Pendant le procès exceptionnel de France Télécom et de ses anciens dirigeants, Basta! et la petite Boîte A Outils de l’union syndicale Solidaires vous proposent un suivi régulier des audiences avec les comptes-rendus jour après jour de nombreuses personnalités, scientifiques, écrivains, artistes pour en écrire une histoire collective… Basta! avec Radio Parleur se sont réunies pour plonger au cœur de cette affaire pour une seconde émission spéciale, mercredi 26 juin, d’une série de trois émissions que nous relayons.
Nous publions aussi la seconde chronique réalisée à cette occasion par Prisca Da Costa, journaliste de Radio Parleur qui suit les audiences.
La première fois que je suis allée dans un tribunal, j’étais très surprise de l’atmosphère. Il y avait à la fois quelque chose d’impressionnant, presque grisant mais aussi profondément terrifiant. Et puis, j’avais comme l’impression d’être au théâtre, où chacun joue son rôle. Cette impression ne m’a jamais vraiment quittée : la salle d’audience se présente comme un théâtre où chacun est à sa place et suit son script face au public.
Lorsqu’on arrive avant le début d’une audience pour le procès France Télécom, on peut voir les avocats de la défense et des parties civiles rire et discuter ensemble. Les avocats des parties civiles qui discutent avec les prévenus, racontent qu’ils se sont justement croisés au théâtre il n’y a pas longtemps. Puis la sonnerie retentit dans la salle, remplaçant les trois coups du théâtre, la présidente entre avec ses deux assesseurs, la salle s’assoit et la pièce commence. Les visages des avocats, d’un côté et de l’autre de la salle, ont changé. Ils se sont fermés. Leur regard se fait plus sérieux. Fini les rires, ils sont remplacés par des réflexions passives-agressives lancées par un avocat à un autre. Les cris s’élèvent, la présidente doit parfois les rappeler à l’ordre. Alors leur jeu est très crédible, on pourrait croire que ces avocats se détestent profondément et qu’ils en seraient presque prêts à en venir aux mains pour défendre leurs arguments.
Il y a maintenant 30 jours d’audience qui sont passés. Chacun a développé des automatismes, nos jambes nous portent naturellement jusqu’à la salle 2.01. Les policiers qui surveillent la salle d’audience ont retenu les visages des habitués et nous laissent nous asseoir sans trop rien nous demander. (Eux-mêmes sont parfois déjà assis dans le fond de la salle). Certains jours sont plus durs que d’autres, que ce soit en termes d’émotion ou en termes de fatigue. Les bancs de la presse sont tantôt remplis, tantôt vides. On attend chaque jour l’entracte –enfin la suspension d’audience- pour souffler pendant quelques minutes -et se rafraichir en ces jours de canicule. L’huissier s’épuise de jour en jour, le teint pâle de fatigue comme celui d’un vampire, avec sa longue robe en guise de cape lorsqu’il parcourt la salle d’audience. Il en vient à rêver un instant d’un incident d’audience, qui pourrait lui permettre de quitter la salle un peu plus tôt et se reposer enfin.
C’est que cette pièce est longue et complexe, à en rendre jaloux certains dramaturges. Le temps est long, les semaines passent. Mais au final, ce n’est rien face au temps d’attente des parties civiles. Beaucoup le disent en arrivant à la barre : « ça fait plus de 10 ans que j’attends ce moment ». 10 ans pour voir les anciens dirigeants d’une entreprise du CAC40 sur les strapontins des prévenus et devant répondre à la barre de leurs actes. 10 ans pour que soit reconnue la souffrance éprouvée par les 167 parties civiles, les familles et toutes les autres personnes encore qui ne souhaitent pas venir au procès ou qui le suivent à distance.
La pièce touche bientôt à sa fin. Le dernier acte des plaidoiries est très attendu la semaine prochaine. Deux autres salles d’audience seront d’ailleurs peut-être réquisitionnées pour rediffuser les audiences en visioconférence. Quant aux avocats, ils espèrent des micros mobiles pour accompagner leurs plaidoiries par des mouvements dans la salle. Et le dénouement final sera lui seulement dans plusieurs mois, lorsque le tribunal rendra son jugement.
Émission spéciale Procès France Telecom : la privatisation est-elle coupable ? (durée 1h 30 min)
Première partie
- Jean-Paul Teissonière, avocat de la fédération SUD PTT au procès France Telecom
- Hélène Adam, ancienne élue du Conseil d’Administration de France Télécom
Deuxième partie
- Nicolas, aide soignant aux urgences depuis 12 ans et membre du collectif Inter-Urgences
- Eric Bezou, cheminot de Mantes-la-jolie, syndicaliste Sud Rail, menacé de licenciement
- Odile Henry, professeure de sociologie en département de sciences politiques à Paris 8
Dessins de Claire Robert.