État des lieux du management à l’APHP par Jean-Christophe, infirmier dans un service de médecine.
Je vais essayer de vous expliquer ce qu’il se passe dans les hôpitaux de l’APHP actuellement. Avant chaque hôpital était un peu autonome, maintenant ce qui est mis en place, ce sont des groupes hospitaliers. On regroupe, on sectorise différents hôpitaux en vue de potentialiser et de faire des plateaux techniques performants et de fermer des services de soins pour unifier l’ensemble des services. Par exemple, si l’on voit qu’il y a un service de médecine dans un hôpital et qu’il y en a un autre dans un hôpital du même groupe, et bien on va n’en faire qu’un. Essayer de faire des gros hôpitaux où tout est regroupé avec des plateaux techniques performants : voilà comment cela se passe.
Donc, à l’intérieur, de ces groupes hospitaliers, avec la Loi Bachelot Hôpital Santé Territoire, on a mis en plus dans cette Loi une tarification à l’activité qui est médicalisée. Cela veut dire que quand les paramédicaux ont une action sur le patient en terme de prévention et d’éducation, elle n’est pas quantifiée. Ce qui signifie qu’aujourd’hui pour qu’un service vive, on est obligé de tarifier l’activité médicale. En clair, c’est donc aujourd’hui la course aux examens et donc à faire du chiffre.
Or nous sommes dans un métier où l’humain en est le cœur ainsi que la raison de notre choix. Et les conflits que nous avons avec cette tarification à l’activité (qui nous pousse à dire aujourd’hui on fait 30% de plus que le mois dernier), heurtent beaucoup d’entre nous dans leur étique humaine et morale de soignants. Ils disent ainsi qu’ils ne sont pas là pour « marchandiser » l’humain et pour que la santé des gens soit le support à faire du profit. Éduquer un patient diabétique, ça ne rapporte rien. L’amputer, ça rapporte ! Voilà où on en est !
On nous dit : rentabilité. Et la direction qui nous parle d’économie et d’efficience, a contacté l’ANAP (Agence Nationale d’Aide à la Performance). Quand nous demandons quelle est notre place de soignants, on nous répond : « mais il y a le patient au bout »… mais le patient n’est qu’un support à faire du pognon avec des entrées et des sorties. Avec comme objectif principal de réduire la DMS (durée moyenne de séjour). Comme une voiture ou un circuit de refroidissement chez Renault !
Avant une embolie pulmonaire avait sa durée propre à chaque cas. Maintenant une embolie pulmonaire non compliquée c’est 5 jours. Si on dépasse, on perd de l’argent. Ce qui pousse à faire sortir vite les patients et à les faire rentrer d’autant plus vite : on fait 3 jours, ils sortent. On voit que c’est compliqué ? Ils reviennent… et ça compte comme 2 hospitalisations !
Et ce qu’ils veulent faire des soignants dans l’organisation du travail, c’est d’en casser les collectifs. C’est-à-dire qu’à l’intérieur de l’hôpital, le service de base, qui avant était le service de soin (cardio, pneumo, chirurgie digestive,…) est remplacé aujourd’hui par un regroupement des services à l’intérieur des groupes hospitaliers, ce qu’on appelle des pôles (par ex pôle urgence…). Cela peut être transversal sur d’autres établissements et on est « mutualisables ».
Ils ont d’abord commencé par nous mutualiser dans l’espace (travailler sur un pôle urgence, soit en réanimation, soit aux urgences, soit en réanimation, etc.) pour ensuite mettre en place la mutualisation dans le temps. Avec une mise en place de la grande équipe, non pas avec des roulements fixes (par exemple un mois du matin, un mois d’après-midis) mais une mise en place des organisations où on peut au pied levé changer nos horaires.
Le problème du personnel est par rapport à ce qu’on lui demande maintenant économiquement et financièrement dans sa relation par rapport aux soignants : nous on est dans le « care » (le soin, l’acte) et non plus dans le « cure » (l’entourage, l’environnement du patient). On est axé sur l’acte et débiter des actes.
Les collectifs ont été cassés, mutualisés au maximum, et on a été individualisés, on n’est plus évalués sur le service, mais avec la méthode « SMART » qui est une méthode où l’on nous demande de nous auto-évaluer. Le lean management nous demande, par le biais de la certification et de l’accréditation, de rentrer dans des processus sois disant pour améliorer uniformiser. Et après si on fait une erreur de prescription, on nous demande aussi de nous auto dénoncer… On est dans ce processus-là. Sur l’hôpital, on a dénoncé cela et on a fait une expertise. Mais la réaction de l’hôpital, a été que plutôt que d’uniformiser de manière brutale, de pratiquer la politique de la grenouille : chaque pôle chaque service met en place des choses de manière autonome, c’est-à-dire que quand un service est touché, celui d’à côté ne l’est pas… et progressivement on arrive à un saucissonnage de la modification qui fait que au final nous tombons tous dedans.
Les anciens qui ont connu l’hôpital plus ou moins humanisé où les gens avaient un collectif et avaient leur service, ne vivent pas bien cette situation. Et on essaye de les pousser vers la sortie et de les remplacer au plus vite par des gens mutualisables plus ou moins corvéables avec les caractéristiques comportementales citées dans l’intervention de ma collègue (cf l’article précédent sur l’APHP). De façon à créer des conflits, par les difficultés, entre eux et ceux qui viennent d’arriver et qui ont des conditions de travail qui ne sont pas les mêmes que les anciens. Créer des conflits afin de diviser pour mieux régner. Et instituer leur organisation quoiqu’il arrive.