Depuis maintenant cinq ans, quatre salariés de la coopérative agroalimentaire bretonne Nutréa-Triskalia gravement intoxiqués par des pesticides sur leur lieu de travail puis licenciés suite à leur maladie, mènent un combat exemplaire pour faire reconnaître leurs préjudices et obtenir réparation devant les tribunaux. En mars 2014, ils ont été rejoint dans leur combat par la veuve d’un de leur collègue, qui après avoir été également accidenté et intoxiqué avait mis fin à ses jours sur son lieu de travail.
Le combat de David contre Goliath.
Leur long combat est exemplaire, parce qu’ils ont eu le courage de s’attaquer à leur employeur, c’est-à-dire le Groupe coopératif Triskalia (2,2 milliards de chiffre d’affaire, 4800 salariés, 18 000 adhérents, 300 sites) dirigé par l’organisation qui détient le pouvoir réel dans notre Région, c’est-à-dire la toute puissante Fnsea.
Il en fallait en effet du courage pour oser demander des comptes devant la justice à une entreprise aussi puissante que Triskalia, à ce véritable état dans l’état, à ce fer de lance du lobby agricole breton productiviste qui lorsqu’une crise s’annonce fait trembler les Préfets, les élus de la République, quand ce n’est pas les Gouvernements.
Quand en novembre 2013 la colère ouvrière bien légitime des ouvriers licenciés des entreprises Gad et Doux a été détournée et instrumentalisée pour défendre avant tout les intérêts des patrons bretons et enterrer l’écotaxe, c’était la Fnsea et les patrons de l’entreprise Triskalia qui étaient à la manœuvre, pour détourner « la révolte des bonnets rouges ».
La toute puissance du Groupe Triskalia, ne repose pas uniquement sur l’agriculture et l’industrie agroalimentaire qui représente déjà un poids économique énorme en Bretagne, mais également, sur ses liens étroits avec le secteur bancaire ( le CMB, le Crédit Agricole), les assurances (Groupama) et les multiples partenariats qu’il a passés avec d’autres entreprises géantes de l’agroalimentaires comme Terrena ou Sofiprotéol, rebaptisée depuis peu « Avril » et que dirige le patron multimillionnaire de la Fnsea, Xavier Belin.
Laurent Guillou, Stéphane Rouxel, Claude Le Guyader, Pascal Brigant et Edith Le Goffic n’ont pas seulement osé porter plainte au pénal et déposer des recours devant le Tribunal des Affaires de sécurité Sociale et les Prud’hommes contre leurs employeurs, mais ils ont également osé briser l’omerta qui régnait autour des pesticides, en dénonçant publiquement un scandale sanitaire et environnemental, alors même que l’organisation syndicale majoritaire dans leur entreprise et dans l’agroalimentaire en Bretagne, c’est-à-dire la Cfdt, leur conseillait, au nom de la sacro-sainte défense de l’emploi, de ne rien faire qui puisse nuire à l’image de l’entreprise et au-delà à celle l’industrie agroalimentaire.
Résistants et lanceurs d’alertes.
En refusant de se taire et d’accepter l’inacceptable ils sont finalement passés du statut de victimes accablées à celui de résistants et lanceurs d’alertes. A ceux qui les avaient empoissonnés et qui ensuite les traitaient de menteurs et d’affabulateurs, ils ont répondus avec fermeté et dignité qu’ils mèneraient le combat jusqu’au bout pour dénoncer le scandale dont ils étaient les premières victimes, demander justice et obtenir réparation.
Car le scandale de l’affaire Nutréa-Triskalia est vraiment énorme. C’est bien pour optimiser ses profits et spéculer sur les cours des céréales, que cette entreprise à utilisé massivement en 2009 et 2010 des pesticides pour certains interdits comme le Nuvan total (Dichlorvos, neurotoxique interdit depuis 2007) pour traiter et conserver des céréales destinées à la fabrication d’aliment pour bétail au lieu de les ventiler mécaniquement et cela au mépris de la santé de ses salariés, des animaux à qui étaient destinés ces aliments et au final au mépris de la santé des consommateurs.
