Il y a un certain paradoxe à voir le gouvernement aller chercher la figure tutélaire de Badinter, héros dans l’imaginaire collectif de la suppression de la peine de mort en France, pour cette fois assurer le rôle du bourreau du code du travail, outil protecteur des travailleuses et travailleurs. Ce paradoxe est d’autant plus grand qu’à aucun moment de sa longue carrière politique et judiciaire celui-ci ne s’est intéressé au droit social, sauf, peut-être, dans ses discussions avec sa compagne, présidente du conseil de surveillance de Publicis qui en 2012 trouvait tout à fait normal d’accorder un bonus de 16 millions d’Euros à son PDG d’alors.
Le court ouvrage qu’il avait commis avec Antoine Lyon-Caen en juin 2015, «Le travail et la loi» qui s’inscrivait dans la campagne de communication du gouvernement avec les rapports Combrexelle, Terra Nova et Cie, était déjà plus qu’inquiétant d’abord en faisant ouvertement le lien entre une soi-disant complexité du droit du travail et la situation de l’emploi en France, ensuite par la proposition de réduction du code à une portion plus que congrue. Le rapport remis au gouvernement ne fait guère mieux et doit être largement vainqueur au concours du rapport le plus court jamais remis par des juristes.
Ce rapport est censé intégrer les principes essentiels, il est donc sans aucun doute significatif de remarquer tous les principes non cités et donc considérés comme secondaires…qui pourront donc être négociés…Une première liste non exhaustive permet de constater l’absence dans ce rapport :
- Des aspects collectifs du travail et les institutions représentatives du personnel (DP, CHSCT, CE),
- Du travail illégal et l’obligation de déclarer un salarié,
- Des différents risques liés au travail (amiante, risque chimique, risque biologique),
- De la mensualisation,
- De la médecine du travail,
- Des prud’hommes,
- De l’indépendance de l’inspection du travail,
- De l’âge plancher pour le travail des enfants
- Etc, etc, la liste est loin d’être exhaustive…
Sur la santé au travail
Si le livre «le travail et la loi» avait écarté les questions de santé au travail, malheureusement le rapport Badinter veut à son tour simplifier le code du travail sur ce sujet central pour la vie des travailleuses et travailleurs. C’est plus qu’inquiétant, c’est dramatique, c’est criminel. Ainsi c’est en 5 petits articles que le droit à la santé de celles et ceux qui sont exploités dans un rapport de subordination est traité, ou maltraité. Cinq articles, issus d’un travail dit à droit constant, sont ainsi censés concentrer ce que nous avons su et pu garder de plus d’un siècle de luttes collectives. Cinq articles sont censés tenir lieu de contre-pouvoir, faire barrage aux poisons industriels et à l’intensification du travail, et empêcher la mort annuelle en France de centaines de travailleuses et travailleurs à la suite d’accidents de travail, d’accidents de trajet, de maladies professionnelles, ou de conditions de travail délétères sans que le caractère professionnel des atteintes n’ait été reconnu.
Seulement cinq articles, 39 à 43. C’est peu.
L’article 39 du rapport Badinter indique : « L’employeur doit assurer la sécurité et protéger la santé des salariés dans tous les domaines liés au travail. Il prend les mesures nécessaires pour prévenir les risques, informer et former les salariés. » Cet article reprend, en le tronquant l’article L.4121-1 de l’actuel code du travail : la santé mentale, enfin intégrée dans le code en 2002, est de nouveau rendue invisible. Soulignons aussi l’absence des principes généraux de prévention qui forment les fondements à partir desquels l’employeur doit mettre en œuvre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Pire, la mesure fondamentale et générale de prévention, la nécessité d’adapter le travail à l’homme, et non l’inverse n’y est pas. C’est pourtant un principe essentiel. Comme celui construit par la jurisprudence de l’obligation de sécurité de résultats qui n’est repris en aucune sorte et risque même d’être écarté.
Face à cela agir !
Annie Thébaud-Mony, qui nous appelait à lutter en 2016 « pour que l’impunité des responsables de violence meurtrière au travail soit enfin brisée », en rappelant notamment ceci : « Chaque jour de l’année 2015, en France, en moyenne, deux travailleurs – le plus souvent des jeunes – ont été tués dans des accidents de travail ; chaque jour encore, huit à dix personnes sont décédées des suites d’une maladie liée à l’amiante ; chaque jour aussi, en acte ultime de résistance face au mépris patronal et/ou bureaucratique, plusieurs suicides liés au travail ont été accomplis par des travailleurs tant du secteur privé que de la fonction publique ou de l’agriculture. Enfin, selon une enquête officielle du ministère du Travail, plusieurs millions de travailleurs sont toujours, dans leur travail, exposés quotidiennement, sans protection, à des cocktails de cancérogènes. Les ouvriers, jeunes, sont les plus concernés. » (extrait du texte d’Annie Thébaud-Mony, du 31/12/ 2015, publié sur le site de l’association Henri Pézerat).
Une confirmation, s’il en fallait, que la santé au travail est aujourd’hui une question centrale de luttes et de la nécessité d’investir nombreuses et nombreux les États généraux de la santé au travail dont nous parlons un peu plus loin.
Nous dédions ce numéro à notre camarade Brigitte Bioton de Sud Éducation dont le sourire, l’énergie et la combativité continueront à inspirer bien des luttes.