Trois agents administratifs de la Direction Régionale de Rouen obtiennent gain de cause
ARRET DU 24 NOVEMBRE 2015 : « Statuant publiquement par décision contradictoire et en dernier ressort, la Cour d’Appel de Rouen infirme le jugement du Tribunal des Affaires de la Sécurité Sociale de Rouen du 3 juin 2014 ; statuant à nouveau : dit que l’accident dont chaque salariée a été victime le 17 janvier 2011 doit être pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels ;condamne la Caisse de Prévoyance et de Retraite du Personnel de la SNCF à leur payer une somme de 1500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile. »
En Avril 2005, la SNCF a décidé de créer des « Agences Famille » chargées de la gestion des prestations familiales destinées aux cheminots et des titres de circulation attribués aux agents et à leur famille.
Fin 2009, la Responsable de l’Agence de Rouen est remplacée par une Cadre issue du Service Voyageurs. Pas de « mise en double », le travail administratif est à la portée du 1er venu ; la Direction interpelée à ce sujet nous indique qu’elle n’a pas besoin de connaître le travail et qu’elle a été choisie pour ses qualités de Management.
Mais petit à petit, son ignorance et son manque d’intérêt pour notre travail ont commencé à poser de gros problèmes dans l’organisation du travail ; « plus de pilote dans l’avion », ordres, contrordres, décisions en dépit du bon sens sans tenir compte des conseils ou avis des agents prêts à partager leur connaissance du travail et leurs compétences. Sa seule préoccupation : les statistiques ! ! !
La situation se dégrade au fil des mois, engendrant un retard dans le traitement des dossiers, un mal être au travail, des arrêts maladie, des départs, etc.
A partir de Février 2010, une Demande de Concertation Immédiate est déposée et s’en suivent demandes d’audiences, réunions avec l’ensemble du personnel et droit d’alerte du CHSCT le 30 mars. En réponse, la Direction et le CHSCT décident de lancer une enquête « Risques Facteurs Humains » et les conclusions ne font que confirmer ce que l’on savait déjà : problèmes de management et d’organisation du travail.
La Direction décide de retirer fin Novembre 2010 la gestion d’une partie des dossiers et de les répartir sur 3 autres Agences en attendant que la situation revienne à la normale. Le 13 Janvier 2011, la dirigeante réunit le personnel présent pour leur présenter l’ordre du jour du CHSCT extraordinaire concernant l’Agence Famille (suite au droit d’alerte) qui devait se tenir le lendemain 14 Janvier et où devaient être présentées les conclusions des différents groupes de travail. Elle distribue également un « Plan de la proposition de mise en place des personnes de l’agence famille ». Lors de cette réunion, il est bien précisé qu’il s’agit d’un projet, qu’aucune date de mise en place n’est arrêtée, qu’on attend l’avis du CHSCT et que l’on pourra en rediscuter. La direction s’étant engagée à ce que tout soit fait dans la concertation…
Le lundi 17 Janvier 2011, quelle ne fut pas la surprise (le mot est très faible) de constater que durant le week-end, le déménagement avait été fait et les changements de branchements téléphoniques et informatiques réalisés. L’intervention des services techniques un samedi avait été forcément programmée bien en amont. La Direction avait bien roulé les agents dans la farine !
Plusieurs collègues sont tellement choquées qu’elles vont voir le Médecin du Travail qui, voyant leur état, leur délivre un certificat médical d’accident du travail pour « choc psychologique suite à réorganisation du travail ». Quatre agents ont été arrêtés, sous traitement et suivis par un psychiatre.
Concernant les accidents du travail, trois sont déclarés à la Caisse de Prévoyance SNCF et les arrêts de travail envoyés. Mi-avril, refus de la Caisse de prendre en compte ces accidents, motif : « Les circonstances dans lesquelles les faits se sont déroulés s’inscrivent dans un contexte managérial et les faits invoqués ne sont pas de nature à constituer le fait accidentel exigé par la jurisprudence des tribunaux »
Une procédure d’appel est engagée. La Commission Spéciale des Accidents du Travail (CSAT) se tient le 26 janvier 2012 et les recours rejetés. Les trois salariées font appel au Tribunal des Affaires de la Sécurité Sociale (TASS) avec l’aide d’un avocat. Elles sont déboutées le 3 juin 2014.
Enfin, elles sont entendues à la Cour d’Appel de Rouen le 13 octobre 2015.