Les rapports de la Gendarmerie, comme ceux de l’inspection du travail établiront clairement un lien direct entre l’apparition des signes d’intoxication et la livraison des lots de céréales. Autour des entrepôts de l’usine de Plouisy, ce sera une hécatombe pour la faune, comme le constateront les Gardes de chasse du secteur. Mais pas question pour Nutréa de détruire les tonnes de céréales contaminées, elles seront livrées aux agriculteurs et contamineront la chaîne alimentaire animale entrainant une sur mortalité dans les élevages et au final bien évidemment des dégâts dans nos assiettes.
Laurent Guillou et Stéphane Rouxel, les salariés les plus directement exposés seront finalement reconnus en accident du travail, mais pas leurs collègues Pascal Brigant et Claude le Guyader qui eux, pourtant également gravement malade, rencontreront les pires difficultés pour faire reconnaître leurs maladies professionnelles. Tous ont développé une hypersensibilité aux produits chimiques multiples (MCS en anglais) et finiront par être licenciés pour inaptitude à leur poste de travail.
En 2014, la veuve de Gwénaël Le Goffic rencontra les mêmes difficultés quand elle demandera que le suicide de son mari au sein de l’entreprise soit reconnu en accident du travail.
Un véritable marathon judiciaire.
S’en suivra pour tous, un long combat judiciaire, devant le Tribunal des Affaires des Sécurité Sociale de Saint Brieuc, la Cour d’Appel de Rennes, les Tribunaux des Prud’hommes de Lorient et de Guingamp, le Tribunal de Grande Instance de St Brieuc pour faire reconnaitre leurs préjudices, dénoncer l’empoisonnement dont ils ont été victimes et obtenir réparation.
Face à eux, ils auront bien sûr l’entreprise Nutréa-Triskalia, mais aussi la Mutualité Sociale Agricole d’Armorique (MSA) cogérée par la Fnsea et la Cfdt, qui contre toute évidence, refusera d’admettre les effets invalidant de leurs maladies en leur proposant des taux d’IPP (incapacité permanente partielle) dérisoires, comme elle refusera de reconnaître par la suite, que le suicide de Gwénaël Le Goffic était bien un accident du travail.
Des soutiens de plus en plus nombreux.
Le seul syndicat présent dans l’entreprise, sur le site de Plouisy refusant de les défendre, ils se sont adressés à l’union syndicale interprofessionnelle Solidaires de Côtes d’Armor qui immédiatement le a mis en relation avec Maître François Lafforgue, l’avocat défenseur des victimes des pesticides mais aussi de l’amiante et du nucléaire.
Devant le refus catégorique de Triskalia de reconnaître la gravité des fait et d’indemniser les victimes l’Union Régionale Solidaires de Bretagne en lien avec le secrétariat national de Solidaires organisait le 23 septembre 2011, une conférence de presse à Paris, en présence d’une trentaine de journalistes pour dénoncer publiquement le scandale.
Les associations Générations Futures, Attac et Solidaires décidaient de créer un comité de soutien qui très rapidement fut rejoint par de nombreuses autres organisations comme Phyto-Victimes, SOS-MCS, mais aussi la Confédération Paysanne, la LDH, Eaux et Rivières de Bretagne, Bretagne Vivante, EELV, l’UDB, Ensemble, le P.G, le NPA, AE2D, Sauvegarde du Trégor et Sauvegarde du Penthièvre. Ce large Comité de soutien s’est encore renforcé depuis quelques mois avec la création de nombreux collectifs citoyens, comme ceux du pays de Rennes, de Redon de Dinan, de La Gacilly, de Questembert, constitués après la diffusion des reportages particulièrement édifiant de la journaliste Inès Léraud sur France Inter et France Culture. Un réseau de solidarité assez remarquable s’est ainsi développé à travers toute la Bretagne.
Depuis sa création le comité de soutien et les collectifs citoyens ont organisé de très nombreuses conférences-débats en présence des victimes et présenté le film « La mort est dans le pré » du réalisateurs Eric Guéret dans plusieurs villes de Bretagne. La presse locale assez réservée au départ de l’affaire ouvre maintenant largement ses colonnes pour couvrir les procès et les actions de soutien aux victimes, relayée également par les médias nationaux. La médiatisation de l’affaire est telle, qu’aujourd’hui les dirigeants de Triskalia se trouvent dans l’obligation de rendre publiquement des comptes. Eux qui au début de l’affaire traitaient par le mépris les salariés qu’ils avaient intoxiqués et leur comité de soutien se présentent maintenant comme étant les victimes d’une action coordonnée de déstabilisation. Plutôt que d’assumer leurs actes, ils cherchent à détourner l’attention pour fuir leurs responsabilités oubliant un peu vite que, même avec un bon plan de communication ils ne pourront pas transformer une multitude de mensonges en vérité.
