Dans cette affaire, une salariée avait dénoncé auprès de son employeur un climat de travail très dégradé et ouvertement sexiste. L’employeur n’ayant pas agi pour mettre un terme aux propos à connotation sexuelle et tout particulièrement dégradants à l’égard des femmes, la salariée n’a pas supporté ce contexte de travail qui a eu des conséquences importantes sur son état de santé. Licenciée pour inaptitude après plusieurs arrêts de travail successifs, l’intéressée a engagé une procédure devant le juge des prud’hommes pour obtenir la résiliation de son contrat du travail pour manquement grave de son employeur à ses obligations contractuelles. L’employeur a fait appel de la décision du conseil des prud’hommes, estimant qu’il avait tenu compte des alertes de la salariée et qu’aucun fait de harcèlement moral et sexuel ne pouvait être démontré.
Il faut également noter que la salariée avait dénoncé cette situation de travail auprès du CHSCT qui avait voté une expertise pour identifier et caractériser les souffrances individuelles et collectives, rechercher et analyser les causes et l’aider à faire des propositions en matière de prévention. La direction avait demandé l’annulation de la délibération du CHSCT, au motif qu’il n’existait pas de risque grave avéré. Selon la direction, le rapport réalisé ne confirmait pas l’existence d’un risque grave pour la santé des salarié·es. Cependant, le rapport avait relevé plusieurs situations d’épuisement professionnel, une violence des rapports sociaux…
Enfin, l’AVFT (Association Européenne de violences faites aux femmes au travail) avait saisi le Défenseur des droits d’une réclamation relative à des faits de harcèlement sexuel. Après avoir réalisé son enquête, il a remis ses conclusions à la Cour d’appel d’Orléans qui les a très largement reprises. La lecture de l’avis (2016-212) du défenseur des droits est intéressante à plus d’un titre.
La direction a mené une enquête loin d’être objective
Dans le même temps où se déroulait l’expertise, le président du CHSCT mettait en place une commission d’enquête – comprenant lui-même, des membres de la hiérarchie, le médecin du travail ainsi qu’une salariée – qui a conclu à l’absence de harcèlement sexuel dans l’entreprise. Si les faits ne sont pas contestés (propos grivois, expressions salaces…), en revanche l’enquête estime qu’il ne s’agit là que d’ « écarts de langage » de personnes « entretenant une ambiance potache mais courante ». Mais le Défenseur des droits en fait une tout autre analyse : « la blague ou l’humour potache, définis comme portant peu à conséquence et n’offensant pas autrui, doit toujours s’analyser au regard de la perception et du ressenti provoqués de celui ou celle qui les reçoit ». La cour d’appel partage cet avis et estime que les conclusions de l’enquête doivent être écartées au motif que celle-ci n’était ni objective, ni impartiale (personnalisation du conflit, mise en cause publiquement de la personnalité et la vie privée de la salariée).
Un rappel utile de la définition du harcèlement sexuel
Dans son avis, le défenseur des droits rappelle que le harcèlement sexuel est désormais appréhendé de manière beaucoup plus large puisqu’il ne se définit plus uniquement par l’objectif poursuivi par son auteur d’obtenir des faveurs sexuelles mais par les conséquences du comportement sur la victime. Ces comportements ou agissements doivent ainsi, soit porter atteinte à la dignité de la victime en raison de leur caractère humiliant ou dégradant, soit créer à l’encontre de la victime une situation intimidante, hostile ou offensante.
Le fait pour un salarié d’être contraint de supporter un environnement de travail hostile, humiliant et stigmatisant pour une catégorie de personnes, notamment les femmes, entre bien dans la définition du harcèlement sexuel, tel que défini par l’article L.1153 -1 du code du travail.
Dans cette affaire, « Les éléments du dossier démontrent la méconnaissance par les salariés et la direction de la rédaction de la définition même du harcèlement sexuel en ce qu’il ne doit pas forcément s’entendre comme un agissement sexuel direct sur la victime, comme par exemple une main aux fesses, mais s’étend à toute contrainte par un salarié d’un environnement professionnel dans lequel se répètent des comportements déplacés à connotation sexuelle, dégradant les conditions de travail du salarié qui ne souhaite pas ou plus les subir ».
Le harcèlement d’ambiance est reconnu
Les faits précis rapportés par la victime – propos sexistes, orduriers et outrageants, affichages de photographies à connotation sexuelle sur les ordinateurs et un mur – le rapport de l’expert agréé qui relate une forme de communication violente qui ne permet pas à une autre personne de s’exprimer, les éléments médicaux, les écrits de l’inspection du travail, les conclusions du défenseur des droits ont amené la cour d’appel d’Orléans à énoncer :
– que le harcèlement sexuel peut consister en un harcèlement environnemental ou d’ambiance, où, sans être directement visée, la victime subit les provocations et blagues obscènes ou vulgaires qui lui deviennent insupportables. L’employeur n’a pas démontré que les faits matériellement établis étaient justifiés et n’étaient pas constitutifs de harcèlement sexuel.
– qu’un harcèlement moral ne résulte pas forcément d’agissements intentionnels de la part des dirigeants mais résulte d’agissements répétés, dans lesquels est incluse l’organisation du travail, ayant pour effet de dégrader les conditions de travail et d’altérer l’état de santé du travailleur.
En conclusion, les juges ont considéré que le harcèlement sexuel et le harcèlement moral étaient établis, que l’employeur n’avait pas satisfait à son obligation de sécurité et que cela justifiait la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur.
La grande nouveauté de cette décision est de reconnaître, pour la première fois, la notion de harcèlement sexuel « environnemental ou d’ambiance », c’est-à-dire que le harcèlement n’a plus besoin d’être dirigé explicitement contre une personne, ni même d’avoir comme but ou intention d’obtenir un acte sexuel.
Ce jugement est à rapprocher de précédentes jurisprudences de la cour de cassation qui ont qualifié de harcèlement moral des méthodes de gestion mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique. Arrêt n°07-45.321 du 10 novembre 2009 et arrêt n°08-41.497 du 9 novembre 2009.