui jouent aux échecs, et qui ont trois coups d’avance ! Et on peut même penser qu’ils jouent une autre partie car ils pensent déjà avoir gagné celle-là. C’est ce qui pose problème sur comment nous on peut réagir parce qu’on n’est déjà plus dans la bonne partie, ni sur la bonne bataille. Et eux sont sur un autre théâtre d’opérations.
Il y aurait peut-être un exercice de prospective à faire : qu’est-ce qu’il y a après le Lean ? Le Lean n’est pas une fin en soi, et on peut imaginer qu’il y a quelque chose après le Lean, et si on ne fait pas cette prospective, on aura du mal à revenir dans la partie, on courra toujours après des projets…