Une tentative de suicide hors du lieu de travail reconnue comme accident de service à l’ENS de Lyon

Début 2012, un agent du service sécurité incendie de l’ENS de Lyon fait une tentative de suicide à son domicile. Les militantes de Sud Education qui ont connaissance de cet acte rencontrent la famille et proposent de l’accompagner pour obtenir la reconnaissance en accident du travail imputable au service.

Pendant tout le semestre, un important travail d’enquête est réalisé et accompagné d’un soutien à cet agent et à sa famille. Il s’agit dans un premier temps d’analyses et de comprendre ce qui ne va pas dans le travail et dans le service où travaillait cet agent. Une rencontre de l’équipe syndicale Sud Education avec l’agent et sa famille a lieu dans les locaux de Solidaires Rhône dans le cadre des permanences hebdomadaires sur les questions de santé, pression, souffrance au travail. En interrogeant ce qui a conduit à cette tentative et en remontant aux causes, la responsabilité de L’ENS apparait évidente avec notamment :
– une organisation hiérarchique floue
– une absence de soutien de l’encadrement
– une charge de travail très importante sans moyens suffisants
– de très nombreux dysfonctionnements dans le service.

Elément important, la Direction de l’ENS avait pourtant été alertée par cet agent avec des demandes de changement de poste de coordinateur qu’il avait formulé par écrit 9 mois plus tôt : « je préfère abandonner maintenant avant que mon état psychologique atteigne un point de non retour. » Logiquement, face à de tels propos, la Direction aurait dû réagir et son attitude peut être qualifiée de « non assistance à personne en danger. »

En mars 2012, à l’occasion d’un premier passage en commission de réforme, un rapport d’enquête des élus au CHSCT, reprenant l’ensemble des nombreuses causes liées au travail mises en évidence, est remis à la Direction. Face à de telles preuves, la Direction de l’ENS ne lâche cependant rien et, au contraire, tente de gagner du temps pour empêcher la reconnaissance de cette tentative de suicide en accident de service.

Pour préparer le second passage en commission qui va décider de l’imputabilité de l’accident au travail, l’équipe syndicale ne ménage pas ses efforts et va solliciter des compétences dans les réseaux avec lesquels Solidaires est en contact, notamment du côté de la médecine du travail.

Dans la commission de réforme qui doit statuer pour dire s’il y a ou non accident du travail, il y a 3 parties :
– deux représentants de l’administration qui vont en règle générale contester le lien avec le travail
– deux médecins qui penchent habituellement plutôt naturellement du côté de l’administration
– deux représentant-e-s du personnel qui sont le plus souvent démunis et en difficultés pour contrer les arguments du « corps médical ».

Préparer une commission de réforme avec un médecin peut donc beaucoup apporter. Dans le dossier (que la personne concernée peut consulter), nous savions par exemple que l’expert qui avait reçu l’agent, ne se prononçait pas clairement mais excluait un état dépressif latent. L’échange du côté médical permettait donc d’argumenter et d’en déduire implicitement que la crise suicidaire était liée aux événements survenus dans son travail.

Le 19 juillet la commission de réforme se réunit d’abord sans la présence de l’agent concerné. L’administration prétend que du point de vue du travail tout allait bien. Les médecins, outrepassant complètement leur rôle ont d’abord essayé de voir s’il y avait des problèmes d’ordre familial ou financier. A ce moment là, la représentante du personnel de Sud Education intervient pour indiquer que sa vie privée ne regardait pas la commission, que son rôle était de chercher seulement à établir si il y avait un lien avec le travail : « Lorsqu’un médecin dit qu’il fallait que le lien avec le travail soit unique, je l’ai contredit, il a insisté, j’ai demandé « montrez-moi les textes de loi qui disent cela, car j’ai des textes qui disent le contraire ». L’autre médecin a baragouiné quelque-chose du style « si c’est pour aller dans des conneries comme ça, moi je vais m’en aller » ».

Le collègue concerné est ensuite rentré mais accompagné d’une autre militante de Sud Education. Après un échange sur le dossier, les médecins cherchent de nouveau à rentrer sur la question de la vie privée. Mais l’agent a démontré que tout était lié au travail et source de ses problèmes familiaux.

La décision a été ensuite très rapide et la commission de réforme donne un avis favorable à l’imputation au service de l’accident.

La Direction de l’ENS, qui pouvait ne pas suivre cet avis, a pris acte de cette décision et a donc reconnu l’accident de service.

Aujourd’hui, ce n’est pourtant pas terminé car la pression continue dans ce service comme dans d’autres. Mais cette action a au moins permis de rendre sa dignité à un agent qui était « au bout du rouleau ». Cette victoire est un point d’appui et de légitimité auprès des salarié-es de l’ENS. Le travail du CHSCT et de l’équipe syndicale continue.

Note Bene : Cette action syndicale met en lumière une fois encore les injustices et l’arbitraire de la différence de traitement entre les accidents de service pour les fonctionnaires et les accidents du travail pour les autres salariés. Un rapport de l’IGAS de juin 2012 affirme d’ailleurs que « rien ne justifie le maintien d’un régime de preuve de l’imputabilité pour les fonctionnaires alors que, pour les salariés du privé, tout accident survenu « par le fait ou à l’occasion du travail » est considéré, quelle qu’en soit la cause, comme un accident du travail. L’instauration dans la fonction publique du régime de droit commun de la présomption s’impose donc. » Pour Solidaires il est urgent d’intégrer dans le statut général une définition de l’accident de service et de trajet pour aligner les droits des agents publics sur ceux des salariés du privé en matière de présomption d’imputabilité au travail et de mettre un terme aux dysfonctionnements des comités médicaux et commissions de réforme et réorganiser en profondeur ces instances.