L’obligation de négocier la pénibilité (1) au niveau des branches (2) a amené le patronat à ouvrir différentes «négociations» ces derniers mois dans plusieurs secteurs, notamment industriels. Ce fut notamment le cas dans la convention collective du Caoutchouc, où l’Union syndicale Solidaires est représentative depuis 2013, et dont la coordination Solidaires Caoutchouc est composée de trois structures membres : SUD-chimie, SUD-Michelin, Solidaires industrie.
Lors de la première CPP – Commission Paritaire Plénière – il y a quelques mois, la chambre patronale (composée des différentes organisations patronales) avait affiché une position très dogmatique, en refusant d’aborder toutes discussions sur l’aspect des «réparations», privilégiant l’aspect «prévention», en restant à la fois évasif et ne souhaitant pas articuler les deux dispositifs pourtant fortement liés. La réponse des organisations syndicales présentes dans la branche et donc représentatives au niveau national avait été sans ambiguïté : il n’était pas question d’ouvrir une discussion sur ces bases là, avec un projet d’accord uniquement sur l’aspect prévention mais se limitant à de grandes intentions générales («prévenir les risques» mais sans les identifier ou dire comment, ni aborder la question des moyens).
La dernière CPP qui s’est tenue avant l’Eté a été une parfaite démonstration de ce que peut-être le dialogue social, ou du moins son essence dans le cadre du système capitaliste : une façade où il faudrait se considérer comme des «partenaires sociaux», abandonnant toute idées d’affrontement avec le patronat, et où il serait possible de discuter sur les bases et intérêts de classe du patronat. Se limitant aux obligations légales de négociation, se retranchant derrière la mise en place à venir du compte pénibilité présentée comme un acquis, prétextant que le législateur avait déjà fait le nécessaire en la matière, la délégation patronale (SNCP et UCAPLAST) s’est bornée à quelques grands principes très flous. Les organisations syndicales, même si des divergences peuvent exister entre elles, ont pourtant affiché un profond désaccord avec la position patronale. A notre sens, il s’agit de trois problèmes majeurs :
- Tout d’abord, c’est la conception même du rôle des conventions collectives, et la remise en cause de la hiérarchie des normes : la convention collective est censée déroger au code du travail de manière plus favorable, et ne pas se cantonner au minimum légal voir moins, et prendre en compte les spécificités du secteur, dont le caoutchouc est à la croisée de la chimie et de l’industrie.
- L’aspect prévention présente un caractère certes important mais la vie quotidienne des salarié-e-s et de leurs représentant-e-s syndicaux CHSCT et CE (ou DP dans les plus petites entreprises) illustre bien les difficultés : la plupart du temps, dans les secteurs industriels, le CHSCT et le CE, dans la prévention des risques, dans la consultation de l’organisation du travail (et plus que la consultation même se pose la question de comment travailler, la finalité, de la reprise en mains du travail et de l’outil de production) et dans leurs missions définies par le code du travail sont attaquées, limitées et entravées par les directions. Les instances existent, et même si elles ne bénéficient pas de prérogatives suffisantes (comme un droit de Veto au lieu d’un rôle essentiellement consultatif), elles sont méprisées à la fois par le patronat mais également par le gouvernement, empêchant régulièrement de pouvoir défendre les intérêts des salarié-e-s et de poser les bases de mobilisations solides. Les outils à disposition des équipes syndicales, comme les fiches produites par Solidaires (3), doivent être liées à la volonté de construire le rapport de force également hors IRP – qui sont des outils et non une finalité.
- L’aspect réparations est essentiel dans nos secteurs : l’espérance de vie en bonne santé diminue, l’organisation de travail spécifique (postures, gestes répétitifs, travail posté, bruits, etc.) n’a pas besoin de longs discours ni de longues analyses pour rappeler que la pénibilité est de la responsabilité du patronat, et met en avant le «coût du capitalisme» (4) en matière de santé : les objectifs de compétitivité, de rendement, d’efficience, de productivité sont pris au détriment des conditions de travail des salarié-e-s. les capitalistes nous coûtent cher ! Le plus choquant restera l’analyse portée par le patronat, critiquée très violemment par Solidaires, la Cgt et Fo : La réunion s’est finie sur un débat houleux et scandaleux : la délégation patronale mélangeant réparations et compensations («les primes» en guise de la pénibilité et l’espérance de vie en moins !) et le refus de négocier sur cette partie notamment les départs anticipés, avec une phrase qui vaut d’être diffusée largement de la part du représentant de la délégation patronale : « l’espérance de vie n’est due en premier lieu au travail et sa pénibilité mais aux choix personnels du salarié et son mode de vie ». Une position qui en dit long sur le rapport entre capital et travail..
Cette situation, parmi tant d’autres, rappelle à quel point il est essentiel de pouvoir construire des mobilisations et de compter avant tout sur nous-mêmes, puisque législateur et patronat continuent à faire en sorte que nous perdions notre vie à la gagner. Le changement, c’est nous qui le ferons ! Prochaine CCP à la rentrée 2014..
(1) Loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014
(2) Les branches professionnelles regroupe les entreprises d’un mêmes secteur d’activité et relevant de la même CCN
(3) http://www.solidaires.org/article47174.html
(4) Campagne nationale de Solidaires «les capitalistes nous coûtent cher» : www.coupspourcouts.solidaires.org