L’idéologie du dialogue social en procès

Par Martin Thibault, enseignant-chercheur en sociologie à l’Université de Limoges. Auteur aux éditions Raisons d’agir des livres Ouvriers malgré tout (2013) et En luttes ! Les possibles d’un syndicalisme de contestation, (avec Sophie Béroud) en 2021.


« Mon avocat ne m’a jamais donné un mauvais conseil, il me les a toujours vendus. » (Jean Yanne)

Nous sommes le mercredi 29 juin 2022. Le tribunal de Paris est en ébullition. Ce soir, le procès des attentats du 13 novembre doit rendre son verdict et occupe – à juste titre – une forte attention. Dans la salle où nous sommes, le procès en appel de France Télécom touche lui aussi à sa fin et la séance du jour voit les avocats de la Défense se succéder à la barre. L’essentiel des plaidoiries porte ce jour sur la défense de plusieurs acteurs clés du procès : mesdames Nathalie Boulanger (ex-directrice des relations territoriales, aujourd’hui directrice d’Orange Start-Up Ecosystem) et Brigitte Dumont (ex-responsable du programme ACT devenue depuis directrice du développement personnel, puis des RH avant de partir à la retraite), condamnées en première instance à 4 mois de prison avec sursis et 5 000 euros d’amende, pour complicité de harcèlement moral. Continuer la lecture de « L’idéologie du dialogue social en procès »

Et en attendant on continue à (se) tuer

Sylvain Leder, Professeur agrégé de Sciences économiques et sociales. Coordonnateur au Monde Diplomatique du Manuel d’économie Critique et auteur de plusieurs articles en particulier sur la relation entre les enseignants et le patronat.


Les deux avocats de la défense se succèdent à la barre et plaident tout simplement la relaxe pour Jacques Moulin, Directeur Territorial chez France Telecom pour la région Est.

Dessin de Claire Robert

En ce mercredi 28 juin la séance sera courte. Courte parce qu’inutile de le dire, de le répéter, de le démontrer : Jacques Moulin est innocent, ou pas plus coupable que les autres. Il ne savait pas, les syndicats n’étaient pas à la hauteur, il n’est pas coupable et pas même responsable. D’ailleurs les avocats insistent : Jacques Moulin n’était aucunement intéressé par une promotion au niveau national, les primes pour atteindre les objectifs de licenciement étaient négligeables.

Bref, pas de mobile, pas de crime.   Continuer la lecture de « Et en attendant on continue à (se) tuer »

Criminels de guerre… sociale

Audience du 24 juin vue par Denis Perais, syndicaliste à SUD Intérieur


Ce 24 juin 2022, c’est l’heure des réquisitions du ministère public incarné pour l’occasion par Yves Micolet et Valérie De Saint-Félix. Plus de sept heures au total, simplement interrompues d’une pause de… vingt minutes.

Il fallait par conséquent être en bonne forme physique et mentale pour affronter cette course d’endurance correspondant à l’équivalent de trois marathons dans la même journée (pour les meilleurs de la spécialité).

Et visiblement Yves Micolet l’était. Lui qui répondra dans un rare moment de légèreté à la présidente qui commençait [un peu] à s’impatienter de la longueur de son réquisitoire : « Je fais 60 kilomètres à vélo toutes les semaines pour me préparer ». Pour le « Tour de France » ? Continuer la lecture de « Criminels de guerre… sociale »

« A-t-on déjà trainé Dieu devant les tribunaux ? »

Audience du 23 juin, vue par Thibault Sartori, metteur en scène et acteur.


L’audience n’a pas encore commencé. J’attends assis au milieu des bancs. Autour de moi, on s’agite un peu, on se prépare. Il y a des avocats qui boutonnent leur robe, d’autres qui vérifient leurs mails et des personnes des parties civiles qui discutent entre elles. Il y a une ambiance qui ressemble à un de ces désordres auquel des étudiants participent volontiers avant que le professeur ou une quelconque figure d’autorité ne fasse son apparition.  Continuer la lecture de « « A-t-on déjà trainé Dieu devant les tribunaux ? » »

Risques Biologiques et Covid : l’État amoindrit la protection des salarié·es

Par une directive du 3 juin 2020 (n° 2020/739), la Commission européenne est venue modifier l’annexe III de la directive 2000/54/CE en inscrivant le SARS-CoV-2 sur la liste des agents biologiques connus pour provoquer des maladies infectieuses chez l’homme dans le groupe de risque n° 3. Le classement de ce nouvel agent biologique dans le groupe 3 implique des mesures strictes d’évaluation des risques, de prévention de la contamination et de suivi médical. Continuer la lecture de « Risques Biologiques et Covid : l’État amoindrit la protection des salarié·es »

De l’importance des avis du médecin du travail

Harcèlement sexuel et propos créant une situation offensante

Le harcèlement sexuel est le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. (Article 222-33 du code pénal). Dans cette affaire le médecin de prévention a déclaré une employée inapte au travail pour une durée d’un mois en raison d’une situation de harcèlement en précisant que la reprise ne pourrait être effective qu’à la condition d’une mobilité d’un des deux agents. L’agente a alors déposé plainte à l’encontre de son collègue pour harcèlement sexuel. Continuer la lecture de « De l’importance des avis du médecin du travail »

Deux jugements intéressants sur la reconnaissance d’accidents imputables au travail

L’agression verbale d’un membre du CHSCT reconnue comme accident du travail

Lors d’une réunion du CHSCT le président s’adresse à un représentant du personnel en lui disant « qu’il emmerdait le fonctionnement du CHSCT ». Très perturbé par ces propos l’intéressé a consulté son médecin qui a diagnostiqué une « anxiété en relation avec le travail » et a demandé à son employeur d’établir une déclaration d’accident du travail. Après enquête la caisse primaire d’assurance maladie a refusé de reconnaitre l’accident comme étant lié au travail. La cour d’appel a suivi la CPAM considérant que les éléments du dossier ne permettent pas d’objectiver un événement soudain caractérisant un fait accidentel : les constatations médicales ne permettent pas de caractériser une lésion d’origine accidentelle ; la lésion constatée par le médecin ne peut procéder d’un événement unique et soudain, mais seulement de la répétition de plusieurs événements ; que son état émotionnel était connu… La cour de cassation en a jugé autrement en s’appuyant sur les faits et la définition de l’accident du travail. Les juges ont estimé que constitue un accident du travail l’apparition de troubles psychologiques présentés par un salarié qui sont la conséquence d’un choc émotionnel provoqué par une agression verbale soudaine sur le lieu de travail. Les juges ont également affirmé que même si la lésion n’apparait qu’au terme d’une évolution due à son origine, cela n’exclut pas son caractère d’accident du travail dès lors que les circonstances qui l’ont produite ont une date certaine.
Cass.civ., 4 avril 2019, n°18-14915
Continuer la lecture de « Deux jugements intéressants sur la reconnaissance d’accidents imputables au travail »