Mettre des mots sur des maux

Septembre 2009 : à la FNAC de Lyon Bellecour, comme dans toutes les autres FNAC, les réorganisations se succédent, les consignes changent en permanence, les moyens humains manquent. Tous les métiers sont touchés, les libraires sont au bout du rouleau.

Quelques jours avant une réunion d’équipe, à l’initiative d’une militante de SUD, ils décident d’écrire ensemble une lettre dont nous reproduisons ici les extraits principaux :
« Depuis 2 ans,(…) nous nous sommes adaptés au nouveau système commande client, tellement lent et moins pratique que le précédent. Nous avons, comme vous le souhaitiez à l’époque évité de parler de la livraison pour que les clients reviennent en magasin, nous nous mordions les lèvres pour ne pas leur dire qu’il était plus rentable pour eux de commander sur le net puisque c’était moins cher et que la livraison était gratuite. Depuis la politique sur le sujet a pris un virage à 180 degrés. Nous avons encore suivi, pris sur nous, et proposons désormais avec le même allant la livraison.(…)
Nous nous sommes impliqués dans les différentes opérations nationales. Nous ne comptons plus le temps pris en dehors de notre temps de travail pour rester au niveau, continuer à connaître notre fonds, rédiger des coups de cœur sincères qui font notre crédibilité et génèrent du chiffre d’affaire. Nous avons encore pris sur nous quand la Fnac notamment par le guide littérature étrangère, dont le contenu est en dessous de tout, sapait notre savoir et notre métier, nous mettant mal face aux clients.(…)
Tout cela nous l’avons fait mais aujourd’hui la coupe est pleine.
Nos corps sont fatigués. Vous avez supprimé l’accueil Librairie, toute la charge de travail (accueil, tri, téléphone, collectivité) les kilomètres qu’il nous faut parcourir pour retirer les commandes, alors même que les collègues sont moins nombreux (…)
Nos esprits sont usés. Il nous faut accepter des injonctions divergentes. Mettre le client au cœur de nos priorités alors que les décisions de l’entreprise vont à l’inverse de cette préoccupation. La disparition de l’accueil librairie en témoigne puisque lors d’un retrait nous nous absentons de notre rayon (avec un phénomène de dominos qui s’amplifie au heures des repas), nous renseignons sur des domaines qui ne sont pas les nôtres avec bonne volonté mais sans les compétences qu’il faudrait, essayant de chasser le stress de savoir qu’à notre retour les clients de notre rayon seront impatients et râleurs. Nous sommes psychiquement épuisés par la défectuosité des outils informatiques. (…) Chaque commande qui devrait satisfaire le client ; nous la faisons la boule au ventre espérant que le système fonctionne, qu’il ne plante pas. (…)
Nous nous sentons dépossédés jour après jour de notre métier, de notre professionnalisme, de notre individualité.(…) »

Cette lettre a ensuite été envoyée aux libraires des autres FNAC. Après cette initiative, d’autres libraires écrivent dans un contexte où leur encadrement voulait faire croire qu’ils avaient des difficultés locales. Par exemple ceux de Grenoble écrivent :
« La lecture de la lettre des libraires de Bellecour nous a bouleversés ; tout à coup, nous prenions connaissance du quotidien des autres librairies, tout à coup des mots étaient mis sur des maux et enfin nous n’étions plus seuls, contrairement à ce qu’on nous faisait croire. La lettre de Bellecour a verbalisé notre usure, celle de Rennes l’a confirmée. »

Quelques réflexions autour de cette initiative :

L’action est partie du terrain, d’un travail d’écoute puis d’ellaboration collective sur la situation vécue quotidiennement. Les mots sont forts (nos corps sont fatigués, nos esprits sont usés) et confirment le lien étroit entre le physique et le mental.
Les lettres concrétisent une critique radicale de la politique de la FNAC à partir du concret et du vécu des salariés. Les consommateurs (les clients) comprennent aussi ce dont il est question.
Les virages à 180° des politiques commerciales, les discours client en contradiction avec les décisions de l’entreprise, la dépossession du métier pèsent lourdement sur les salariés.
Cette initiative a suscité d’autres initiatives du même type sur les autres magasins en faisant boule de neige. Pourquoi pas partout susciter la parole et l’écriture des salariés ?
Les équipes syndicales SUD FNAC poursuivent l’action : expertises, actions dans les instances. Dernière initiative : La Fnac est assignée en justice par les CHSCT de 11 magasins de province et par SUD, CGT, UNSA et CGC qui exigent l’annulation de son plan de réorganisation 2015.