On a d’abord parlé de souffrance au travail. Expression explicite qui a eu le mérite de jeter un gros pavé dans une mare de silence. Pour la première fois, on osait dire que les travailleurs n’étaient pas que nantis d’un emploi alors que tant d’autres en étaient privés. En cette fin des années 90, on commençait à prendre conscience que le travail pouvait altérer tout autant la santé physique que mentale. On a commencé à médiatiser les recherches de sociologues et psychologues qui n’avaient intéressé jusque-là que quelques initiés.
Mais nos patrons n’ont pas apprécié, pas plus ceux de BPCE que les autres. Comme nous l’avons souvent entendu de la part des technocrates « spécialistes du travail de force » : « La Caisse d’Epargne, ce n’est pas la mine ! ». La souffrance ne fait pas bon ménage avec l’image de marque. Il a donc été décidé d’utiliser le terme générique plus politiquement correct de « risques psychosociaux (RPS) ». En clair, on est passé de la souffrance, qui est un état, au risque de souffrance, qui est une éventualité. C’est déjà beaucoup moins culpabilisant pour les gestionnaires du travail. Pour autant, cette expression reste pertinente sur le fait que l’organisation « sociale » des entreprises et des administrations fait courir des risques psychiques (mais pas seulement) aux travailleurs.
Oui mais voilà, la notion de risque n’est pas seulement sémantique, et le Code du travail impose aux patrons de recenser l’ensemble des risques (dont les RPS) présents dans l’entreprise. De plus, il les astreint à les supprimer avec une obligation de résultat. De nombreuses condamnations sont venues leur montrer que ça n’était pas que de la littérature. Pour les dirigeants de BPCE, le jugement sur le benchmark obtenu par Sud a constitué, à ce titre, une première alerte sérieuse. C’est ainsi qu’aujourd’hui, les « académiciens du dictionnaire social », jamais à court d’idées virtuelles, s’efforcent de nous entraîner vers la notion de « qualité de vie au travail ». Dans ce type d’approche, on est dans un monde idyllique qui a éradiqué d’un coup de gomme la souffrance et le risque. Chacun va pouvoir développer bien-être et accomplissement de soi dans des collectifs de travail aseptisés.
C’est bien connu ! Seul existe ce qui est nommé. Il suffisait d’y penser !
Mesurons plutôt les conséquences prévisibles du Plan Stratégique de BPCE avec les indicateurs les plus pertinents. La synthèse de ce Plan est : « doubler les résultats en diminuant les effectifs d’ici à 2017 ».
Nul besoin d’être chercheur émérite pour imaginer les conséquences en terme de pression commerciale, de pratiques managériales, de politique salariale, de tri de clientèle et autre compétition interne. Mais il est vrai que l’augmentation indécente des dividendes des actionnaires et des salaires des mandataires sociaux est à ce prix…
À Sud, nous affirmons que la souffrance au travail va continuer à se développer et que les risques psychosociaux vont se multiplier. Nous alertons officiellement les dirigeants de BPCE et leurs acolytes régionaux sur leur responsabilité pleine et entière dans ce qui va arriver aux salariés du groupe.
Parler de qualité de vie au travail dans un tel contexte est indécent et révoltant, tant de la part des dirigeants que de celle de « partenaires sociaux » qui pourraient se complaire dans une démarche sémantique et idéologique qui voudrait culpabiliser celles et ceux que le travail est en train de détruire. Parler de qualité de vie au travail, c’est aussi montrer un cynisme insoutenable vis-à-vis de nos collègues qui se sont suicidés ou ont tenté de le faire en dénonçant leurs conditions de travail.
Pour Sud BPCE, la santé physique et mentale des salariés est un enjeu trop important pour la laisser entre les seules mains des patrons.