La bataille des chiffres et l’omerta de la direction
SUD-Rail interpelle depuis des années la direction nationale pour obtenir un recensement des suicides de cheminot-e-s. Pour la première fois, lors du Comité National HSCT du 26 mai 2011, la direction SNCF a enfin fourni quelques chiffres : depuis 2007 jusque mi-2011, ce sont 40 suicides, dont 14 dans les emprises ferroviaires, qui sont alors officiellement recensés.
Non seulement ces chiffres sous-estimaient la réalité constatée dans les établissement, mais depuis cette date la direction nationale refuse catégoriquement de communiquer le nombre de suicides d’agents hors emprises SNCF dont elle a connaissance, au prétexte que SUD-Rail et d’autres organisations syndicales instrumentaliseraient ces actes dramatiques !
Hormis les 26 cas de suicides recensés hors emprises de 2007 à mi-2011, la direction a donc adopté depuis la loi du silence pour tous les autres suicides de cheminot-e-s qui n’auraient pas lieu dans les emprises, attitude que SUD-Rail dénonce inlassablement. Pour ce qu’il est possible de constater, ces suicides sont en nombre au moins équivalents à ceux constatés dans les emprises.
Toujours selon les statistiques émanant de la direction SNCF, depuis début 2007 et jusqu’à fin novembre 2013, ce sont ainsi au moins 37 cheminot-e-s qui se sont suicidé-e-s sur leur lieu de travail ou dans les emprises ferroviaires.
Fin novembre, un agent SNCF a ainsi été retrouvé pendu dans les locaux du service où il travaillait. Le fait qu’il n’ait été retrouvé qu’après plusieurs jours en dit long sur la déshumanisation de la SNCF. Et depuis le début de l’année 2013, c’est le 8ème suicide d’un-e salarié-e constaté officiellement.
Concernant cette bataille des chiffres, SUD-Rail a donc entamé un travail de recensement précis, région par région, du nombre de suicides constatés sur les 5 dernières années. Des questions ont donc été posées dans chaque comité d’entreprise de la SNCF, qui en compte 27 au total, afin d’avoir une analyse plus fine de la réalité.
Mettre en relief les causes liées au travail et aux restructurations SNCF
Contrairement à la propagande de la direction qui nie quasi systématiquement les liens entre les suicides et le travail, il est établi de façon certaine que ce n’est jamais par hasard que l’on se suicide dans son entreprise et que le travail est alors la cause principale du passage à l’acte même si, on le sait, c’est toujours un faisceau de causes entremêlées qui y conduit. La jurisprudence, dans de telles
occurrences, fait d’ailleurs peser une présomption de responsabilité sur l’employeur.
A ces cas s’ajoutent donc les suicides survenus hors des emprises ferroviaires, au minimum le double, pour lesquels il est permis de présumer que le travail a aussi pu jouer un rôle, même si seules des enquêtes précises et délicates peuvent l’établir. Mais là, le déni de la direction SNCF est devenu systématique depuis 2011 et la conduit à ne plus communiquer aux représentants du personnel les cas qu’elle connaît.
A la SNCF comme dans d’autres entreprises, ce sont les mêmes causes qui produisent les mêmes effets. Ces causes réelles sont désormais bien connues car scientifiquement documentées depuis une quinzaine d’années par les chercheurs et cliniciens de nombreuses disciplines : psychologie et psycho dynamique du travail, ergonomie, sociologie et médecine du travail. Ces causes ne relèvent pas, contrairement aux allégations patronales, de fragilités individuelles ou de difficultés personnelles des salarié-e-s, mais de la violence mise en œuvre sciemment par des méthodes d’organisation du travail et de « management » pathogènes, voire mortifères, appliquées dans les grandes entreprises, publiques comme privées, qui ont connu de tels drames.
Ces méthodes reposent sur l’individualisation, l’isolement et le maintien en situation permanente de précarité subjective de ceux qui travaillent, par la casse des collectifs de travail, la valse compulsive permanente des organigrammes et des implantations géographiques, l’intensification du travail, l’évaluation individuelle quantitative des performances (alors qu’il est scientifiquement impossible de « mesurer le travail » compte tenu de l’investissement subjectif qu’il requiert), les primes individualisées (qui placent les travailleurs en concurrence les uns avec les autres), l’impossibilité de faire un travail correct au nom d’une logique gestionnaire qui ignore les métiers et ne veut que la
« qualité juste nécessaire » pour rester « compétitif », les injonctions paradoxales consistant à exiger le respect des règlements tout en incitant fortement les travailleurs à « se débrouiller » pour atteindre les objectifs de production dans des délais de plus en plus contraints,…
Depuis des années, la fédération SUD-Rail exige en vain de la direction de la SNCF qu’elle mette fin à ces méthodes. Celle-ci répond par des opérations de communication, telles des réunions lénifiantes sur la « qualité de vie au travail » totalement déconnectées du réel du travail et du vécu des cheminot-e-s, ce qui ne fait que renforcer leur mal-être.
La réforme du système ferroviaire engagée par le gouvernement aurait pu être l’occasion de redonner des repères professionnels au personnel en réunifiant vraiment le système ferroviaire public. Ce projet répond en réalité aux injonctions de la très libérale commission de Bruxelles en accélérant l’éclatement de l’entreprise publique et la destruction des collectifs de travail des cheminot-es, provoquant de nouvelles dégradations des conditions de travail de celles et ceux qui travaillent 7 jours sur 7 et 24h sur 24 pour assurer les missions de service public SNCF. Avec son projet d’entreprise appelé « excellence 2020 », la direction SNCF rogne les fonctions transverses, allège les procédures, renforce l’autonomie des activités, formatant l’entreprise publique à une « contre-réforme » alors que le débat démocratique n’a pas eu lieu. Ce nouveau train de restructurations s’appuie sur une violence managériale terrible.
Pour la Fédération SUD-Rail, il est urgent de mettre un coup d’arrêt aux pratiques managériales de la direction de la SNCF. Dans le cadre du débat sur la réforme ferroviaire imposée par les technocrates, il est nécessaire de redonner aux cheminot-e-s de l’espoir et des références claires en leur assurant, à tous égards, les moyens d’accomplir un travail de qualité en toute sécurité.
La campagne fédérale SUD-Rail pour lutter contre la souffrance au travail
Courant 2013, et bien que les autres organisations syndicales ne s’emparent pas de ce sujet, le SUD-Rail a mis en place une campagne fédérale « suicides de cheminot-e-s : ne laissons pas faire !» pour partager les expériences syndicales (nous avons également invité les camarades de SUD-PTT pour travailler ensemble) et permettre une prise en charge collective et nationale. Ont ainsi été actés :
– le déclenchement systématique d’un CHSCT extraordinaire et d’une enquête en cas de suicide,
– la rédaction systématique d’un communiqué de presse de la fédération en lien avec le syndicat concerné, accompagné d’un courrier au Président de la SNCF et aux Ministres des Transports, du Travail et de la Santé,
– les formations « Souffrance au travail » proposées par SUD-Rail et par Solidaires, afin d’outiller nos équipes militantes,
Dans le but de créer un véritable rapport de force et de renverser le curseur, nous voulons mettre en oeuvre le principe d’une prise en charge offensive de toutes les équipes militantes SUD-Rail sur le sujet des suicides et de la souffrance au travail.