Premières victoires judiciaires.
C’est le 11 septembre 2014, devant le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de Saint Brieuc que Laurent et Stéphane ont obtenu une première grande victoire, en faisant condamner l’entreprise Nutréa-Triskalia pour faute inexcusable de l’employeur. Aujourd’hui, ils n’attendent plus que le Tribunal évalue les préjudices qu’ils ont subis, comme devra le faire également prochainement le Tribunal des Prud’hommes de Lorient, sur la base du rapport de l’expertise médicale qu’il ont passés le 24 juin dernier.
Pascal Brigant et Claude Le Guyader, ont obtenus eux aussi une première victoire, en obtenant le 1er avril 2015, devant la Cour d’Appel de Rennes l’ordonnance, contre l’avis de la M.S.A, d’une nouvelle expertise médicale, hors de la Région Bretagne, afin de réévaluer leurs taux d’IPP. Cette expertise s’est déroulée à Paris le 11 septembre 2015.
Lors de toutes ces expertises, ordonnées par la justice, Laurent Guillou, Stéphane Rouxel, Claude Le Guyader et Pascal Brigant ont pu bénéficier de l’assistance du Professeur Dominique Belpomme, spécialiste de renommée mondiale des maladies liées aux pesticides.
Autre victoire judiciaire pour les victimes, le 3 juillet 2015 devant le Tribunal de Grande Instance de Saint Brieuc. La doyenne des juges d’instruction du TGI acceptait, contre l’avis du Parquet, la plainte au pénal avec constitution de partie civile et prononçait une ordonnance de consignation, pour blessures involontaires ayant entraîné une ITT supérieure à trois mois, mise en danger d’autrui, abstention volontaire d’empêcher un crime ou un délit contre l’intégrité d’une personne.
Une victoire judiciaire de plus, puisqu’en pays breton il n’est facile de porter plainte contre les patrons des industries agro-alimentaire et encore moins contre Triskalia, qui tous bénéficie d’une sorte d’immunité judiciaire de la part des Parquets.
Après cinq années d’inaction, le parquet de Saint Brieuc décidait le 29 avril 2015 de classer sans suite les plaintes déposées le 25 mai 2010 par Laurent Guillou et Stéphane Rouxel. Classées une première fois par le Parquet de Guingamp le 29 octobre 2010, puis ré-ouvertes le 25 novembre 2010 après l’intervention de l’Union syndicale Solidaires ces plaintes furent ensuite transférées au parquet de Saint Brieuc.
Sans rire le Parquet de Saint Brieuc motivait sa décision ainsi : « les personnes morales soupçonnées ont aujourd’hui disparue, Nutréa ayant été dissoute le 25/09/2011 et Eolys ayant fait l’objet d’une fusion-acquisition le 01/10/2010 ; ainsi leur responsabilité pénale ne peut plus être retenue » et que « d’autre part, le ministère public est amené à constater qu’en l’état, les éléments rapportés de l’enquête préliminaire ne permettent pas de constituer charges suffisantes pour asseoir des poursuites pénales à l’encontre des personnes physiques citées dans le dossier, la découverte d’éventuels éléments probants 5 ans après les faits, au sein d’entités n’ayant plus d’existence légale, devenant fortement aléatoire. ».
