Dans une décision du 11 février 2020, le tribunal administratif de La Réunion a reconnu la capacité juridique du CHSCT à contester la décision de l’administration de refus de faire appel à un expert agréé et considéré que les motifs invoqués constituent un motif étranger aux dispositions de l’article 55 du décret du 28 mai 1982.
La décision étant susceptible d’appel l’affaire ne va sans doute pas s’arrêter là, mais pour Solidaires Finances Publiques c’est une première victoire qu’il faut saluer d’autant que nous sommes déterminés à aller au bout de la procédure si nécessaire, c’est-à-dire jusqu’au Conseil d’État.
Ces quelques lignes introductives peuvent sembler surréalistes aux équipes syndicales du privé tant le droit des CHSCT devenus depuis des CSE (comité social économique) est très éloigné de celui des CHSCT de la fonction publique d’État et de la Territoriale. Du côté du privé le recours à l’expert est un droit si les conditions le prévoyant sont réunies conformément à l’article L. 4614-2 du Code du travail (en cas de projet important ou de risque grave) l’employeur pouvant contester l’objet de l’expertise, le choix de l’expert, son coût… devant le tribunal judiciaire. Dans la fonction publique d’État, il en va tout autrement : le CHSCT peut demander à son président de faire appel à un expert agréé (article 55 du décret 82-453 du 28 mai 1982), en cas de refus celui-ci doit être « substantiellement « motivé (mais il n’est pas dit sur quoi, sur quel fondement) et si le désaccord persiste la procédure prévue à l’article 5-5 du même décret peut être mise en œuvre c’est-à-dire recours à l’inspecteur santé et sécurité au travail puis à l’inspection du travail. Cette brève description montre à quel point le droit au recours à l’expertise agréée est complexe, nécessite un temps long et où l’administration est juge et partie. Ceci explique vraisemblablement que peu d’expertises aboutissent.
Retour sur les faits
Le CHSCT du ministère de l’Économie et des Finances de La Réunion a voté le 4 juillet 2016 le recours à un expert agréé pour évaluer les conséquences du projet de réorganisation du centre des finances publiques de Saint-Pierre. Dans leur résolution les membres du CHSCT précisaient les grandes lignes des objectifs confiés à l’expert : analyser l’impact du projet de restructuration du site de Saint-Pierre, apprécier et objectiver les effets du projet sur la santé, la sécurité et les conditions de travail des agent·es, proposer au CHSCT des pistes d’actions et des recommandations pour identifier et analyser les risques ainsi que les mesures à prendre pour améliorer les conditions de travail. Lors de cette séance, les membres du CHSCT n’avaient donc pas rendu d’avis.
Dans son courrier du 12 juillet 2016 refusant de donner une suite favorable au vote du CHSCT, la direction fait valoir que ce dernier disposait de toute l’information nécessaire pour apprécier l’impact du projet sur les conditions de travail des agent·es, rappelle que des études et avis techniques avaient été requis en amont du projet, que la procédure de consultation du CHSCT avait été respectée, que les agent·es comme les élu·es avaient été préalablement consulté·es.
Jugeant le contenu de la réponse inapproprié à la demande d’expertise les camarades vont poursuivre leur démarche et aller au bout de ce que prévoient les textes à savoir saisir l’inspection santé et sécurité au travail, puis l’inspection du travail.
L’inspectrice du travail relève dans son rapport une contradiction. La contestation d’une expertise ne peut porter que sur le point de savoir si le projet litigieux est ou non un projet important modifiant les conditions de travail. Or la direction elle-même avait considéré ce projet important dans ses documents et l’avait soumis pour avais au CHSCT.
Elle rappelle également que selon la jurisprudence le fait que l’employeur ait mandaté ses propres experts, réalisé ses propres analyses n’a pas d’incidence sur la nécessité de recours à l’expert par le CHSCT. Sa conclusion au vu des éléments communiqués était qu’un expert pourrait éclairer les représentant·es du personnel au CHSCT en analysant l’impact du projet sur les conditions de travail.
En réponse à cette recommandation, le directeur régional maintient sa position : « les documents transmis et les informations fournies sont de nature (…) à fournir au CHSCT l’ensemble des éléments utiles pour rendre un avis au regard de la nature et de l’importance des projets soumis ».
L’inspection du travail a donc ensuite transmis au ministre de l’Économie et des finances un rapport récapitulant les faits et circonstances, mais ce dernier n’a jamais produit de réponse alors qu’il avait un mois pour le faire.
Face à ces refus et blocages, les représentants de Solidaires Finances publiques ont décidé d’engager une procédure devant le tribunal administratif pour demander l’annulation de la décision de la direction refusant de faire droit à leur demande de désignation d’un expert agréé. La requête a été engagée par les 4 représentant·es de Solidaires au CHSCT, le CHSCT lui-même et le syndicat national Solidaires Finances publiques. Il est important de souligner que c’est volontairement que nous avons décidé de faire agir le CHSCT alors que dans la fonction publique d’État et Territoriale la personnalité juridique n’est pas reconnue aux CHSCT contrairement à ceux du secteur privé (devenus depuis des CSE) et de la fonction publique hospitalière, car pour nous il y a là une véritable injustice et une inégalité de traitement.
Le mémoire en défense du ministère de l’Économie conforte comme il se doit les positions de la direction locale et conclut à l’irrecevabilité de la demande tant du côté des requérants que sur le fond : la réponse de la direction était bien substantiellement motivée puisqu’elle mentionne que le CHSCT dispose « de tous les éléments d’appréciation nécessaire pour émettre un avis sur le projet présenté ». Le ministère a même déclaré qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur la requête puisque le projet était devenu opérationnel par arrêté du 9 décembre.
La décision du TA est intéressante à plus d’un titre :
– les membres du CHSCT étaient légitimes à présenter une requête ;
– le CHSCT a la capacité juridique pour contester la décision de refus de l’administration ;
– la décision de l’administration portait atteinte aux prérogatives du CHSCT et notamment à celle de contribuer à la protection de la santé et de la sécurité des salarié·es ainsi qu’à l’amélioration de leurs conditions de travail ;
– et enfin affirmer que le CHSCT disposait de tous les éléments pour émettre un avis constitue un motif étranger aux dispositions de l’article 55 du décret.
Les enseignements à en tirer
Certes l’annulation de la décision de l’administration ne va pas la contraindre à revenir sur son projet qui a vu le jour, mais ce jugement représente une étape importante pour les CHSCT de la Fonction publique d’État sur 2 points : d’une part elle reconnait au CHSCT la capacité d’agir en justice et c’est une première et de l’autre elle affirme que l’administration doit motiver son refus sur la demande précise du CHSCT.
Le jugement rappelle très justement que si l’administration n’est pas tenue de faire droit à une demande d’expertise, elle ne saurait la refuser en se fondant sur des considérations étrangères aux textes et sans examiner au fond la demande en s’assurant que le projet est ou non important modifiant les conditions de travail. En agissant ainsi, l’administration a commis une erreur de droit.
Pour notre syndicat c’est une première victoire (l’administration fera sans doute appel), car en partant de l’action et du travail des camarades du CHSCT de Solidaires Finances Publiques de la Réunion nous avons su et pu démontrer avec l’appui d’un avocat que l’administration ne respectait pas les textes sur l’expertise.
La nouvelle instance le CSA qui résultera de la fusion du CT et du CHSCT ne sera pas dotée de la personnalité juridique et n’aura toujours pas un véritable droit à l’expertise. C’est dire combien nous devons poursuivre l’action syndicale y compris par la voie juridique.