Dans son intervention, Sidi Mohamed Barkat s’est d’abord intéressé à l’organisation scientifique et technique du travail. Selon lui, elle s’appuie sur une rationalité instrumentale, fondée sur une logique de la maîtrise qui appauvri l’espace et resserre le temps. Par ailleurs, l’exercice de la pensée est interdit au travailleur et son corps est désensibilisé.
Cette organisation sépare les hommes et les choses dans le but de maintenir l’ordre et d’interdire les gestes inutiles qui pourrait le perturber. C’est le fameux « one best way » de Taylor. Mais ce modèle est contredit d’une part par le réel qui résiste et par le Capital qui cherche à surmonter le sujet vu comme un obstacle. Ce modèle s’appuie sur d’une part l’acceptation par les salariés de la relation de subordination et d’autre part sur le renoncement par l’employeur d »une exigence infinie.
Dans cet espace, à l’intérieur même de la logique scientifique et technique animée par le besoin de réduire les hommes à des corps bruts et les choses à de simples objets manipulables, se nouent des rapports concrets entre les Hommes et les choses dans le travail. Il y a une manifestation du travail vivant, la définition d’un territoire, une sorte de province libérée, arrachée à l’univers de la maîtrise et où les salariés se sentent chez eux.
Cependant, selon Sidi Mohamed Barkat, la transformation, à laquelle nous assistons, de l’organisation du travail est portée par une stratégie aux ambitions révolutionnaires, la transformation du travail s’inscrivant à l’intérieur d’un mouvement d’une grande ampleur, la « refondation sociale » du MEDEF.
Il s’agit pour le MEDEF de construire une subjectivité de masse favorable au capital et la promotion du vocabulaire managérial sous la figure d’un langage neutre et universel. Le salarie doit entrer dans un processus d’identification avec l’image de l’entrepreneur – qui est aussi l’image du pouvoir. L’objectif révolutionnaire que le MEDEF a largement atteint, consiste à liquider la dimension sociale (celle des contradictions de classe) comme question, la révolution patronale vise ainsi la question de la propriété.
La liquidation de la question de la propriété porte radicalement atteinte aux principes de la démocratie en faisant mine d’étendre la propriété aux salariés. L’organisation du travail a pour mission désormais de modeler des salariés propriétaires, des salariés entrepreneurs et de les faire participer activement à l’exploitation de leur propre corps conçu comme un capital. Ainsi le corps n’est plus le propre de l’homme, mais sa propriété en tant qu’il est réduit à un pur objet d’exploitation. Les salariés sont placés dans la situation de devoir singer l’activité au lieu de la réaliser. Dans ces conditions, ni la pensée ni la sensibilité ne sont effectivement sollicitées par les salariés. Le principe de propriété est donc à la fois généralisé et banalisé, supprimant de fait tout espace de conflictualité.
Cette situation radicale de transformation du travail a plusieurs effets : la disparition du champ du travail pour la plus grande partie de la pensée conceptuelle, le retrait de l’État et la réduction de fait de l’espace démocratique, l’affaiblissement et l’affaissement du droit du travail et, pour les organisations syndicales, l’aspiration à prendre seulement en charge des plaintes individuelles en lieu et place des revendications collectives.
Selon Sidi Mohamed Barkat, cette situation appelle naturellement une réplique qui se situerait au même niveau de radicalité. Quelles pourraient donc être les tâches à venir ?
En premier lieu, la pensée conceptuelle doit prendre la mesure du fait que les contradictions sociales n’ont pas disparu, mais se sont déplacées et que les conflits psychiques sont en réalité des contradictions sociales disposées dans le psychisme.
En second lieu, l’État étant un défenseur exclusif de la propriété et contribuant à faire prévaloir la loi du profit, il convient de réactiver une référence au peuple. Ensuite, l’objet du contrat ayant changé le droit du travail doit intégrer et prendre acte de ce bouleversement pour permettre à nouveau l’établissement de la preuve.
Enfin, les représentants des salariés doivent reprendre pied armés de la compréhension de ce qui se joue pour mettre à mal ces nouvelles organisations du travail et reconstruire de la revendication collective et de la conflictualité.
Sidi Mohamed Barkat, Philosophe, Chercheur associé au Laboratoire de psychologie du travail et de l’action du Conservatoire national des arts et métiers.