En réaction à ce classement honteux Solidaires rappela dans un communiqué de presse que les infractions relevées par la Gendarmerie et l’inspection du travail concernaient : l’utilisation d’insecticides interdits et cancérigènes, de surdosage de produits dangereux jusqu’à sept fois la dose maximum autorisée, d’absence d’équipement de protection adéquat pour les salariés, d’utilisation illégale de personnel intérimaire sans formation à la manipulation de produits dangereux, de non-respect des délais d’attente entre les traitements et les incorporations des céréales traitées lors de la fabrication des aliments pour bétail, de sous-traitance des épandages des pesticides par une entreprise non-agrée, de vente d’aliment pour bétail hautement pollué par des pesticides et donc dangereux à la consommation et, qu’enfin le responsable de l’entreprise Eolys de Plouisy a reconnu les faits sur procès-verbal allant même jusqu’à revendiquer ses actes devant une caméra de l’émission « Envoyé Spécial », témoignage diffusé à une heure de grande écoute sur France 2 le 20 mars 2013. (« Pesticides interdits : Le trafic continue cinq ans après »)
Finalement cette décision du Parquet de Saint Brieuc, était bien l’illustration de la protection dont jouissent de la part des autorités de l’Etat les représentants du lobby agricole productiviste breton, qui savent si bien jongler avec les statuts juridiques de leurs sociétés pour pouvoir polluer en paix et en toute impunité.
Une autre victoire judiciaire. La reconnaissance du suicide de Gwénaël Le Goffic en accident du travail.
Dans un jugement rendu le 3 septembre 2015, le Tribunal des Affaires de sécurité Sociale de Saint Brieuc reconnaissait que la mort de Gwénaël Le Goffic constituait un accident du travail au sens de l’article L 411-1 du Code de la sécurité sociale, désavouant ainsi la Mutuelle Sociale Agricole d’Armorique qui refusait de reconnaître l’évidence.
En effet, Gwénaël Le Goffic chauffeur-livreur d’aliment pour bétail de l’entreprise Nutréa-Triskalia avait mis fin à ses jours sur son lieu de travail. Immédiatement la Direction avait cherché à se dédouaner de toute responsabilité dans cet acte alors même que ce salarié avait déjà été victime d’un accident du travail le 2 janvier 2014 et intoxiqué en chargeant des « Big Bag » d’aliments médicamenteux destinés aux porcelets. Cette intoxication avait provoqué une réaction allergique aiguë, de brûlures au visage et aux yeux, entrainant par la suite une importante dégradation de sa santé et un état permanent de fatigue extrême.
Dans un communiqué en date 27 mars 2014 l’Union syndicale Solidaires rappelait que ce suicide s’était déroulé dans un contexte sanitaire particulièrement inquiétant au sein d’une l’entreprise qui depuis quelques temps accumulait les accidents du travail liés à l’utilisation massive de produits phytosanitaires et qu’à cette date quatre autres salariés, (Laurent Guillou, Stéphane Rouxel, Claude Le Guyader et Pascal Brigant) tous atteints de maladies très invalidantes, l’hyper sensibilité aux produits chimiques multiples (M.C.S) et licenciés, avaient déjà entamé plusieurs procédures judicaires contre Nutréa-Triskalia (Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale (Tass), Tribunal des Prud’hommes, Tribunal de Grande Instance au pénal) Solidaires rappelait également, que de l’aveu même de l’entreprise, près de la moitié des salariés du site de Plouisy faisaient l’objet d’un suivi médical par la MSA.
Ce jugement a bien entendu été un grand soulagement pour Edith Le Goffic, la veuve de Gwénaël et sa famille qui se sont battus avec courage et détermination pour que la vérité éclate et que justice soit rendue. Ce fut aussi un formidable encouragement pour toutes les autres victimes des pesticides qui ont d’autres procédures en cours et qui attendent réparation comme pour tous les citoyens consommateurs qui refusent de fermer les yeux sur ce qu’il faut bien appeler un scandale ou un désastre, social, sanitaire et environnemental.
Pour les phyto-victimes de l’entreprise Nutréa-Triskalia le combat continu. Il seront très prochainement reçu à Bruxelles par le nouveau Commissaire Européen chargé de la santé et de la sécurité alimentaire le lithuanien Vytenis Andriukaitis. Le député Européen José Bové, ancien Porte parole de la Confédération Paysanne qui les soutient activement depuis le début de leur combat s’est occupé du rendez-vous et les accompagnera lors de cette rencontre.
Un compte de solidarité à été ouvert pour aider financièrement les victimes. Vous pouvez adresser vos chèques à « Solidaires 22 – Soutien aux victimes des pesticides » 1 rue Zénaïde Fleuriot 22000 saint Brieuc.