Chez Renault, tout a été essayé : qualité totale, 5S, entretiens individuels… Voici un panel des stratégies d’entreprises. La finalité est de se débarrasser du personnel dit « à faible qualification » et de rendre modulables et manipulables les cadres qui restent.
Le premier concept utilisé, « client-fournisseur » s’appliquait entre entreprises, puis s’est étendu aux prestataires. Il va se pratiquer entre chaque service : l’un aura un cahier des charges qu’il fournira à l’autre qui lui rendra une prestation. Conséquence : si un client n’est pas content de son fournisseur, il en changera. Aujourd’hui c’est un service en interne ; demain ce sera une société extérieure. Les activités de l’entreprise seront cloisonnées et on les déplacera d’un endroit à un autre.
L’arrivée des « processus » que chaque travailleur doit suivre affine cette méthode (le travail est très individualisé chez Renault, personne ne fait la même chose). Mais s’y ajoutent des « sous-processus » ainsi que des jalons et des comptes rendus. Le temps est avalé par le « reporting » et le respect des jalons, davantage qu’à travailler concrètement. En réalité, le but n’est pas de produire, mais de se débarrasser des gens proches de la production. Le discours officiel dit : si une personne respecte les processus, ça marche… Mais en réalité, ça ne marche pas comme ça. Déjà le verbiage franco-anglo-japonais n’est pas d’avantage compris par certains prescripteurs que par les salariés. Ces tâches élémentaires compartimentent chaque personne comme une brique de Lego interchangeable…
Concernant la politique d’organisation de l’entreprise, de gestion du personnel, des concepts sont apparus de manière confuse. Entre le moment où quelqu’un à la direction lance une idée et celui où l’on comprend tous ce que c’est, il s’écoule beaucoup de temps.
Parmi ces notions : celles de « cœur de métier » et de « non cœur de métier ». L’une correspond à une activité à mener en interne pour garantir sa bonne exécution ; tandis que l’autre est ce qui peut être externalisé… Rien à voir avec le métier : le management est du « cœur de métier » alors qu’un ouvrier qui maîtrise le métier est du « non cœur de métier » !
Quant à la notion des « fonctions complètes », comme celles de nos prestataires (freinage, refroidissement moteur, climatisation, chauffage) elles ne sont pas du « cœur de métier », et donc externalisées. Renault ne fabriquera plus et n’assemblera plus et se situera à un haut niveau de supervision. Ceux qui ont un haut niveau de professionnalisme actuel ne feront plus partie du « cœur de métier ».
Autres notions, celles de « poste sensible » et de « poste critique ». Le poste est sensible s’il n’est pas indispensable et si on peut le sous-traiter (un spécialiste de l’informatique, un designer automobile…). Le poste est critique s’il est indispensable pour l’entreprise. Le seul poste vraiment critique, c’est le PDG, de son point de vue !!!
Le cabinet américain HAY gère l’organisation du travail de Renault et collabore avec les DRH. Pour gérer les plans de carrière et de promotion, une grille des métiers est définie par nos N+3 qui connaissent peu nos métiers. Nombre d’entreprises nationales y ont recours également. Comparer l’automobile, la chimie et l’agroalimentaire, pour l’encadrement ça ne pose pas de problème, mais pour le travail de base ce n’est pas la même chose. Ces méthodes-là compartimentent : plus les métiers sont critiques et plus ils sont payés et plus on est chef ; et plus on est exécutant et plus c’est sensible. Selon le classement, on fait comprendre (sans leur dire) à certains qu’ils ont intérêt à partir. La méthode est opaque ; on privilégie uniquement le niveau de responsabilités. L’industrie en France qui disparait, n’intéresse pas la direction de Renault lorsqu’elle définit ce panel de comparaison entre salariés.
De plus les salariés sont informés de leur positionnement salarial par rapport au marché. On est toujours très bien placé, alors que depuis que Ghosn est PDG, les salaires stagnent et régressent… L’erreur ? Les salaires des hauts dirigeants sont comptés dans la masse salariale !!!
Deux autres vocables ont étés rajoutés : « job grading » et « job mastering ». « Job grading » est ce qui permet de comparer chacun à la situation du marché : qu’est-ce qu’il vaut, qu’est-ce qu’il peut faire (selon la méthode Hay avec le discours sur la transparence de la politique salariale équitable). 7 plages sont définies. Et alors que beaucoup de cadres espèrent avoir un rattrapage salarial, 4 cases concernent les cadres dirigeants et seulement 3 la majorité restante. Le discours officiel de Hay/Renault, c’est qu’un écart de +/-20% est possible entre 2 personnes faisant le même travail. Mais ceux qui imaginent une reconnaissance de leur travail se trompent… il y aura jusqu’à 40% d’écart.
Enfin, s’y ajoutent les entretiens individuels en 2 parties : une fixe et une proportionnelle. La grille d’évaluation des performances des salariés a 4 critères : transforme ou développe ou maitrise ou progrès attendus. Ce classement est communiqué aux salariés, mais un autre n’est détenu que par le chef et définit le potentiel de la personne : soit low, soit moderate ou soit hight.
Pour les augmentations de salaire, ce n’est pas sur le travail fait, mais c’est sur le travail à faire que porte le nouveau discours. Il faut être classé dans « fort potentiel » et dans « transforme » ou « développe ».
Voilà le discours affiché chez Renault où le travail est très individualisé ; tous les individus sont les uns à côté des autres. Nous nous battons pour faire en sorte que ça change, par les actions d’explication sur ces sujets, les tracts, la lutte sur les problèmes de terrain, face en ce moment à une partie du Technocentre qui va être externalisé.