Statuant publiquement par décision contradictoire et en dernier ressort, la Cour d’Appel de Rouen dira que l’accident dont chaque salariée a été victime le 17 janvier 2011 doit être pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels. Extraits des motifs retenus :
Attendu qu’il résulte de l’article L.411-1 du code de la sécurité sociale que constitue un accident du travail un évènement ou une série d’évènements survenus à des dates certaines par le fait ou à l’occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle, qu’elle que soit la date d’apparition de celle-ci ;
Qu’il appartient au salarié d’apporter la preuve d’un évènement soudain survenu au temps et au lieu du travail dont est résulté une lésion qui peut être psychologique ;
Attendu que dans le procès-verbal de la réunion du CHSCT du 14 janvier 2011 il est mentionné que le réaménagement des locaux est prévu « dans une semaine » ; que dans le procès-verbal de sa réunion du 23 février 2011 le CHSCT indique que le 15 janvier ont eu lieu une modification de la téléphonie du « front-office » et un transfert des affaires de trois agents, que ces derniers ont été surpris, le lundi 17, de ces modifications puisqu’ils n’ont pas été avisés, que quatre agents sont en accident du travail et en arrêt depuis le 18 janvier ; que le comité considère qu’ « il y a eu confusion entre vitesse et précipitation au vu du résumé des évènements » et précise qu’il envisage devant le peu d’amélioration des conditions de travail de solliciter une expertise externe ;
Attendu qu’il ressort de ces éléments que chacun des agents était seulement informé de l’existence d’un projet de réaménagement des bureaux qui devait être soumis à l’avis du CHSCT, sans connaître la date précise à laquelle il devait, le cas échéant, être mis en œuvre, le CHSCT lui- même n’ayant pas été informé lors de sa réunion du 14 janvier que le déménagement de certains bureaux aurait lieu dès le lendemain, pendant le week-end ;
… Qu’il est ainsi établi l’existence d’un syndrome dépressif réactionnel brutal en lien avec la découverte par les salariées du déménagement de leurs effets personnels et professionnels le 17 janvier, peu importe le fait que trois salariées aient engagé la même démarche, alors qu’elles ont été confrontées au même événement soudain et en ont ressenti toutes trois un choc psychologique médicalement constaté.
L’avocat de la CPRP de la SNCF de son côté ne sera que méprisant, rappelant que la réorganisation du travail dont il est question n’était constituée que d’un simple déplacement de bureaux … ; considérant que le fait que les trois salariées aient engagé la même démarche de déclaration d’accident du travail traduisait une action concertée et réfléchie bien éloignée de la notion d’accident du travail … ; il indiquera par ailleurs que les problèmes psychologiques dont les salariées font état sont étrangers à la découverte de la réorganisation des bureaux puisqu’elles invoquaient dans un courrier du 2 avril 2011 le fait d’être victime de harcèlement moral depuis plusieurs mois, le contexte professionnel dégradé s’avérant le réel motif de l’arrêt de travail. Il contestera enfin la partialité alléguée du tribunal des affaires de sécurité sociale qui n’a fait que rappeler le rôle du médecin, qui doit se borner à faire état des lésions constatées et ne pas émettre d’hypothèse sur l’origine des troubles.
C’est une véritable victoire, qui fera jurisprudence, au nom de tou-te-s les salarié-e-s de la SNCF, de ses filiales et des entreprises sous-traitantes, qui ne sont pas plus privilégié-e-s, pas plus protégé-e-s qu’ailleurs.
Guillaume PEPY, le président, a pris « France Telecom » comme modèle notamment en ce qui concerne le management d’accompagnement de toutes ces mutations. Comme tout service public, la SNCF est désormais contrainte à l’obligation de rentabilité. Le démantèlement lié à la séparation par activités, la création de RFF, et l’abandon du Fret, ont bouleversé l’organisation de l’entreprise et les conditions de travail de tous les cheminots. Depuis le vote de la loi ferroviaire du 04 août 2014 c’est aujourd’hui l’harmonisation du cadre social envisagé par les dirigeants de tous poils (groupe ferroviaire SNCF, organisation patronale UTP et gouvernement)
Le contexte économique conduit au management actuel, management qui débouche sur la souffrance des salarié-e-s avec comme conséquence les maladies, les atteintes à la santé physique et psychique et comme conséquence extrême, les suicides au travail.
De plus la loi travail, sur-mesure pour le patronat, le code du travail à la broyeuse et plus d’un siècle de protection sociale collective des droits des salarié-e-s quasiment à néant annoncent des remises en causes fondamentales.
Ainsi une médecine du travail obsolète ? Car la médecine du travail est aussi attaquée via une réforme de l’aptitude. La visite médicale d’embauche serait remplacée par une visite de prévention et la visite obligatoire tous les deux ans sauterait aussi. Ainsi une bonne part des salarié-e-s ne verrait plus de médecin du travail et, surtout, ceux-ci ne pourraient plus faire lien entre le travail et les affections subies de son fait. De plus, le rôle du médecin du travail reviendrait à faire une sélection selon l’aptitude, ou non, du-de la salarié-e à endosser tel ou tel risque…
Pour lire les extraits des motifs retenus dans les attendus, pensez à visiter le site de Sud Rail Normandie : http://www.sudrailnormandie.fr/articles.php?lng=fr&pg=1916&mnuid=1643&tconfig=0