Le recours à l’expertise est justifié :
– en cas d’absorption d’un établissement par un autre entraînant des conséquences sur les conditions de travail.
Dans cette affaire le CHSCT avait voté une expertise pour analyser le projet de réorganisation de la société, considérant qu’il s’agissait d’un projet important modifiant les conditions de travail, les conditions de santé et de sécurité au travail du personnel.La suppression d’un établissement conduisait à transférer des agences dans un autre établissement avec regroupement d’antennes. De ce fait l’établissement accueillait un plus grand nombre de personnels dont le périmètre de déplacements était accru en raison d’une plus grande surface géographique de l’établissement. En outre un nouveau régime des astreintes était défini, un nouveau logiciel des demandes de congés était mis en place et enfin la répartition des institutions représentatives était modifiée.
Les conclusions de la cour d’appel sont intéressantes : « Ainsi, le projet de la société, qui tend à minorer l’impact de la réorganisation, a pour objet une véritable restructuration de l’entreprise pour répondre à la concurrence et n’a pas pour but une simple simplification administrative. Dès lors, le projet s’inscrit dans une mobilisation du personnel sur des zones géographiquement plus étendues ce qui est certainement économiquement défendable mais aura nécessairement un impact sur les conditions de travail des salariés. Dans ces conditions la décision du CHSCT de recourir à une mesure d’expertise est justifiée… »
La cour de cassation en a jugé de même en considérant que la restructuration envisagée par la société « ne constituait pas une simple mesure administrative mais emportait des conséquences sur les conditions de travail du fait d’un périmètre accru des déplacements en relation avec la plus grande surface géographique de l’établissement, d’un nouveau régime des astreintes et d’une modification du rattachement hiérarchique organisationnel et des processus RH par automatisation … ».
Cass.soc., 21 juin 2016, n°14-29745.
-en cas d’accident mortel inexpliqué.
A la suite de l’accident mortel d’un salarié qui travaillait le long des voies de chemin de fer le CHSCT décidait d’une expertise « afin de faire toute la lumière sur ce drame, et en tant que préventeurs de CHSCT tout mettre en œuvre afin d’éviter que cela ne se reproduise. Cette étude portera sur la recherche des causes multiples qui ont conduit à cet accident mortel, et dans le but de dégager de réelles propositions d’amélioration du niveau de sécurité des personnels. Une attention particulière devra être portée à l’analyse des conditions de travail des agents et des difficultés qu’ils rencontrent dans la réalisation de leurs missions ».
L’employeur a contesté le recours à un expert, estimant que l’accident mortel survenu ne révèle pas à lui seul l’existence d’un risque grave, identifié et actuel, qu’il pouvait s’agir d’un accident suicidaire (ce que n’écartait pas le CHSCT) et que le danger encouru par les salariés travaillant le long des voies ferrées est général et permanent.
La cour d’appel a donné raison au CHSCT en s’appuyant sur les motifs suivants :
– le fait que l’accident est inexpliqué (l’enquête de la gendarmerie n’a pas établi s’il s’agissait d’un accident ou d’un suicide) et « des différents éléments en discussion entre les parties, le recours à une expertise est utile pour éclairer pleinement le CHSCT sur les conditions dans lesquelles cet accident grave est intervenu et le cas échéant, sur les mesures propres à prévenir la réitération du risque » ;
– « que l’expertise sollicitée par le comité n’a pas pour objet de rechercher les responsabilités dans la survenance de cet accident mais de procurer à cet organisme une information indépendante de l’employeur sur les conditions dans lesquelles l’accident a pu intervenir, comme pour l’informer pleinement sur le risque de son renouvellement et les moyens de le prévenir »
Cette analyse a été partagée par la cour de cassation.
Cass.soc., 21 juin 2016, n° 15-12809
Mais il ne l’est pas en l’absence de risque avéré pour les salariés
– Dans cette affaire les membres du CHSCT ont voté le recours à une expertise motivée par la réorganisation du management et la mise en place de deux outils, l’évolution du logiciel des conseillers clients et la « modernisation de la solution téléphonie » dans deux centres. Le CHST a estimé que la non prise en compte par la direction des dysfonctionnements est à l’origine d’un risque grave pour la santé des salarié-es
Les éléments mis en avant par le CHSCT :
– les déclarations répétées des syndicats visant à dénoncer la dégradation des conditions de travail,
– les courriers électroniques de salariés,
– l’existence d’un fort absentéisme,
– un droit d’alerte retiré après les décisions prises par l’employeur.
Pour le CHSCT il y avait un faisceau d’indices de l’existence d’un risque grave.
La cour d’appel comme la cour de cassation en ont jugé autrement en faisant remarquer : « l’absence d’incident précis, le caractère stable de l’absentéisme sans rapport avec une situation de travail commune à l’ensemble des salariés, le caractère isolé des troubles de santé de deux salariés, ainsi que la prise en charge spécifique des difficultés rencontrées par un troisième en situation de handicap, l’objectif seulement salarial d’un mouvement de grève de deux jours et enfin l’inexistence d’éléments objectifs susceptibles de caractériser un risque avéré présent, actuel et identifié … »
Ce n’est pas la première affaire jugée dans ce sens, la jurisprudence en la matière est constante le risque doit être présent réel, justifié par des éléments précis.
Cass.soc., 12 juillet 2016, n° 15-16337