A grand renfort de publicité et en partenariat avec le journal Libération, la CFDT vient de lancer une grande enquête intitulée « Parlons travail ». Il s’agit selon elle ni plus ni moins que de la plus grande enquête interactive jamais réalisée sur le travail avec un objectif d’obtenir jusqu’à 15 millions de réponses, si, si… Nous sommes donc toutes et tous invité-es à répondre à 172 questions en ligne pour donner à voir à la CFDT ce que nous vivons chaque jour au travail qui, nous dit-on, occupe un tiers de nos vies.
La démarche n’est pas nouvelle et déjà de nombreuses équipes syndicales ont eu l’occasion de mettre en place de nombreux questionnaires sur le travail, en ligne ou non. Le questionnaire en santé au travail était jadis le territoire réservé des médecins du travail, ou des chercheurs en quête d’étude épidémiologiques. Depuis plusieurs années, c’est devenu un outil utilisé par les syndicats dans le cadre des instances représentatives du Personnel, et notamment les CHSCT.
Il a d’abord été rendu nécessaire par le déni des employeurs face à tous les témoignages des élus, submergés par des plaintes de travailleurs multiformes émergeant dans tous les secteurs d’activité. Il nous a permis de mesurer et de rendre visible un état des lieux que nous n’imaginions pas toujours.
Mais aujourd’hui est-il encore nécessaire de multiplier les questionnaires en santé au travail, dans la mesure où le constat des causes et des effets de la dégradation de la santé semble général et admis ?
Nous pensons, à Solidaires, qu’il reste important de réaliser ces enquêtes de terrain. Pas tant sur le mode statistique, que sur la pratique d’entretiens et de témoignages. Le préliminaire à toute action collective est la prise de conscience individuelle. Et pour de nombreux travailleurs, c’est encore l’isolement et le silence qui accompagnent la dégradation des conditions de travail. Le questionnaire peut constituer la première étape d’une voie vers le partage communautaire. Les organisations syndicales doivent maîtriser autant que possible la mise en pratique de ces questionnaires. Surtout, elles doivent en assurer une restitution collective, donnant lieu à des échanges avec les salarié‑e-s pour déboucher sur des mobilisations. L’enquête ne doit plus être une fin en soi, une forme de d’agitation médiatique et démagogique. Elle doit être une aide à l’écoute et susciter la parole ouverte vers le collectif de tout ce qui touche au travail.
L’enquête ne doit pas non plus servir de paravent à ceux qui ont contribué par leurs actions à dégrader les conditions de travail des travailleuses et travailleurs. En effet, comment passer sous silence le soutien de la CFDT à plusieurs textes de lois régressifs de ces dernières années :
– les lois Macron et Rebsamen en 2015 avec l’intensification du travail de nuit et du dimanche, les attaques contre les CHSCT, la médecine du travail et l’inspection du travail, trois outils indispensables pour les travailleuses et les travailleurs ;
– la loi travail avec une déréglementation générale du droit du travail et en projet une réécriture complète du code du travail. Cette loi El Khomri, soutenue par la CFDT, c’est, par exemple, des astreintes décidées à la dernière minute, une durée du travail maximale hebdomadaire augmentée, des temps partiels et le travail de nuit moins encadré, des salarié-es fragilisé-es face aux heures supplémentaires, des expertises CHSCT empêchées, des licenciements pour inaptitude facilités.
La CFDT chercherait-elle à mettre en lumière l’ampleur des dégâts qu’elle a contribué à accentuer en laissant l’ensemble réduire les moyens d’actions de l’ensemble des outils de défense des travailleuses et travailleurs ?
Le travail syndical sur lequel nous pensons utile et nécessaire de réfléchir vise à reprendre une posture active, une logique de « contre-pouvoir » pour développer une pratique syndicale la plus proche possible des salariés. Il nous semble que la démarche interprofessionnelle est déterminante pour échanger sur les situations vécues par tous mais qu’elle doit trouver sa source dans un travail syndical au plus près du vécu. Sortir du local syndical et des réunions institutionnelles pour aller dans les services et sur les lieux de travail pas seulement avec les tracts de Solidaires (qu’il faut évidemment diffuser et continuer à écrire…), mais développer une pratique d’écoute. Passer du tract que l’on diffuse à la feuille blanche et au carnet où l’on écrit ce que nous disent les collègues. En échangeant sur les difficultés rencontrées au jour le jour, aux détails qui pourrissent la vie quotidienne au travail, on peut alimenter et développer une action syndicale concrète qui est à notre sens la source du syndicalisme Solidaires et devrait être celle du syndicalisme en général. Le réel plutôt que le virtuel, le rapport de force plutôt que d’être les passeurs de sauce… Sur le travail, il s’agit là aussi de remettre en débat nos pratiques syndicales et de reconstruire avec les travailleurs et travailleuses un syndicalisme de luttes à la fois locales et globales.