Risques Biologiques et Covid : l’État amoindrit la protection des salarié·es

Par une directive du 3 juin 2020 (n° 2020/739), la Commission européenne est venue modifier l’annexe III de la directive 2000/54/CE en inscrivant le SARS-CoV-2 sur la liste des agents biologiques connus pour provoquer des maladies infectieuses chez l’homme dans le groupe de risque n° 3. Le classement de ce nouvel agent biologique dans le groupe 3 implique des mesures strictes d’évaluation des risques, de prévention de la contamination et de suivi médical.
La commission a considéré que « la flambée de COVID-19, une nouvelle maladie à coronavirus, a touché tous les États membres depuis le début de l’année 2020. Elle est source de perturbations majeures pour tous les secteurs et services et a des effets directs sur la santé et la sécurité de tous les travailleurs dans l’ensemble de l’Union ».
La directive aurait du être transposée dans le droit français avant le 24 novembre 2020 « compte tenu de la gravité de la pandémie mondiale de COVID-19 et du fait que chaque travailleur a droit à un environnement de travail sain, sûr et adapté, conformément au principe 10 du socle européen des droits sociaux ».
Plutôt que de mettre en œuvre rapidement la directive pour assurer un meilleur niveau de protection des travailleur·e·s, le gouvernement français a publié, un après, un décret qui amoindrit considérablement la portée de la directive européenne.

C’est un recul majeur en terme de prévention dans la lutte contre la pandémie

En effet, le décret n° 2021-951 du 16 juillet 2021 remet en cause la protection des salarié·es en instaurant deux réglementations selon la nature de l’activité professionnelle. L’une pour les activités qui exposent les salarié·es à des risques biologiques, l’autre pour les entreprises dont « l’activité habituelle ne relève pas des dispositions du code du travail relatives à la prévention des risques biologiques et qui concernent les salarié·es exposé·es au SARS-CoV-2 du fait de la pandémie ».
Dans le détail, ce décret exonère très largement les employeurs de la mise en œuvre des dispositions obligatoires du code du travail en matière de prévention des risques biologiques.
Alors que le non-respect des mesures de prévention spécifiques sur le risque biologique peut entrainer une amende maximale de 10 000 € par salarié concerné et d’une peine de prison en cas de récidive, le décret ne prévoit qu’une éventuelle contravention sur le document unique d’évaluation des risques dont la sanction maximale est une amende de 1500 € quel que soit le nombre de salariés concernés.
Par ailleurs, ce décret ôte aux agents de l’inspection du travail le pouvoir de saisir le juge des référés en cas de risques sérieux liés à des expositions au SARS-CoV-2.

Action collective en justice

Les organisations syndicales CGT et Solidaires, ainsi que l’association Henri PEZERAT ont décidé de réagir ensemble face à cette nouvelle atteinte aux droits des travailleurs. Les trois organisations ont déposé, un recours en annulation du décret et enjoindre la ministère du travail de transposer la directive de la commission européenne notamment pour son article 3 qui mentionne que le texte s’applique « à toutes les activités dans lesquelles les travailleurs, du fait de leur activité professionnelle, sont exposés ou risquent d’être exposés au virus du SARS-CoV-2 ».
Le recours vise en particulier l’article 2 du décret qui ne prévoit pas :
– de dispositions particulière relative à l’identification et à l’évaluation des risques biologiques au sens de l’article 3 de la directive ;
– une information à fournir aux autorités compétentes en adéquation avec les objectifs fixés aux articles 3, 4 et 7 ;
– une liste des travailleurs exposés pour toutes les activités susceptibles de présenter un risque d’exposition au SARS-CoV-2 en adéquation avec l’article 11 ;
– de dispositions aux fins d’assurer une surveillance médicale adéquate des travailleurs en adéquation avec l’article 14.

L’action a été menée à la fois sur le fond et en référé compte tenu du caractère d’urgence de la transposition de la directive. A l’audience du 13 octobre 2020, les représentants du Ministère du Travail, craignant sans doute une suspension totale du décret, ont indiqué, à la surprise générale, que les chapitres 1, 2 et 3 soit les articles R.4421-1 à R.4423-4 du code du travail continuaient à s’appliquer directement, bien que cela ne soit pas indiqué dans le décret attaqué.
Dans son ordonnance du 27 octobre 2021, le juge a retenu les arguments avancés par les représentants de l’État et n’a pas retenu le caractère d’urgence à agir : « le décret ne saurait avoir ni pour objet ni pour effet de déroger aux dispositions prévues à ces articles qui fixent le cadre de la prévention des risques biologiques et notamment le principe de classification des agents biologiques, précisent la portée du principe de prévention en matière de risques biologiques et imposent la réalisation d’une évaluation des risques en cas d’activité susceptible de présenter un risque d’exposition à des agents biologiques ».
L’affaire suit son cours sur le fond, dans l’attente d’une nouvelle audience au conseil d’État.